«Si APEXA remplit sa mission, les agents généraux feront des économies. Cependant, les débuts d’APEXA ne sont pas à la hauteur du projet initial», dit Christian Laroche, président d’Aurrea Signature.
Sous le couvert de l’anonymat, certains agents généraux expriment crûment leur déception et parfois même leur colère. «On veut nous faire entrer APEXA à travers la gorge», dit l’un. «APEXA est un désastre», dit un autre. «C’est épouvantable», affirme un autre.
Lancé par un groupe de cinq assureurs et de quatre agents généraux pancanadiens, APEXA entend devenir, à compter de janvier prochain, le portail unique de traitement des nouveaux contrats de distribution des conseillers.
La plateforme ajoutera d’autres fonctionnalités, comme la surveillance des antécédents judiciaires et de la solvabilité des conseillers, afin de simplifier la conformité pour les conseillers, les agents généraux et les assureurs. «Éventuellement, la plateforme sera très avantageuse pour la gestion de la conformité. L’historique des conseillers sera accessible en un seul lieu», dit Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier.
Interrogés par Finance et Investissement, des agents généraux remettent cependant en cause l’état de préparation d’APEXA. Certains s’interrogent sur la place de la langue française chez APEXA. Certains critiquent également la méthode utilisée par des assureurs afin de favoriser leur adhésion.
Pressions d’APEXA
Le président de la Financière S_Entiel, Dominic Demers, soulève la question de la transmission de ses données électroniques à la plateforme : «APEXA ne parle pas à notre logiciel d’arrière-boutique [back office]. Devra-t-on embaucher des programmeurs pour faire la liaison entre notre logiciel et celui d’APEXA ?»
Même son de cloche au Groupe SFGT. «Nous devrons probablement payer des programmeurs pour transférer nos données sur la plateforme d’APEXA. Ils n’ont pas fait d’efforts pour accepter des données qui ne sont pas de leur format. C’est très rigide. Pour nous, cela représente des coûts additionnels», affirme sa directrice générale, Caroline Thibeault.
Mario Couture, président et directeur des opérations du Groupe Financier Maestro, craint de devoir maintenir deux systèmes pendant un temps indéterminé. «Je doute que tous les assureurs se retrouvent sur APEXA en début d’année prochaine», dit-il.
Par ailleurs, Mario Couture s’oppose au système de tarification d’APEXA qui l’obligera, dans certains cas, à payer deux fois l’inscription d’un même conseiller. À savoir, une fois à titre d’agent général direct et une autre fois en tant qu’agent général associé dans le cas de contrats d’assureurs qui exigent des volumes de production si élevés qu’il doit faire affaire avec un autre agent général.
«On nous ajoute une nouvelle facture de plusieurs milliers de dollars», dit-il.
En outre, poursuit Mario Couture, le contrat type d’APEXA a des dispositions peu accommodantes. «Le contrat stipule qu’on ne peut se retirer d’APEXA à long terme. Toutefois, il dit aussi qu’APEXA se réserve le droit d’augmenter ses tarifs», souligne-t-il.
Pressions d’assureurs
Le patron d’Aurrea Signature signale que certains assureurs ont évoqué la possibilité de freiner leurs relations d’affaires avec les agents généraux qui ne feraient pas le saut vers APEXA.
«Des agents généraux se sont fait dire qu’ils seraient dans l’impossibilité de mettre sous contrat de nouveaux courtiers avec les assureurs dans l’éventualité où ils ne seraient pas prêts en janvier prochain. Cela empêcherait de continuer à développer de nouvelles affaires avec ces assureurs», dit Christian Laroche.
Dominic Demers précise ses craintes. «Certains assureurs nous ont signalé qu’à partir de janvier prochain, nous serons obligés de passer par APEXA afin de faire l’inscription des nouveaux conseillers. Mais est-ce que tous les assureurs y seront ? Si ce n’est pas le cas, serons-nous alors obligés de payer le coût de deux systèmes ?» énonce le président de la Financière S_Entiel.
Mario Couture signale avoir reçu une lettre d’un important assureur lui signifiant qu’il ne pourrait pas faire adhérer de nouveaux conseillers à défaut d’adhérer à APEXA. «Nous pourrions également subir de lourdes pénalités monétaires en cas de retard à y adhérer», précise-t-il.
Des agents généraux relèvent la centralisation des opérations à Toronto et la marginalisation du fait français dans les décisions de la direction d’APEXA.
Ainsi, le contrat d’adhésion n’a été fourni qu’en anglais. «J’ai demandé un contrat en français, qui n’est jamais arrivé. De plus, les prochaines formations au logiciel d’APEXA ne se feront qu’en anglais, à Toronto. Et pour ces formations, les gens d’APEXA recommandent d’envoyer au moins trois employés à Toronto pendant cinq jours», dit Mario Couture.
Au moment d’écrire ces lignes, à la fin de septembre, les contrats d’adhésion d’APEXA n’étaient rédigés qu’en anglais. Et il semble bien que les futures formations au logiciel d’APEXA ne seront données qu’à Toronto en langue anglaise.
Aux yeux du président-directeur général d’AFL Groupe financier, les dirigeants d’APEXA «ont mal perçu la réalité du marché québécois. C’est un peu comme s’ils n’y accordaient pas d’importance», dit Yan Charbonneau.
Le président et chef de la direction de MICA Cabinets de services financiers, Gino-Sébastian Savard, relève l’existence «d’un gros problème de traduction», la réalité des pressions d’assureurs sur les agents généraux réticents et la possibilité que les assureurs ne soient pas tous présents sur APEXA en début d’année prochaine.
«Il faudrait que la totalité des assureurs migre sur APEXA avant d’obliger les agents généraux à faire de même. Car dans les conditions actuelles, nous doublons nos efforts. Et les coûts sont trop élevés», dit Gino-Sébastian Savard.
Lire l’encadré ci-contre pour connaître la réponse d’APEXA à ces critiques.
Déficit de relations publiques
De toute cette aventure, Caroline Thibeault retient la «rigidité du processus». «On sent», ajoute-t-elle, que les gens d’APEXA ont «un grand sentiment d’importance».
Le directeur des finances et chef de conformité d’Aurrea Signature, Adrien Legault, voit dans cette histoire «un énorme déficit du point de vue des relations publiques».
«Il faut se battre pour obtenir des choses qui devraient aller de soi, comme dans l’affaire des contrats unilingues anglais et les formations en anglais à Toronto», dit Adrien Legault.
Comment expliquer cela ? Yan Charbonneau y voit le résultat d’un produit bâti sans le souci d’intégrer le fait français et la spécificité québécoise. «Parmi les promoteurs initiaux d’APEXA, il y a quatre grands agents généraux pancanadiens situés à Toronto», mentionne-t-il.
C’est «un monopole qui sait être un monopole. Les gens d’APEXA estiment qu’ils n’ont pas besoin de vendre la plateforme comme ils auraient eu à le faire dans un univers concurrentiel. De plus, tout est pensé pour de grands acteurs pancanadiens. Les acteurs régionaux, qui doivent parfois porter le chapeau d’agent général associé, n’ont pas été intégrés au processus», dit Adrien Legault.
Malgré les critiques et les déceptions, les agents généraux interrogés se gardent bien de jeter le bébé avec l’eau du bain. «Est-ce qu’APEXA est un bon système aujourd’hui ? Assurément, non. Est-ce qu’il le sera dans deux ou trois ans ? Probablement, oui», résume Adrien Legault.