La décision de l’AMF est à contre-courant de celle de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), qui n’interdira pas les FAR dans cette province. L’Ontario est la seule province à garder les FAR.
«Je suis consterné et très déçu. C’est une journée noire pour les petits investisseurs», dit François Bruneau, vice-président, administration, de Groupe Cloutier Investissements.
Il déplore que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), dont font partie l’AMF et la CVMO, en viennent à une position non harmonisée.
«Compte tenu de la décision courageuse prise en Ontario, je me demande si le secteur québécois aurait pu être mieux servi par une commission unique dirigée de l’Ontario», lance François Bruneau. Il ne comprend pas pourquoi l’AMF n’a pas profité de la dissidence de l’Ontario pour éviter cette réforme.
«Je suis déçu et en colère !» dit Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.
«J’ai l’impression d’avoir investi beaucoup de temps, de ressources et de capital politique, et [de n’]avoir été aucunement entendu, ajoute-t-il. Sur le dossier des FAR, il n’y a rien qui ait bougé, malgré les chiffres et les cas mis en avant. Et malgré les mesures alternatives proposées, qui étaient sérieuses, raisonnables, pragmatiques et applicables, et qui permettaient de mitiger les comportements néfastes.»
Depuis juin 2018, des membres de l’industrie ont proposé aux régulateurs bon nombre de mesures d’encadrement des FAR pour éviter leur abolition et afin qu’elles soient bien utilisées. Ainsi, certains suggéraient de remplacer les FAR par des séries à rétrofacturation, pour lesquelles le conseiller et son courtier auraient le fardeau de payer les FAR si un client rachetait ses parts.
Leurs efforts ont été vains. Après avoir examiné ces solutions, l’AMF a conclu que «cet encadrement était peu efficient pour atteindre les objectifs au niveau des enjeux à régler», indique Hugo Lacroix, surintendant des marchés de valeurs à l’AMF.
Selon lui, les séries à rétrofacturation entraînent un fardeau administratif important : «On ne gagnait rien à imposer une solution très complexe pour n’arriver qu’à atténuer un risque en partie.»
François Bruneau est en désaccord : «Ce n’était pas une solution si complexe que ça à implanter. Nos partenaires en fonds distincts offrent tous des séries à rétrofacturation.» Selon lui, ces séries réglaient en grande partie les problèmes.
Maxime Gauthier promet de tout faire pour amener l’AMF à changer d’idée. «Ce qui s’est passé en Ontario démontre que le ministre des Finances d’une province peut avoir son mot à dire, surtout quand c’est un enjeu de politique publique : permettre au marché de masse d’avoir accès à des conseils financiers», affirme-t-il.
Finance et Investissement n’a pas pu obtenir l’avis du ministre des Finances du Québec sur les FAR, bien qu’il le lui ait demandé à plusieurs reprises depuis novembre 2019.
D’après Maxime Gauthier, les ACVM, sauf la CVMO, ont choisi la voie de l’extrême, en privant d’une solution les clients québécois ayant peu d’actif à investir. Soit ces clients seront «redirigés vers des institutions financières, soit ils se feront proposer des rentes et des fonds distincts, car ce ne sera pas financièrement rentable de leur donner de bons services», soutient-il.
François Bruneau abonde dans le même sens. En 2018, le Groupe Cloutier menait un sondage auprès de ses conseillers. Cette enquête révélait qu’advenant la disparition des FAR, 69 % des représentants dont l’actif sous gestion est supérieur à 10 M$ avaient l’intention de fixer un seuil d’actif minimum afin d’accepter de servir un nouveau client. Dans ce groupe, 40 % disaient avoir l’intention de placer ce seuil à 100 000 $.
Selon François Bruneau, des conseillers pourraient aussi servir ces clients, mais leur facturer plus de 1 % en honoraires basés sur l’actif investi, afin de se faire rembourser rapidement les frais initiaux d’analyse de la situation financière. Le client ayant peu d’actif à investir payera donc plus cher.
Hugo Lacroix croit plutôt que les conseillers ont maintenant des outils technologiques qui leur permettent d’offrir leurs services à des coûts d’exploitation beaucoup plus faibles que par le passé. «Cette modernisation a apporté des gains d’efficience. Les conseillers sont moins dépendants d’une structure de rémunération qui apporte son lot de problèmes», dit-il.
«L’offre de conseil sans discrimination pour le montant minimum d’investissement, pour nous, est assez abondante dans le marché», ajoute Hugo Lacroix.
Entre autres parce que les FAR représentent une part en diminution des revenus des courtiers indépendants, Hugo Lacroix ne croit pas que leur abolition «génère un impact matériel sur les courtiers en épargne collective, même ceux de plus petite taille».
L’AMF publiera des modifications réglementaires définitives au début de 2020. Il y aura une période de transition d’au moins deux ans, si bien que l’abolition n’entrera pas en vigueur avant 2022.
À compter de la date de prise d’effet de l’interdiction des FAR, il ne sera plus possible d’en offrir au Canada, sauf en Ontario. L’AMF permettra de laisser courir les calendriers de rachat avec FAR jusqu’à échéance pour les acquisitions réalisées avant cette date.
Modèle d’affaires attaqué
L’interdiction n’entraînera pas un exode au sein de la profession, d’après Hugo Lacroix. La solution au problème de relève de conseillers résiderait notamment dans la formation d’équipes, selon lui.
«Si les conseillers ne changent rien à leurs façons de faire, il est possible que ce soit plus difficile d’avoir de la rémunération dans les prochaines années. Mais si les firmes de courtage prennent un peu plus de responsabilités et de leadership dans la manière dont elles accompagnent leurs plus jeunes conseillers et les font interagir avec les conseillers d’expérience, si elles forment des équipes de travail et repensent la distribution des revenus à l’intérieur de leur firme, ça va avoir un effet positif sur la résilience de leur force de vente», indique le surintendant.
Les conseillers en fin de carrière apprécieraient le soutien de recrues et ces dernières bénéficieraient de l’expérience des premiers, selon lui. L’industrie devrait emprunter cette voie «plutôt que de rester dans une mentalité de conseillers autonomes», ajoute Hugo Lacroix.
«Ce n’est pas tout le monde qui est fait pour travailler en équipe. De s’imaginer que tout le monde va faire cette transition, c’est exagéré et nettement déconnecté de la réalité», réplique François Bruneau.
Il se dit en désaccord avec cette vision : «Ça revient à dire : « Votre modèle d’affaires n’est plus bon. Tu changes ou tu meurs ! »«
Selon François Bruneau, la force des conseillers qui travaillent avec sa firme n’est pas nécessairement de développer une relève et de la coacher, mais plutôt de servir leurs clients.
Résultat : les «loups solitaires» auront de la difficulté à vendre leur clientèle et les courtiers devront supporter davantage de coûts et de risques pour gérer leur relève, selon lui.
Maxime Gauthier est du même avis. Former des équipes peut être «difficile pour des raisons géographiques et parce qu’il y a des incohérences sur le plan des points de vue de la conduite professionnelle des affaires».
C’est sans compter le risque relativement élevé de «divorces» au sein d’une équipe de conseillers.
«Ce n’est pas une solution magique. J’ai de la difficulté avec cette incohérence de l’AMF qui n’a pas à nous dire quel modèle d’affaires adopter. Ce faisant, l’AMF avoue qu’elle met une pression sur certains modèles d’affaires et que d’autres vont en bénéficier», dit Maxime Gauthier.
L’abandon des FAR risque peu de propulser un arbitrage réglementaire entre les fonds communs et les autres produits financiers comme les certificats de placement garanti ou les fonds distincts, selon Hugo Lacroix.
«Est-ce qu’on craint un exode des capitaux des fonds d’investissement vers les fonds distincts ? Je serais très étonné qu’on voie cela.» Il n’était pas en mesure de confirmer ou non une éventuelle harmonisation entre la réglementation des fonds distincts et celle des fonds d’investissement.
Dans un communiqué, l’Institut des fonds d’investissement du Canada indique que «le secteur des fonds d’investissement aurait préféré une approche nationale harmonisée visant à préserver les choix de paiement des investisseurs, assortie d’une transparence absolue en matière de frais».
Par ailleurs, FAIR Canada appuie l’interdiction des FAR. «Ils sont en proie à des conflits d’intérêts, ciblent les investisseurs les plus vulnérables et il existe des preuves solides de ventes abusives», écrit l’organisme dans un communiqué.
Selon l’organisme, les clients ne comprennent pas les FAR et leur abolition améliorera le professionnalisme de l’industrie, car les FAR «n’incitent pas [les conseillers] à fournir des conseils et une planification financière continus, puisque le client est bloqué dans le fonds commun de placement pendant cinq ans ou plus».