Une nouvelle étude démontre que bon nombre de nouveaux facteurs d’investissement proposés par l’industrie «sont utiles» pour expliquer le prix des actifs et tenter de battre le marché.
C’est ce que concluent Guanhao Feng (Université City de Hong Kong), Stefano Giglio (Université Yale) et Dacheng Xiu (Université de Chicago) dans une étude publiée en juin 2019 dont on parle beaucoup dans le monde des fonds négociés en Bourse (FNB) : «Taming the Factor Zoo : A Test of New Factors».
Selon les trois universitaires, certaines nouvelles primes de risque concoctées dans les institutions financières ou les fonds d’investissement peuvent contribuer à générer de meilleurs rendements pour les investisseurs.
Toutefois, bien que beaucoup de nouveaux facteurs (en particulier les différentes versions de la rentabilité) «soient utiles pour expliquer les prix des actifs», la plupart des nouvelles primes de risque sont redondantes par rapport aux facteurs qui existent déjà, soulignent les chercheurs.
Cette redondance est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains acteurs de l’industrie affichent un degré de scepticisme à l’égard de l’investissement factoriel.
Par exemple, sans rejeter l’investissement factoriel, le géant américain Vanguard appelle à la prudence. Dans une analyse publiée en 2015, la firme soutient qu’«un indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière est à la fois la meilleure représentation d’une catégorie d’actifs et le meilleur point de départ pour les discussions sur la construction d’un portefeuille».
Vanguard affirme aussi que «l’investissement factoriel relève de la gestion active». Ainsi, «la répartition des placements peut revêtir autant d’importance dans une structure d’investissement factoriel que pour un portefeuille où l’actif est réparti de façon traditionnelle».
Une bonne étude
Appelé à commenter les travaux des trois chercheurs sur les nouveaux facteurs, Chris Heakes, directeur général et directeur de portefeuille, Fonds négociés en Bourse, chez BMO Gestion mondiale d’actifs, juge qu’il s’agit d’une «bonne étude».
«Elle propose un cadre quantitatif pour évaluer les nouveaux facteurs et vérifier s’ils ajoutent réellement de la valeur ou s’ils ne font que recycler ou reformuler d’autres facteurs établis», précise-t-il.
Chris Heakes aime le fait que l’étude «soit positive» à l’égard des facteurs d’investissement bien établis tels que la valeur, l’élan, la faible volatilité et la qualité (endettement faible, croissance stable des revenus).
À ses yeux, ils représentent une «valeur ajoutée» pour les investisseurs par rapport au risque et au rendement à long terme.
Aussi, considérés comme un bloc, les nouveaux facteurs (comme les différentes versions de la rentabilité) et les anciens facteurs (comme la volatilité) offrent davantage de possibilités pour créer de la valeur et tenter de battre le marché, selon lui.
«Je suis convaincu que l’investissement factoriel offre aux conseillers des outils pour améliorer la construction du portefeuille et mieux répondre aux besoins des clients», affirme-t-il.
Chris Heakes ne déplore qu’une chose de l’étude : elle est très axée sur les aspects quantitatifs des facteurs, et pas assez sur les aspects qualitatifs, ce qui enlève une certaine mise en perspective.
«Il est important que les conseillers et les clients comprennent le comment et le pourquoi du fonctionnement des facteurs d’un point de vue économique», dit-il. Bref, cela permet de s’assurer que le sous-jacent justifie la valeur anticipée sur le marché, ce qui contribue aussi à réduire les risques.
Une longue quête
La publication de «Taming the Factor Zoo : A Test of New Factors» s’inscrit dans une longue quête de nouveaux moyens de surpasser le marché, selon Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital.
Dans une analyse publiée en octobre 2018 sur Lesaffaires.com («Devez-vous investir dans les fonds « bêta judicieux » ?»), ce spécialiste raconte l’histoire de cette quête qui remonte aux années 1960, à partir d’un postulat élaboré par des universitaires.
À l’époque, des chercheurs en finance découvrent que le rendement espéré de chaque action échangée en Bourse dépend de sa sensibilité aux fluctuations du marché en général, une sensibilité qui est mesurée par le bêta.
Or, au fil des ans et des décennies, l’industrie constate que ce modèle fonctionne plus ou moins bien.
En 1992, la connaissance fait un grand bond, quand les économistes américains Eugene F. Fama (prix Nobel d’économie en 2013) et Ken R. French font une découverte fondamentale en matière d’investissement : le modèle qui s’appuie sur le bêta ne fonctionne pas, car il est tout simplement incomplet.
Selon eux, le rendement espéré des actions dépend non pas d’un facteur, mais de trois facteurs : la sensibilité aux fluctuations du marché, la sensibilité aux fluctuations des actions de type valeur, et la sensibilité aux fluctuations des petites capitalisations.
Leur découverte constitue une petite révolution intellectuelle en finance.
Une révolution qui va transformer la vision de l’industrie. D’autant plus que DFA, la firme de gestion de portefeuille pour laquelle Eugene F. Fama et Ken R. French sont consultants quand ils publient leur modèle, a multiplié par 10 ses actifs sous gestion depuis 2005, en grande partie grâce aux fonds multifactoriels.
«Tout le monde s’est lancé dans la quête de nouveaux facteurs. Le secteur de la finance est presque devenu une ferme d’élevage de facteurs», souligne Raymond Kerzérho.
Aux États-Unis, Research Affiliates, pionnière dans la répartition intelligente d’actifs (smart beta and asset allocation), a été l’une des premières firmes à lancer des indices factoriels qu’on peut reproduire.
Plus récemment, au Canada, des sociétés ont lancé plusieurs FNB factoriels ou des FNB dont l’indice s’appuie sur des facteurs. Par exemple, BMO a notamment commercialisé des FNB misant sur la faible volatilité et des FNB misant sur les titres de qualité. Fidelity Investments a quant à elle lancé des FNB axés sur le facteur des dividendes en 2018.
Choisir avec soin
Malgré l’intérêt portant sur les anciens facteurs d’investissement et sur les nouveaux, les conseillers doivent être prudents, car ces produits comportent des risques, rappelle Jean-Philippe Tarte, maître d’enseignement au Département de finance de HEC Montréal.
«Ce sont essentiellement les mêmes risques que ceux liés à la gestion active ou à sa propre gestion de titres», précise-t-il.
Ainsi, au lieu de choisir des actions, on choisit des facteurs comme la rentabilité ou les dividendes pour maximiser les rendements et, ultimement, battre le marché. Il y a donc un risque de se tromper dans la sélection des facteurs et de réaliser un rendement inférieur à l’indice, explique ce spécialiste.
Cela dit, il ne suggère pas d’éviter les facteurs d’investissement. «Il faut que l’investisseur soit discipliné et soit conscient que ce sont des possibilités d’exploitation [d’un potentiel de croissance de marché] qui sont à long terme, voire à très long terme», dit-il.
Dans ce contexte, les conseillers ont tout intérêt à bien s’informer sur l’ABC de l’approche factorielle auprès des institutions financières afin de construire des portefeuilles pertinents pour leurs clients.
Ils peuvent aussi consulter divers sites Internet, dont celui de MSCI (www.msci.com/factor-investing), qui présente de nombreux renseignements techniques et historiques sur les facteurs d’investissement.