Un couple de personnes âgées face à une femme d'affaire.
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«Au cours des cinq dernières années, nous avons reçu de plus en plus de questions de la part de nos représentants aux prises avec des situations de vulnérabilité dans lesquelles ils se sentent mal à l’aise», dit Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques, et chef de la conformité chez MICA Cabinets de services financiers.

La croissance du nombre de personnes âgées contribue à l’augmentation des cas de vulnérabilité, constate aussi Gilles Ouimet, syndic de la Chambre de la sécurité financière (CSF). «Nous avons de plus en plus de cas embêtants et délicats», note-t-il, sans pouvoir toutefois chiffrer la croissance du nombre de cas.

Cependant, la vulnérabilité ne concerne pas que les personnes âgées, rappelle Yvan Morin : «Elle peut aussi bien toucher un enfant et son mentor qu’une épouse sous l’emprise d’un mari dominateur», précise-t-il.

Étude de cas

Nous avons demandé à trois spécialistes de la conformité et de la déontologie de commenter le cas hypothétique suivant :

Un client veuf et âgé, au mode de vie frugal et qui a toujours été très prudent dans la gestion de son budget, demande soudainement à sa conseillère de retirer 50 000 $ de son REER. Il dit qu’il veut se payer du luxe et s’acheter une auto neuve. Prudente, la conseillère refuse de faire le retrait, car cette transaction risque de faire dérailler le plan de retraite de son client, et demande un moment pour refaire ses calculs. Pendant qu’elle s’exécute, une femme l’appelle et se présente comme la fille du client. Elle demande pourquoi la conseillère retarde la transaction et la menace de poursuite si elle fait obstacle au retrait.

«Voilà une situation où le conseiller peut se retrouver sur la sellette quoi qu’il fasse», constate Gilles Ouimet. «Il y a clairement un indice de vulnérabilité du client», souligne Michel Mailloux, président-fondateur du Collège des professions financières, qui ajoute : «Le premier problème, c’est la fille. Dans 55 % des cas, ce sont les enfants qui maltraitent financièrement les parents.»

Il n’y a pas que la fille, dans ce cas, qui peut poser problème. «Il y a peut-être d’autres enfants qui pourraient juger qu’un retrait de 50 000 $ n’est pas cohérent avec le profil du client, poursuit Michel Mailloux. Au décès de celui-ci, la conseillère pourrait se retrouver avec une poursuite de la succession.»

Peut-on refuser de donner au client son argent ? Michel Mailloux croit que «la conseillère doit libérer les sommes. Ce n’est pas son rôle d’établir l’inaptitude du client. Si le client veut retirer son argent pour le donner à sa blonde, c’est son droit le plus strict.»

Yvan Morin n’est pas aussi tranché : «Ultimement, la conseillère n’est pas obligée de réaliser la transaction si elle juge que son client est sous influence.» Il donne l’exemple d’un conseiller de MICA qui a refusé de procéder à un déboursé pour un client. «Le fils avait appelé plusieurs fois au cours d’une semaine et le conseiller a préféré essuyer une plainte pour ne pas avoir collaboré plutôt que de voir son client dilapider son bien. Finalement, il n’y a jamais eu de plainte et le client a transféré ses avoirs ailleurs.»

Documenter à fond

Chaque cas est unique. Au bout du compte, la clé n’est pas dans la libération ou le blocage des fonds, mais dans la rigueur du processus du conseiller : «Sa décision est-elle raisonnable ? fait ressortir Yvan Morin. Un autre représentant aurait-il pu prendre la même décision ?»

Pour cela, «le conseiller doit bien documenter le dossier. Prenez des notes, des notes, des notes ! insiste Gilles Ouimet. Tenez compte du fait que je pourrais débarquer à votre bureau dans trois ans…»

Certaines précautions s’imposent. Dans notre cas fictif, la conseillère doit d’abord marquer un temps d’arrêt, ce qu’elle a fait, approuvent les trois spécialistes. Il importe aussi qu’elle consulte des conseillers d’expérience et des responsables de conformité.

Gilles Ouimet suggère de recourir à l’aide de la CSF, qui offre un service d’accompagnement. «Nous avons des personnes-ressources pour assister les représentants», précise-t-il.

Une rencontre avec le client s’impose, face à face, sans la présence de sa fille. Au cas où celle-ci se présenterait quand même, «je m’assurerais d’avoir invité mon patron à la rencontre», propose Michel Mailloux, tout au moins un autre conseiller à titre de témoin.

«Pourquoi le face à face ? Certains comportements sont plus révélateurs que des paroles», souligne Yvan Morin, qui recommande d’être attentif à tout signe indiquant que le client est peut-être sous influence. Si le client persévère dans sa requête, la conseillère devrait lui faire signer un document «confirmant que c’est bien sa volonté», ajoute le spécialiste.

Au cours de cette rencontre, le conseiller devrait revenir sur le plan financier du client en faisant valoir que sa requête risque de le contrecarrer, que sa facture fiscale sera accrue, qu’elle pourrait réduire son admissibilité à certains programmes d’aide gouvernementaux, suggère Yvan Morin.

Certes, il n’appartient pas au conseiller d’établir l’inaptitude de son client. Par contre, un lourd soupçon à cet effet peut servir à justifier une décision de retenir l’argent demandé. Car, rappelle Gilles Ouimet, «un conseiller est tenu à une obligation de moyens, il doit suivre une démarche qui respecte les exigences déontologiques, pas avoir une réponse parfaite. Même si la réponse est mauvaise, il peut ne pas y avoir faute déontologique.»

Au premier chef, «le conseiller doit avoir à coeur les intérêts de son client», indique Yvan Morin.

Prévenir

En prévision d’épisodes éprouvants comme celui exposé plus haut, Michel Mailloux propose de faire signer à ses clients, dès l’ouverture du dossier, une autorisation de consulter, si les circonstances l’exigent, un parent proche et un tiers éloigné. «Je pense qu’il faut le demander systématiquement, aujourd’hui», dit-il.

Là encore, rien n’est tout blanc ou tout noir. «Systématiquement ?» s’interroge Gilles Ouimet. «C’est un outil recommandé et qui peut s’avérer approprié dans plusieurs situations. Dans tous les cas, on devrait le considérer, mais je m’en méfie», dit-il.

«Le conseiller risque de se retrouver entre le client et ses enfants, sa conjointe ou ses frères. Les personnes désignées seront-elles les bonnes ? C’est toute la question de la pertinence du tiers. Dans deux ans, nos choix pourraient s’avérer mal indiqués. Ça relève du jugement professionnel du conseiller», explique Gilles Ouimet.

D’ailleurs, le jugement professionnel est plus que jamais important dans de telles situations.