Il fut un temps où l’investisseur pouvait composer la partie obligataire de son portefeuille et, paisiblement, la laisser longtemps suivre son cours. Le revenu fixe était vraiment la partie «fixe» du portefeuille. On pouvait confier sans souci la partie obligataire à un fonds commun indiciel ou à un fonds négocié en Bourse à gestion passive. Ces temps ont bien changé.

Premièrement, les faibles rendements obligataires rendent les gains fragiles. Deuxièmement, les produits de placement se sont multipliés, qu’il s’agisse d’obligations à haut rendement, de titres gouvernementaux de pays émergents, et maintenant d’organismes de placement collectif alternatifs (aussi appelés fonds alternatifs liquides), qui peuvent non seulement recourir au levier financier, mais aussi pratiquer la vente à découvert. Et c’est sans compter les carences inhérentes à la gestion passive en elle-même.

«Dans une perspective historique de taux plus élevés, les titres à revenu fixe étaient une excellente solution pour stabiliser un portefeuille ou lui donner un rendement moins volatil que les actions», souligne Richard Beaulieu, vice-président et économiste principal chez Addenda Capital, à Montréal.

Cependant, on parle d’époques – par exemple le début des années 1990 – où les taux d’intérêt oscillaient autour de 10 % et les rendements étaient à l’avenant. «Il fallait des hausses sensibles de taux pour changer les prix au point d’effacer cette base de 10 %», fait ressortir l’économiste.

Il en était de même au début des années 2000, alors que les obligations canadiennes présentaient des coupons de 5,7 % et des durations de 5,7 ans. «À ce moment-là, il fallait un mouvement d’au moins 100 points de base [ou 1 %] avant d’effacer le rendement du coupon», ajoute Richard Beaulieu.

Par contre, aujourd’hui, le taux de rendement moyen est de 2,17 %, et la duration, de 6,4 ans. «Il n’y a plus beaucoup de protection, affirme Benoît Durocher, vice-président directeur et chef stratège économique chez Addenda. Il suffit d’une hausse des taux de 34 points de base pour annuler le rendement du coupon et vous mettre en terrain de rendement négatif. C’est une assise du portefeuille beaucoup moins solide qu’auparavant.»

Miser sur la gestion active

Certes, sous l’impulsion de la Réserve fédérale américaine, les rendements ont changé de direction et s’avèrent positifs pour les détenteurs d’obligations.

«Les marchés obligataires de plus long terme ont déjà reflété des baisses de taux aux États-Unis et au Canada. Présentement, les taux à moyen et à long terme montrent que les marchés anticipent des baisses des taux directeurs de 75 à 100 points de base sur un an», dit Étienne Bordeleau-Labrecque, vice-président et gestionnaire de portefeuille adjoint chez Partenaires Ninepoint.

Néanmoins, ce récent revirement change peu la fragilité sous-jacente que décrivent Richard Beaulieu et Benoît Durocher. C’est pourquoi ils privilégient une gestion active de la partie obligataire du portefeuille. «Avec une gestion passive, vous encaissez bêtement l’impact des variations sur les indices, dit Benoît Durocher. Si vous jugez qu’un rendement de 2,17 % est suffisant, eh bien, tant mieux !»

Une gestion passive expose le portefeuille à trois faiblesses, selon les deux spécialistes d’Addenda. Comme discuté plus haut, les indices sont plus sensibles aux mouvements des taux, et le coussin de protection est amenuisé. S’ajoute une troisième faiblesse qui tient à la composition plus risquée des indices.

«En 2000, les obligations cotées BBB [donc à risque plus élevé] représentaient 2 % de l’indice obligataire canadien. Aujourd’hui, la proportion est de 11 %. En choisissant de suivre aveuglément l’indice, vous avez accru votre risque», explique Richard Beaulieu.

Plus de flexibilité

Il y a encore de la place pour la gestion passive, selon Stephen Hoffman, vice-président, FNB, chez RBC Gestion mondiale d’actifs, mais il convient qu’il y a avantage à la compléter par une importante part de gestion active.

«Le segment indiciel vous donne une exposition large aux différentes catégories obligataires : gouvernementales, sociétés, mondiales. Et la gestion active apporte d’autres outils importants : la gestion des devises, l’analyse de crédit, la possibilité de se déplacer entre actifs. Ce n’est pas la gestion passive ou active, mais passive et active», dit Stephen Hoffman.

Il faut dire, comme le reconnaît Stephen Hoffman, que les FNB obligataires offerts par RBC et gérés par Phillips Hager & North «sont gérés très activement par des gestionnaires, non par des règles».

Passer à la gestion active multiplie les outils disponibles pour l’investisseur et, du coup, accroît la flexibilité, selon nos experts. Car reproduire les indices obligataires impose un cadre passablement rigide composé en moyenne de 30 % d’obligations fédérales, de 30 % d’obligations provinciales et municipales ainsi que de 40 % d’obligations de sociétés. C’est dire que «60 % d’un portefeuille passif est composé de titres gouvernementaux où l’on trouve beaucoup de duration et peu de revenu», souligne Étienne Bordeleau-Labrecque.

Une gestion active permet de se dégager de ce carcan de plusieurs façons. La première tient à la flexibilité qu’elle procure, comme l’illustre Benoît Durocher : «On peut détenir plus de titres de sociétés, et des obligations de duration plus courte que celle de l’indice. Ça nous expose à un peu plus de risque de crédit d’un côté, mais si les taux montent, on va avoir des baisses de prix moindres que celles de l’indice. On fait un arbitrage de toutes ces couches de risque de façon opportuniste selon les contextes.»

Le gestionnaire d’un portefeuille d’obligations mondiales dispose de l’outil supplémentaire de la couverture de devises pour renforcer la performance de son portefeuille. «Les mouvements de devises peuvent avoir presque autant d’impact sur la performance que les mouvements de taux d’intérêt», souligne François Bourdon, chef des investissements mondiaux chez Fiera Capital, à Montréal.

Enfin, l’investissement dans de la dette privée ainsi que la vente à découvert de titres obligataires sont d’autres possibilités qui ajoutent des dimensions peu explorées aux possibilités de la gestion active.

«On a un portefeuille de dette privée dont le rendement est beaucoup plus élevé que celui des titres habituels, entre 8 % et 12 %, dit Étienne Bordeleau-Labrecque. Le risque de crédit est plus élevé, mais cette dette a l’avantage d’être garantie par des actifs réels.»