« Ce sont ceux et celles qui voulaient demeurer sur le marché du travail qui en profiteront le plus », croit Martin Gervais, planificateur financier chez De Champlain Groupe financier. Parmi sa propre clientèle, il compte 24 % de clients âgés de 51 à 65 ans, et 48 % qui ont 66 ans et plus.
« Cette mesure est plus un cadeau à ceux qui, de toute manière, demeuraient au travail. D’autres pourront décider de ne rien changer et de continuer à travailler », fait aussi valoir Eric F. Gosselin, planificateur financier chez Services financiers Eric F. Gosselin inc. « Ce crédit équivaut à une baisse d’impôt. Il va stimuler l’économie parce que lorsque le contribuable a plus d’argent dans ses poches, généralement, il le dépense », ajoute-t-il.
« Cette bonification s’avère un bon incitatif à la rétention sur le marché du travail des travailleurs de 60 ans et plus », approuve Gaétan Veillette, planificateur financier chez IG Gestion de Patrimoine. À l’appui de sa position, il cite le plan budgétaire 2019 du gouvernement du Québec qui évalue que ces travailleurs aînés composent 20,8 % de la population active, alors qu’ils totalisent 25,2 % en Ontario.
Mais encore faut-il, note Eric Gosselin, que la clientèle de cet âge soit au courant de la mesure. À la suite de la présentation du budget, il raconte avoir fait un sommaire des mesures fiscales annoncées, et les a fait parvenir par courriel à l’ensemble de ses clients. Jusqu’à présent, il dit n’avoir reçu aucun commentaire ou question à ce sujet.
Martin Gervais se réjouit de cette mesure, mais il estime que ça ne suffit pas. « Il est clair que ce sera toujours préférable d’avoir une mesure que rien du tout, mais je crois qu’il faudra faire preuve d’un peu plus de créativité », soutient-il. Selon lui, il faudra attirer davantage la personne de 60 ans et plus, au moyen, par exemple, d’une flexibilité accrue dans l’horaire de travail ou de l’option du télétravail ou encore en offrant des avantages sociaux alléchants.
Dans un entretien récent avec La Presse canadienne, Marie Beaulieu, professeure à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, signale que le nombre de personnes âgées qui restent sur le marché du travail a augmenté au fil des ans au Québec. Si certains de ces travailleurs sont des propriétaires d’entreprises, elle évoque aussi « tous les aînés qui choisissent de travailler à temps partiel ». Parmi eux, il y a « ceux à qui ça permet de voir des gens tout en obtenant un petit revenu, mais il y en a d’autres pour qui ce revenu est absolument nécessaire », explique-t-elle.
Crédits offerts aux PME
Québec permet aussi aux PME, à compter de cette année, de bénéficier d’un crédit d’impôt maximal de 1 250 $, suivant certaines règles, s’ils maintiennent en poste ou embauchent une personne de 60 à 64 ans, et de 1 875 $ pour les personnes de 65 ans et plus. Les planificateurs financiers interrogés sont sceptiques quant aux retombées réelles de cette annonce en matière d’attraction de travailleurs d’expérience.
« Ces travailleurs coûtent souvent plus cher aux employeurs en programmes collectifs et en avantages sociaux. Néanmoins, selon les domaines, ils représentent des encyclopédies humaines qui peuvent certainement contribuer à l’exploitation des entreprises », considère Gaétan Veillette.
« Je ne crois pas qu’un employeur cherchera soudainement des travailleurs aînés à cause d’un crédit d’impôt », lance Eric F. Gosselin. « Les employeurs que je connais et qui ont des travailleurs d’expérience sont généralement peinés de devoir les remplacer, s’ils en sont capables, par un travailleur qu’ils devront former. »
Martin Gervais signale qu’en ce qui concerne les PME, le désir de rétention de la clientèle de 60 ans et plus va au-delà d’un critère financier. « Lorsqu’une grande entreprise de 1 000 employés perd un employé de 60 ans, des collègues vont le remplacer. Par contre, si, dans une PME de 10 employés, un employé de 60 ans prend sa retraite, elle perd un dixième de sa masse salariale. En termes d’incidence sur l’entreprise, la perte peut représenter 25 % parce que ça touche tous les niveaux », explique M. Gervais.
La préoccupation de garder les aînés au travail occupe une grande place dans l’agenda gouvernemental en raison de la pénurie de main-d’oeuvre. Le ministère québécois du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a emboîté le pas à la mesure budgétaire. Le 13 mai dernier, le ministre Jean Boulet lançait Grande corvée 2.0, la deuxième phase de son opération Grande corvée. Elle veut notamment inciter les travailleurs d’expérience à demeurer en poste, et rejoindre les entreprises afin qu’elles fassent appel aux travailleurs expérimentés.