L’investissement responsable (IR) ou les produits prenant en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont toujours plus populaires, pourtant il reste encore beaucoup de travail à faire autant de la part des gouvernements, que de celles de sociétés, et même des professionnels de la finance.
Un marché loin d’être à maturité
Selon les chiffres du Rapport de tendances de l’IR canadien 2018, les actifs d’IR canadiens représentaient 50,6 % du total des actifs sous gestion canadiens. Cela devrait impliquer que l’IR devient une nouvelle norme et que tout le monde sait de quoi il s’agit, mais ce n’est pas le cas, souligne Rosalie Vendette.
L’experte en finance durable estime déjà, comme plusieurs spécialistes, que ces chiffres sont un peu surévalués.
« Il peut y avoir déjà double comptage, mais c’est aussi que ça prend en considération l’ensemble des actifs d’une organisation alors que dans les pratiques, on n’est pas encore tout à fait là, explique la spécialiste en entrevue avec Finance et Investissement. Il y a une différence entre déclarer qu’on a une politique qui s’applique à l’ensemble de ses actifs et mettre en place le processus pour qu’il soit partout et de former tout son monde. »
Ainsi, dans les institutions, il y a encore beaucoup de professionnels de la finance à former sur l’IR et l’ESG. De plus, la plupart des universités n’offrent pas encore de cours sur ces sujets, donc les professionnels de la finance qui sortent aujourd’hui n’ont pas beaucoup de connaissances de base sur l’ESG.
Selon elle, il est important de préciser que l’IR représente à peu près 50 % des actifs des investisseurs institutionnels. « Le côté des investisseurs individuels est à peu près inexploité », souligne Rosalie Vendette.
Les chiffres de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) vont aussi dans ce sens. À la fin 2019, les fonds communs de placement d’investissement responsable totalisaient 12 milliards de dollars (G$) et les Fonds négociés en Bourse (FNB) d’investissement responsable, 654 M$. Cela représente 0.7 % du total de l’actif des fonds communs de placement et 0.3 % de l’actif des FNB respectivement.
« On est loin de la maturité, commente-t-elle. Il y a encore énormément de travail pour toute l’industrie. »
Une discussion à engager
Cet état de fait est une belle occasion pour les conseillers. Ceux-ci devraient en profiter pour aborder le sujet de l’IR et des produits ESG avec leurs clients. Cela leur permettra tout d’abord de conserver une clientèle jeune, car on sait que l’ESG est un sujet qui intéresse beaucoup les milléniaux, affirme Rosalie Vendette.
Toutefois, s’il y a quelques années, ces produits intéressaient en premier lieu les jeunes et les femmes, les différences d’âge et de sexe commencent à s’estomper. Ainsi, en parlant d’ESG et d’IR, les conseillers attireront peut-être une clientèle jeune, mais s’assureront également de conserver leur clientèle déjà acquise. En abordant ce sujet, ils démontrent surtout qu’ils restent actuels et informés.
« Si les conseillers ne veulent pas perdre de la clientèle, c’est bien de continuer à la satisfaire et plus on connaît son client, plus notre service pourrait augmenter en qualité. Donc si on parle aux clients d’autres choses que simplement les rendements financiers, qu’on ouvre la discussion sur l’ESG, ça peut être intéressant », note Rosalie Vendette.
Il est également important d’aborder ce sujet, car certains mythes ont encore la peau dure…
Pas moins de rendements financiers
Malgré les études et les nombreuses répétitions, nombre d’investisseurs croient encore que les produits ESG ont de moins bons rendements financiers, affirme Rosalie Vendette. « Je pense qu’au niveau institutionnel on a gagné cette bataille, mais pas au niveau individuel », précise-t-elle.
L’experte ne s’explique pas pourquoi les gens continuent de penser qu’ils doivent choisir entre environnement et finance, alors que ces deux éléments sont loin d’être opposés. Pensent-ils que c’est trop beau pour être vrai?
« Aux investisseurs qui me disaient ça, je leur répondais, ça vous coûte quoi d’essayer, d’un coup que c’est vrai. »
Manque de connaissances
Avant de se lancer dans l’IR, il semble évident que les investisseurs individuels doivent s’informer : sur les entreprises dans lesquelles ils veulent investir, mais également avant tout, sur leurs placements. L’investisseur doit comprendre les placements qu’il a actuellement et décider lesquels il désire avoir, notamment en en discutant avec son conseiller, conseille Rosalie Vendette.
« C’est une très belle occasion pour les gens de s’intéresser à leur épargne. Il faut savoir que la plupart des gens savent que le REER c’est une coquille fiscale, un véhicule, mais peu savent ce qu’ils ont dedans », ajoute-t-elle.
Selon elle, l’IR est un bon moyen de faire en sorte que les investisseurs prennent conscience des répercussions économiques de leur argent et du fait, qu’avec leurs capitaux, « ils participent à l’économie de demain ».
« Quelle économie, quelle vie on veut à long terme, c’est cette réflexion-là à laquelle on invite les gens quand on fait de l’IR », précise-t-elle.
Quel type de placements privilégier
Il existe plusieurs types de produits d’IR. Ceux qui prônent l’exclusion, soit éviter les compagnies pétrolières, celles qui emploient des enfants ou liées au tabac, etc., mais aussi les titres qui veulent favoriser la transition. Les investisseurs peuvent également avoir un impact en profitant de la voix que leur donne leur investissement pour avoir un impact sur les procédures d’une compagnie et ainsi la rendre plus responsable. Évidemment, cette dernière méthode demande plus de collaboration pour avoir plus de poids sur le conseil d’administration de la compagnie, mais c’est certainement une méthode très efficace pour faire changer les choses.
Pour Rosalie Vendette, nul besoin de choisir l’une ou l’autre méthode. « Des combinaisons peuvent être faites pour faire travailler des stratégies en complémentarité, déclare-t-elle. Tout dépendamment du profil d’investisseur peut-être qu’on est capable de faire varier les proportions. »
Le choix dépend également de l’intention de la personne. Toutefois, il est bon de faire attention. Beaucoup d’investisseurs optent ainsi pour l’exclusion en imaginant que cela fonctionne comme lorsque l’on boycotte une société, alors que cela n’a rien à voir.
« Dans le marché de consommation, si on décide d’exclure un produit ou un service, on prive la compagnie du revenu. Mais lorsque l’on veut par exemple exclure les énergies fossiles, l’investisseur tombe déjà dans un marché secondaire et cela n’a pas un impact sur les compagnies. Si ça avait été le cas, ça aurait fonctionné pour le tabac, mais le tabac se porte très bien », explique l’experte.
Si l’objectif est de réduire les gaz à effet de serre (GES), cela n’est à nouveau pas la bonne solution. En pratiquant l’exclusion, cela réduit les GES, mais uniquement dans le portefeuille de l’investisseur, non dans l’atmosphère.
Toutefois, si l’intention est de priver l’entreprise de son propre capital, à ce moment-là, l’investisseur est fidèle à sa volonté.
L’essentiel pour les conseillers, c’est de comprendre quelle est la volonté de son client et d’ensuite le conseiller sur les meilleures façons d’y parvenir.