Le plus grand défi d’une jeune entreprise technologique est de recruter ses premiers clients, alors que celui d’une institution financière est d’accélérer l’innovation, indique David Nault, cofondateur et associé directeur de Luge Capital. En facilitant l’interaction entre ces deux acteurs, on les aide à mieux relever leurs défis respectifs.
C’est ce que fait Luge Capital, un fonds de capital de risque qui investit dans des entreprises en démarrage spécialisées en technologies financières (fintechs). «Notre fonds est unique au Canada, parce que les institutions financières y ont investi et qu’elles partagent leur réalité avec nous. Cela nous permet de mieux aider les jeunes entreprises dans leur développement», explique David Nault.
Luge Capital a été lancé en octobre 2018 avec un capital initial de 50 M$ provenant de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du Mouvement Desjardins. Un an plus tard, son portefeuille atteint 85 M$ à la suite d’une participation d’iA Groupe financier et de BDC Capital effectuée en octobre 2019. Leur contribution à l’actif du capital-risqueur s’ajoute à celle faite par la Financière Sun Life, La Capitale et le Fonds de solidarité FTQ au cours de l’année. Le fonds exploite une antenne à Montréal et une autre à Toronto.
Le portefeuille s’enrichit
Le premier investissement de Luge Capital a été réalisé en juillet 2018 dans Flinks. Cette entreprise montréalaise est spécialisée en agrégation de données financières et en vérification de comptes bancaires, et son outil repose sur l’intelligence artificielle.
Luge a ensuite misé sur la start-up torontoise Finaeo, qui a développé une plateforme destinée aux courtiers en assurance vie. Puis, Luge a ajouté à son portefeuille Owl.co, un agrégateur de données modulaires actif dans la gestion de données clients au bénéfice des institutions financières, et plus récemment, Flare Systems, une fintech de Montréal spécialisée en cybersécurité. D’autres investissements seront annoncés prochainement.
David Nault souligne que certaines entreprises dans lesquelles Luge Capital n’investit pas, «parce qu’elles ne répondent pas exactement à ce que l’on recherche, font quand même affaire avec nos partenaires parce qu’elles ont développé des solutions qui leur apportent de la valeur».
Il faut dire que le capital-risqueur a l’embarras du choix lorsque vient le moment de choisir la start-up dans laquelle investir. «Nous avons presque 900 entreprises en observation dans notre pipeline», dit David Nault.
Il ajoute que Luge Capital prévoit effectuer au total environ 25 investissements. «Il n’y a pas de valeur prédéterminée à nos investissements. Nous investissons au départ environ 2 M$, puis nous allons remettre de plus en plus d’argent dans les meilleures entreprises.»
En quête de bâtisseurs
Pour les analystes de Luge Capital, la définition de la technologie financière est assez large. Elle comprend la sécurité des données, les technologies de l’assurance, les algorithmes pour prêteurs, les robots-conseillers, la prochaine génération de systèmes informatisés de paiement, les chaînes de blocs (blockchain), les solutions pour les marchands, les outils de gestion du patrimoine, les solutions de prêts, l’automatisation du traitement, les robots (bots), les technologies réglementaires et les «autres développements technologiques dont nous n’avons pas encore entendu parler».
Plus particulièrement, Luge Capital recherche avant tout «une équipe qui est à la hauteur de ce qu’elle veut faire et qui a une vision globale, qui n’est pas limitée au Québec et au Canada, et peut espérer bâtir partout».
Le capital-risqueur examine aussi la technologie. Comment se distingue-t-elle ? Quel est son marché potentiel ? Quel est le rendement estimé pour le fonds ? «Dans notre industrie, les deux tiers des entreprises ne parviennent pas à générer de gros rendements», constate David Nault.
De même, le modèle d’investissement n’est pas statique. Parfois, Luge Capital sera l’investisseur unique, et dans d’autres occasions, il va piloter une ronde de financement comme ce fut notamment le cas avec Finaeo et Flare Systems.
«Il peut être intéressant de bâtir des relations avec d’autres investisseurs pour pouvoir ensuite émettre de plus gros chèques, ou pour avoir des partenaires qui sont familiarisés avec les subtilités du secteur dans lequel l’entrepreneur se spécialise. Ils peuvent donc l’aider au-delà du financement», précise David Nault.
C’est d’ailleurs un peu le message que David Nault lance aux conseillers, inquiets de la montée en puissance des firmes de technologie financière. Il ne croit pas que beaucoup de professionnels du secteur financier seront remplacés par des machines, «parce qu’on a tous des besoins spéciaux, qu’il faut en discuter pour se faire conseiller, que les robots ne sont pas là pour discuter et que même les bots ont leurs limites». Cela dit, David Nault croit que les conseillers devront s’informer, bien s’entourer et adapter leur manière de servir leurs clients en fonction de l’évolution des préférences et des habitudes de ceux-ci.
«On passe du face-à-face à la migration vers le virtuel. Il faut donc penser à une stratégie numérique, car le besoin se fait souvent sentir après les heures de travail, par l’intermédiaire d’applications technologiques. Alors, si les conseillers veulent se mettre à jour, ils doivent s’automatiser, avoir des sites web et des formulaires interactifs, par exemple.»
Passionné comme un athlète
On compare beaucoup les entrepreneurs à des athlètes. C’est de là que vient le nom Luge Capital, explique David Nault.
«La luge, c’est un sport à haut risque où il y a beaucoup de twists and turns. On trouvait que l’expérience est assez semblable à celle que doit traverser un entrepreneur. Ça va vite, il y a beaucoup de compétition et il faut être capable de te remettre sur tes pieds après être tombé si tu veux te rendre au podium. Puis, comme dans notre industrie, il y a très peu de places sur le podium. On ne retrouve pas 400 gagnants à la fin.»
David Nault incarne d’ailleurs à merveille la philosophie et les valeurs de Luge Capital. «Je n’étais pas le meilleur élève à l’école et la finance est l’un des sujets avec lesquels j’ai eu le plus de difficultés», lance-t-il. Aujourd’hui, s’il gère un fonds de capital de risque, c’est grâce à l’expérience qu’il a acquise, dit-il.
«J’apprends beaucoup en faisant les choses par moi-même», analyse-t-il. David Nault est d’avis que les jeunes devraient être informés tôt du fait «qu’une carrière n’est pas toujours déterminée par tes notes. Si tu as vraiment la passion de quelque chose, tu vas trouver ton chemin.» Tel un lugeur dévalant une pente glacée, pourrait-on ajouter.
Quatrième d’une fratrie de cinq enfants, David Nault est né à Boston d’une mère américaine et d’un père québécois. «Ma mère a accouché de ses cinq enfants aux États-Unis afin qu’ils aient la double citoyenneté et que toutes les options soient ouvertes.» Il a rapidement déménagé à Ottawa, puis à Brossard, en banlieue de Montréal.
«Notre famille faisait partie de la classe moyenne et il fallait quand même être débrouillard pour avoir de l’argent de poche. Je pense que cela a développé mon côté entrepreneur. Très jeune, j’ai constaté qu’on pouvait faire plus d’argent à faire des affaires par soi-même qu’à travailler dans un »McDo ». Par exemple, j’ai tondu des pelouses et lavé des autos.»
Après avoir lu que de nombreuses entreprises peinaient à réussir parce qu’elles géraient mal leurs finances, David Nault décide d’étudier en comptabilité. «Mais j’ai réalisé que je n’avais pas le profil d’un comptable. J’étais trop entrepreneur.» Il obtient son baccalauréat en commerce de la John Molson School of Business, de l’Université Concordia, puis multiplie les expériences.
D’abord au sein d’une entreprise technologique, où il contribue à lever un financement de 15 M$. «Ce fut ma première expérience avec le capital de risque : l’investisseur n’était pas très gentil, il était égoïste et arrogant, et je ne me sentais pas en confiance en parlant avec lui. Les entrepreneurs méritent d’être écoutés. Je me disais que si jamais un jour je me retrouvais dans ses souliers, je n’agirais pas ainsi avec un entrepreneur, mais je n’imaginais pas alors que je deviendrais un investisseur en capital de risque.»
À titre de directeur au développement des affaires, il contribue ensuite à l’expansion de Paiements Pivotal, un service de paiements rebaptisé Nuvei qui compte aujourd’hui plus de 60 000 clients et 400 employés, et dont le chiffre d’affaires atteint 150 M$.
«C’est à cette période que j’ai vu une occasion d’affaires dans les technologies financières. J’ai constaté que les institutions financières commençaient à incorporer de plus en plus de technologies pour mieux servir leurs clients, alors que d’un autre côté, des firmes de technologie essayaient de devenir des institutions financières. J’ai vu la collision entre les deux univers s’en venir et je me suis dit que c’était un beau secteur à explorer», dit-il.
De 2006 à 2009, David Nault est ensuite président de Callio Technologies, où il participe à la vente de la propriété intellectuelle de la société à Bell Canada, avant de finalement concentrer ses activités auprès de gestionnaires de capital d’amorçage et de fonds de capital de risque. C’est notamment le cas chez iNovia, qui compte 450 M$ d’actifs sous gestion, où il sera vice-président, investissements, de 2012 à 2018.
Aider les autres
Au fil de sa carrière, ce que David Nault a toujours aimé, c’est «d’aider le monde. J’aime beaucoup aider les entrepreneurs, donner des conseils et travailler avec de jeunes entrepreneurs dynamiques qui veulent changer le monde.»
«Son impact est sans équivoque. David a une véritable passion d’aider la prochaine génération d’entrepreneurs», affirme Guy Gervais, entrepreneur et ange financier, qui a souvent collaboré avec David Nault pour aider des entrepreneurs.
Toutefois, à côté de ces personnes motivées par une quête de bâtir quelque chose d’incroyablement grand, il y en a d’autres qui font face à des défis aussi grands, mais complètement différents. Cette réflexion a donc notamment amené David Nault à contribuer à la création en 2017 de l’organisme Dis-moi, qui vise principalement à prévenir le suicide chez les jeunes de 12 à 17 ans.
«David participe non seulement à bâtir des entreprises et à développer l’écosystème entrepreneurial au Québec, mais il s’implique aussi socialement. Le service Dis-moi a été créé à son initiative. Son implication continue pour développer une solution de dépistage des enjeux de santé mentale auprès des jeunes a fait une énorme différence», témoigne Alexandre Taillefer, associé principal chez XPND Capital.
«Les jeunes sont notre avenir et beaucoup d’entre eux vont à l’école avec des problèmes, de l’anxiété, des pensées noires, souligne David Nault. Sauf que les jeunes ne communiquent plus de la même façon qu’avant. Ils ne prennent pas le téléphone pour demander de l’aide.»
L’organisme Dis-moi a donc conçu «une solution interactive multiplateforme, Bloop, qui permet de briser l’isolement des jeunes de 12 à 17 ans et de créer un pont avec les ressources déjà présentes en ouvrant la discussion sur le bien-être et la santé mentale», lit-on sur son site Internet.
Pour David Nault, il n’y a jamais de situation sans espoir. «L’école, ça nous apprend à apprendre, et même si je n’étais pas un très bon élève, ça n’a pas empêché qu’il y ait eu d’autres chemins pour me rendre à destination. Un entrepreneur apprend beaucoup en essayant des choses, car ce n’est pas seulement en lisant un livre qu’on apprend à être un entrepreneur. Il faut être capable de prendre des risques, comme doit le faire un fonds de capital de risque.»