Dans certains secteurs boursiers, il est devenu rare de battre les indices année après année et sur de longues périodes. La quête de l’alpha devient-elle illusoire ?
Aucun frappeur de baseball des ligues majeures n’a atteint une moyenne au bâton d’au moins ,400 depuis Ted Williams… en 1941 ! Or, les joueurs de baseball d’aujourd’hui ne sont pas moins bons que leurs prédécesseurs. Ils seraient simplement devenus meilleurs dans leur ensemble, l’écart des habiletés entre les meilleurs et les moins bons s’étant rétréci.
Le même phénomène se serait produit en investissement dans l’univers des marchés considérés comme plus efficients, particulièrement le secteur de la gestion active d’actions américaines. Si les gestionnaires de fonds d’actions américaines sont peu nombreux à battre régulièrement leurs indices, c’est parce que leur degré de compétence et le soutien technologique ont monté en flèche, et que les moins bons ont quitté la table sous la pression des stratégies indicielles et de la baisse des frais de gestion.
Tel est le «paradoxe de l’expertise» énoncé par Michael Mauboussin il y a quelques années. Son point de vue continue à être débattu dans les médias financiers, notamment chez Morningstar.
«Au fond, il a raison»
Auteur et praticien des marchés financiers, Jacques Lussier donne raison à son collègue américain.
«Au fond, Michael Mauboussin a raison. La qualité de l’expertise des gestionnaires d’actions tend à augmenter et il devient de plus en plus difficile de dire qui battra les indices sur de longues périodes», dit Jacques Lussier.
«De plus, l’intelligence artificielle accélérera ce phénomène. La machine apprend désormais d’elle-même ! Le défi d’identifier les gestionnaires de fonds qui battront leurs indices devient gigantesque, surtout dans des secteurs comme celui des actions américaines», ajoute le cofondateur de la défunte Ipsol Capital et ancien stratège en chef de Desjardins Gestion internationale d’actifs.
Jacques Lussier a reçu en 2018 le prestigieux prix Outstanding Contribution to CFA Institute Education Programs. Il est l’auteur de Successful Investing Is a Process: Structuring Efficient Portfolios for Outperformance, de Secure Retirement: Connecting Financial Theory and Human Behavior, et coauteur de Rational Investing: The Subtleties of Asset Management.
Il signale que les performances des gestionnaires d’actifs varient en fonction des domaines couverts. «Environ la moitié des gestionnaires d’obligations globales battent leurs indices de référence sur une période de 10 ans. En revanche, il est rare que plus de 20 % des gestionnaires d’actions, quel que soit le style, réussissent l’exploit. Chez les gestionnaires de fonds de sociétés à grande capitalisation américaines, le résultat est de 12 %», précise-t-il.
Nouveau rôle en gestion d’actifs
En supposant que le phénomène du «paradoxe de l’expertise» s’étende aux divers domaines de la gestion d’actifs, ses spécialistes auront toujours un rôle à jouer, affirme Jacques Lussier.
«Plutôt que de tenter de battre les indices, les gestionnaires d’actifs pourraient éventuellement créer des portefeuilles adaptés aux besoins de clientèles spécifiques dans un contexte de planification à long terme. Ces portefeuilles pourraient, par exemple, être bâtis en vue de résister aux brusques baisses de marchés pouvant survenir en cas de fortes corrections. Ou encore, être bâtis en vue de générer énormément de revenu courant, tels des dividendes», dit Jacques Lussier.
Il ajoute qu’il est «plus plausible d’utiliser la gestion active ciblée pour améliorer, par exemple, la distribution des revenus anticipés à la retraite».
Toutefois, cet objectif nécessitera que les gestionnaires conjuguent leur savoir-faire en gestion de portefeuille avec une expertise en planification financière.