En juillet dernier, les conseillers captifs de la London Life recevaient une lettre de Hugh Moncrieff, vice-président exécutif responsable de la distribution de la Canada Vie. Il leur enjoignait de placer leurs affaires auprès du Groupe Financier Horizons.
En parallèle, de7s conseillers d’élite de l’ancien réseau indépendant Clé d’Or de la Great-West ont été incités à placer l’intégralité de leurs affaires chez Horizons en échange de meilleurs bonis.
«Il est normal que les conseillers captifs de l’ex-London Life soient dorénavant servis par Horizons puisque nous faisons partie de la même entreprise», dit James McMahon, président pour le Québec du Groupe Financier Horizons.
Quant aux bonis d’encouragement versés aux conseillers indépendants de l’ancienne Clé d’Or, James McMahon dit «comprendre l’inquiétude de mes concurrents. Toutefois, rien n’interdit aux agents généraux d’offrir de meilleurs bonis aux conseillers en cas de consolidation de leurs affaires sous un même toit», rétorque-t-il.
Conseillers d’élite dans la mire
Depuis 2017, les conseillers d’élite indépendants de l’ancienne Clé d’Or sont regroupés dans une structure appelée «Groupe de solutions d’assurance et de gestion de patrimoine», plus connue sous son acronyme anglais WISE (pour Wealth and Insurance Solutions Enterprise).
Ces conseillers à haut volume vendent les produits de la Canada Vie et d’autres assureurs tels que Manuvie, l’Empire Vie, etc.
Marc Bérubé, président du cabinet Coaching Financier Trek, est l’un de ces conseillers WISE.
«Nous avons transféré nos affaires chez Horizons, car les bonis sont sensiblement plus élevés. Si mon ancien agent général m’avait offert un service extraordinaire, j’aurais hésité et il y aurait eu possibilité de négociation. Cependant, je n’avais pas un service extraordinaire et les commissions d’Horizons sont sensiblement supérieures à ce que nous touchions auparavant», dit-il.
Ces bonis élevés sont-ils permanents ? Resteront-ils longtemps en place ?
«En fait, rien n’empêcherait qu’un jour, Horizons ramène sa structure de bonification à une échelle plus basse. C’est un risque réel, mais qui en vaut la chandelle», répond Marc Bérubé.
Selon des agents généraux contactés par Finance et Investissement, d’autres risques sont en jeu.
«Une étrange concurrence»
Le président de l’agent général Financière S_Entiel, Dominic Demers, s’interroge sur l’évolution des choses chez Horizons. «Assiste-t-on à la transformation d’un fournisseur en distributeur ? Peut-on avoir une guerre de bonis avec un agent général dont le propriétaire est celui qui paie les bonis ? C’est un non-sens !» dit-il.
Michel Kirouac, vice-président et directeur général du Groupe Cloutier, ne mâche pas ses mots : «Un de nos propres fournisseurs nous fait concurrence. C’est inusité !»
«C’est une étrange concurrence, compte tenu du fait que les autres assureurs n’ont jamais fait cela, ajoute-t-il. Par exemple, iA Groupe financier n’a jamais incité les conseillers à consolider leurs affaires chez PPI. Pour une organisation comme la nôtre, l’impact immédiat n’est pas énorme. Par contre, nous sommes quand même froissés de constater cette concurrence [de la part] d’un fournisseur qui pourrait nous enlever de bons conseillers», dit Michel Kirouac.
Du côté de Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier, la réaction est tout aussi vive. «Cette concurrence est-elle déloyale ? On peut se poser la question !»
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«En fait, nous sommes en train de nous faire cannibaliser par un de nos propres fournisseurs ! Et nous ne pouvons manifestement pas offrir des bonis aussi élevés, car nos assises financières ne sont pas les mêmes que celles de la Canada Vie», dit-il.
Chez Aurrea Signature, on note un sentiment d’inconfort. «En tant qu’agent général de la Canada Vie, on a l’impression d’être concurrencé par notre fournisseur… Cela peut susciter un certain inconfort», dit Adrien Legault, directeur des finances et chef de la conformité.
Crainte de maraudage
«C’est inquiétant. Cette concurrence est inégale, car nous n’avons pas les mêmes sources de revenus que les assureurs. Ils peuvent sacrifier la part de rémunération de l’agent général, car ils font leurs profits en tant que manufacturiers de produits», indique Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.
Ce dernier évoque une autre crainte, celle du «maraudage». «Il serait facile pour la Canada Vie de cibler les conseillers indépendants qui vendent leurs produits de façon à les approcher et à leur proposer des bonis supplémentaires en cas de passage chez Horizons.»
«Ils ne l’ont pas fait jusqu’à présent, poursuit-il. Je suis toutefois persuadé que des conseillers pourraient éventuellement se regrouper afin de mettre leurs volumes de vente en commun de façon à toucher ces bonis supplémentaires. Mais s’ils le faisaient, ils se jetteraient dans la gueule du loup, car ils en viendraient à perdre leur indépendance.»
Michel Kirouac sonne également le tocsin et s’interroge sur la définition de l’indépendance à la Canada Vie. Il souligne que la rémunération chez Horizons pourrait éventuellement être modifiée.
«Une fois transférés chez Horizons, il ne faudrait pas se surprendre de voir les conseillers subir une baisse de leurs rémunérations et ne plus pouvoir rien faire», note Michel Kirouac.
«Possible conflit d’intérêts»
Ce dirigeant du Groupe Cloutier ajoute une dernière mise en garde : «Un assureur veut acheter un réseau de distribution parce qu’il aura notamment accès à un portrait du marché qu’il ne pourrait pas avoir d’autres façons.»
«Par exemple, s’il observe que certains aspects d’une police d’assurance temporaire de l’assureur XYZ obtiennent les faveurs des consommateurs et des conseillers, rien ne l’empêcherait alors de modifier ses propres temporaires afin de prendre cette place. Cela soulève la possibilité de conflits d’intérêts», explique Michel Kirouac.
Il ajoute des paroles assez dures : «Nous sommes très surpris de voir les autres assureurs rester dans de tels réseaux.»
Yan Charbonneau évoque une problématique similaire : «L’assureur sera-t-il en position de favoriser ses propres produits ? L’hypothèse est crédible.»
À l’inverse, Yves Gosselin, qui a été porte-parole du défunt Groupe de travail des agents généraux du Québec, se veut résolument optimiste. Rappelons qu’au début des années 2010, ce regroupement prônait un nouveau modèle selon lequel les conseillers en sécurité financière n’auraient fait affaire qu’avec un seul agent général.
«Tous les assureurs sont à l’affût de l’évolution d’Horizons. Je suis certain qu’ils surveillent de près le volume des ventes effectuées auprès de cet agent général. Il ne faut pas que les privilèges de la Canada Vie soient indus. L’équilibre est dynamique et tous doivent gagner au change», dit-il.
«Car c’était écrit dans le ciel, les assureurs s’intéressent désormais de près aux stratégies de distribution. Ils veulent affermir leurs parts de marché et jouer leur rôle dans la conformité des conseillers», poursuit Yves Gosselin, qui est maintenant consultant.
Étant donné que les autorités de réglementation tiennent ultimement les assureurs pour responsables de la distribution, explique-t-il, ces mêmes assureurs «veulent désormais avoir un droit de regard sur la distribution».