À l’évidence, l’auteur et professionnel du placement Jacques Lussier ne peut rester très longtemps sans partager le fruit de ses recherches en gestion d’actifs. Publié par le CFA Institute, son dernier livre, Secure Retirement : Connecting Financial Theory and Human Behavior (2019), nous amène cette fois-ci sur le terrain touffu des relations entre la théorie financière et la planification de la retraite.
Au terme de ses dernières recherches, Jacques Lussier est sans équivoque : «En planification de la retraite, la recherche scientifique est particulièrement pauvre. L’industrie affirme beaucoup de choses qui se présentent comme des vérités, mais qui ne sont absolument pas appuyées par la recherche», affirme-t-il.
Stratège en chef des investissements chez Desjardins Gestion internationale d’actifs pendant 18 ans, Jacques Lussier s’était lancé dans l’aventure entrepreneuriale en 2013 à titre de président et chef des placements chez Ipsol Capital.
Dans un profil publié en première page en décembre 2017, Finance et Investissement se demandait comment cet ancien professeur de HEC Montréal trouvait le temps et l’inspiration pour rédiger ou corédiger ses précédents livres, Successful Investing Is a Process (2013) et Rational Investing (2017). «Je travaille sur des choses qui m’intéressent mais qui n’auront pas nécessairement d’impact à court terme sur la firme [Ipsol Capital], peut-être à long terme», disait-il alors.
Les lecteurs cibles de Secure Retirement – à savoir les conseillers, les fournisseurs de services en planification financière et les investisseurs avisés – pourraient, eux aussi, aborder ce livre dans une optique à long terme. Car on n’y trouvera pas un guide pratique de la planification de la retraite.
Ils pourraient toutefois, en y mettant le temps et l’énergie, éprouver le plaisir de confronter leurs points de vue et les soi-disant «vérités» de l’industrie aux résultats de la recherche et de la réflexion d’un auteur hautement coté par ses pairs.
Rappelons que Jacques Lussier a déjà reçu le prestigieux prix Outstanding Contribution to CFA Institute Education Programs en raison de ses livres et documents de recherche, dont Portfolio Structuring and the Value of Forecasting (en ligne), un des textes les plus consultés de l’histoire du CFA Institute.
Afin de vérifier la validité de certaines «vérités» de l’industrie sur la planification de la retraite, Jacques Lussier a bâti un engin de simulation. Affirmations et hypothèses étaient ensuite passées à la moulinette d’une foule de scénarios possibles.
Idées au tordeur
Dans son livre, l’auteur aborde des idées reçues qui devraient être revisitées. Lesquelles ?
«Les rentes et leur attractivité arrivent peut-être en tête de liste. Selon plusieurs, en situation de faibles taux d’intérêt, les rentes ne seraient plus intéressantes. Or, il vaut quand même la peine d’en acheter dans certaines situations», signale Jacques Lussier.
Ainsi, les rentes pourraient prendre la place d’une certaine portion d’obligations détenues en portefeuille. «En détenant une portion de rentes dans leurs avoirs, les retraités pourraient prendre un peu plus de risques. Les rentes permettraient alors de mitiger le risque le plus important à la retraite, qui est de générer suffisamment de revenus, particulièrement lors d’un choc financier», précise l’auteur de Secure Retirement.
Par exemple, a-t-il constaté, un investisseur consacrant 30 % de son portefeuille à des rentes et qui maintiendrait, à la retraite, une allocation de 60 % en actions se retrouverait «très généralement» en meilleure situation à long terme qu’un individu qui n’aurait pas de rentes, mais qui maintiendrait un portefeuille plus conservateur de 40 % d’actions.
Jacques Lussier désigne une seconde idée reçue : le fait de croire qu’une stratégie, et une seule, suffirait pour protéger le retraité jusqu’à sa mort.
«En planification de la retraite, les stratégies doivent être vues de façon dynamique. On sait qu’entre 30 et 60 ans, il est important de réévaluer sa situation chaque année. C’est la même chose à la retraite, car l’état du portefeuille varie. Une planification continue permet de constater si la stratégie suivie est soutenable», déclare-t-il, tout en évoquant la nécessité des révisions annuelles en fonction des rendements obtenus.
«Par exemple, on pourrait recommander une diminution de 3 % des dépenses de consommation d’un client dont les rendements auraient été faibles au cours de l’année précédente. Et l’année d’après, on recommanderait autre chose en raison de l’amélioration des rendements obtenus. Bref, la planification est un processus dynamique», dit-il.
Mais pour planifier de façon dynamique, ajoute-t-il, «il faut avoir développé des algorithmes qui évaluent continuellement la capacité du portefeuille à supporter les retraits envisagés».
Au cours de sa recherche, Jacques Lussier s’est également penché sur les outils informatiques de gestion de la retraite. Qu’ils s’adressent au grand public ou aux professionnels, ces outils ne sont pas encore à la hauteur des attentes, prévient-il.
«Un des grands problèmes, c’est qu’ils ne précisent pas leurs hypothèses. Par exemple, dans le cas de certains outils, on ne connaît pas toujours les hypothèses de rendements futurs ou encore le processus de traitement fiscal des avoirs et des revenus. C’est encore pire quand il s’agit d’envisager l’espérance de vie d’un retraité. Lorsque j’analysais des situations types avec mon simulateur et que je les comparais avec les résultats de ces outils, les écarts de plus de 20 % étaient monnaie courante», signale l’auteur.
Fourmillant de pistes de réflexion, ce livre très substantiel de 274 pages peut être consulté gratuitement sur le site du CFA Institute.