Les concours de vente font partie du modèle d’affaires de la plupart des agents généraux interrogés. Les gagnants passent parfois quelques journées dans des lieux hors de l’ordinaire où l’abondance et un certain luxe confirment qu’ils sont les meilleurs dans leur domaine. Ils peuvent bénéficier de formations. Au cours de ces journées, ils se parlent de façon informelle et peuvent échanger sur leurs meilleures pratiques d’affaires.
«Les conseillers indépendants ont besoin d’être reconnus. Ce sont des travailleurs autonomes. Ils travaillent parfois de façon isolée, ce qui n’est pas facile. Ceux qui vendent beaucoup sont de fiers compétiteurs. Ils veulent être reconnus comme les meilleurs. Or, les concours désignent les meilleurs et les récompensent», résume Caroline Thibeault, directrice générale du Groupe SFGT.
Un certain nombre d’agents généraux basent leurs concours sur la vente de produits en particulier, comme les produits d’assurance vie temporaire 10 ans. À première vue, il ne semble pas y avoir de conflit d’intérêts puisque les contrats de type T10 sont souvent semblables d’un assureur à l’autre.
Cependant, évite-t-on réellement un conflit d’intérêts ? Pourrait-on, par exemple, biaiser ses recommandations en fonction du produit mis en vedette, comme la T10, aux dépens d’autres produits ?
«Ce risque est réel. Lors d’un concours portant par exemple sur la vente de T10, certains pourraient forcer la note en proposant une T10 alors qu’une T20 aurait mieux fait l’affaire», dit Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage.
Daniel Guillemette, président-fondateur de l’agent général associé Diversico Experts-conseils, se dit opposé aux concours, étant donné qu’ils peuvent «biaiser certaines ventes».
«Les concours confinent les conseillers dans des rôles qu’ils ne devraient plus assumer. On doit y mettre fin. Ma récompense à moi, ce sont les clients qui me disent que j’ai changé leurs vies. Et par nature, ces concours sont porteurs de conflits d’intérêts. Certains peuvent être tentés de couper les coins ronds afin d’aller plus vite», dit Daniel Guillemette.
Dominic Demers, président de la Financière S_Entiel, évoque une certaine vulnérabilité propre aux petits agents généraux. «Supposons qu’un petit agent général n’ait que deux contrats directs avec des assureurs. Ses concours seront probablement biaisés en faveur de ces deux assureurs», dit-il.
Écueil de la vente sous pression
Un autre problème pourrait éventuellement se poser aux organisateurs de concours, à savoir celui de la vente sous pression, estime Adrien Legault, directeur des finances et chef de conformité chez Aurrea Signature.
«Un concours peut susciter des ventes rapides. Ces ventes se font-elles dans l’entourage du conseiller, par exemple auprès des membres de sa famille ? A-t-on indûment incité le client à signer rapidement ? On doit examiner ce genre de choses de très près», dit-il.
Rappelant que les concours des agents généraux sont partiellement financés par les assureurs, Adrien Legault ajoute que leurs promoteurs pourraient tout de même nuire à leurs propres intérêts en promouvant la vente de produits spécifiques.
«Si un concours portait, par exemple, sur la vente de produits d’assurance vie temporaire, il n’est pas certain que cela réjouirait les assureurs spécialisés en prestations du vivant», illustre-t-il.
Hors des produits spécifiques
La plupart des agents généraux ne rejettent pas les concours.
Afin d’éviter les conflits d’intérêts, un certain nombre disent exclure les concours axés sur les produits pour se concentrer sur le chiffre d’affaires global ou sur des secteurs d’activité en particulier, par exemple les produits de prestations du vivant.
Ainsi, chez Aurrea Signature, «on ne considère que les primes et les dépôts», dit Adrien Legault.
Les congrès annuels de son organisation regroupent les 40 meilleurs conseillers de l’année, «peu importe le type de produits vendus», d’après Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers. «Ces congrès regroupent des gens passionnés, ouverts et enthousiastes à l’égard du partage d’expériences. Ils parlent de leurs problématiques, de leurs façons de faire et de leurs succès», affirme-t-il.
Directeur exécutif des ventes, marchés avancés, à la Financière MSA, David Benamron signale exclure les concours de ventes axés sur des produits particuliers.
«Tous nos concours ont pour but de récompenser nos conseillers qui produisent le plus, toutes compagnies confondues. Par contre, nous réservons toujours des places pour un petit nombre de conseillers qui démontrent du potentiel et dont l’essor professionnel est mesurable, question de garder toute notre force de vente motivée et non pas seulement les mêmes 10 ou 15 courtiers», explique David Benamron.
Pour sa part, la Financière S_Entiel a adopté un système par points afin de ne pas négliger les produits les plus difficiles à vendre. «En assurance vie, les points reflètent les commissions de première année. On octroie deux fois plus de points aux produits de prestations du vivant, qui sont insuffisamment vendus à notre avis», dit son président, Dominic Demers.
Guy Duhaime suggère de s’inspirer de l’univers de l’épargne collective : «Lors d’une campagne REER, personne ne dit aux clients où ils devraient investir leur argent. On ne devrait donc pas faire de concours sur des produits, mais plutôt sur des objectifs de ventes.»