En raison de la COVID-19, les gestionnaires de risque connaissent désormais l’impact de facteurs externes, comme les changements climatiques ou les maladies infectieuses en l’occurrence, sur l’économie. On peut donc s’attendre à ce qu’ils intègrent davantage les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs modèles, selon les conclusions de Millani à la suite d’entretiens menés auprès d’investisseurs institutionnels canadiens.
La société qui offre des services-conseils d’intégration ESG aux investisseurs et aux entreprises a ainsi interrogé 23 investisseurs institutionnels, représentant un actif sous gestion total de 2,3 billions de dollars, sur la façon dont, selon eux, la COVID-19 changera les priorités des investisseurs canadiens.
L’ESG pas près de disparaître
Les trois quarts des répondants (74 %) pensent que la COVID-19 aura un impact positif sur l’ESG. Lors de l’effondrement des marchés en mars, Morningstar a montré que les fonds ESG avaient mieux résisté. De plus, au mois d’avril, les fonds ESG ont connu leur plus haut niveau de croissance depuis qu’ils sont suivis. On voit donc l’intérêt des investisseurs pour ce type de fonds.
Les investisseurs estiment qu’à long terme, cette crise aura pour effet de mettre davantage l’accent sur l’impact des investissements.
« La pandémie met en évidence des risques qui étaient faibles et qui auront désormais fort probablement un impact élevé. Cela fera certainement partie des ajouts à la planification des risques dans la sélection des titres pour la gestion des portefeuilles. Elle fera partie intégrante de l’analyse des risques de tout investissement », ajoute un sondé.
Des priorités différentes
Cependant, il se peut que l’analyse ESG ne soit pas tout à fait celle d’avant la crise. La pandémie ayant souligné l’importance de l’aspect social, il se pourrait que ces questions soient mises de l’avant dans les analyses futures des entreprises. Ainsi, les investisseurs pourraient s’intéresser davantage aux questions liées à la protection des travailleurs, aux avantages en matière de santé et à la durabilité de la chaîne d’approvisionnement.
Afin d’évaluer les entreprises tout au long de la crise et comprendre leur résilience face à cet événement, la majorité des sondés (57 %) affirment d’ailleurs avoir ajusté leurs priorités d’engagement clé. L’accent a ainsi été mis sur le capital humain et la façon dont les entreprises interagissent avec toutes les parties prenantes
« La seule chose qui vient à l’esprit est l’élément du capital humain, en se concentrant vraiment sur les parties prenantes et non pas seulement sur l’actionnaire. Il y aura un changement d’orientation marqué à l’avenir », affirme un répondant.
D’autres éléments tels que la chaîne d’approvisionnement pourrait également prendre davantage d’importance suite à la pandémie.
« Les investisseurs obtiennent des informations qu’ils n’avaient pas auparavant en ce qui concerne la fragilité des chaînes d’approvisionnement et certaines ententes en matière d’emploi. Ce sont des sujets sur lesquels nous poserons probablement plus de questions. Cela renforcera peut-être l’élan derrière certains des éléments et signifiera ainsi une adoption plus large », affirme ainsi un des répondants.
Finalement, la façon dont les entreprises ont géré la crise actuelle sera également mise sous la loupe. Par exemple, on tiendra compte du fait qu’une entreprise ayant licencié des personnes ait décidé de ne pas verser de dividende ou les changements apportés à la rémunération des dirigeants dans un contexte de licenciements massifs. Ces questions de gouvernance pourraient affecter durablement la réputation d’une entreprise.
« La façon dont vous gérez cette crise en tant qu’entreprise différenciera deux entreprises au sein d’un même secteur. Comment l’ont-elles gérée? Comment ont-elles agi sur le plan humain? Ont-elles tiré profit de manière vicieuse des occasions qui se sont présentées? », exemplifie un sondé.
Beaucoup d’efforts pour les investisseurs et les entreprises
En raison de l’intérêt attendu pour les facteurs ESG, les entreprises et les gestionnaires de portefeuille devront faire de nombreux efforts.
Pour les gestionnaires de portefeuille, l’ESG était devenu un facteur de différenciation. Il est donc raisonnable de penser que certains gestionnaires auront beaucoup de rattrapage à faire pour suivre le rythme de leurs pairs ayant mis en œuvre des pratiques d’intégration de l’ESG depuis des années, note Millani dans son rapport.
Surtout que les gestionnaires auront certainement à faire face à davantage de questions, certainement plus sophistiquées, sur ces sujets de la part des investisseurs.
Du côté des entreprises, les investisseurs s’attendent en majorité (65 %) à une amélioration de la divulgation ESG. Les entreprises devront donc faire preuve de davantage de transparence.
« Les entreprises devront augmenter leurs efforts. Supposons que dans un an, il sera plus difficile de ne pas avoir de divulgation dans le marché. Ce sera inacceptable », assure un répondant.
Les investisseurs interrogés estiment également que les entreprises devront ajuster leur mode de fonctionnement. Ils pensent ainsi qu’il sera nécessaire de supprimer les barrières internes et les structures hiérarchiques, afin de maintenir des canaux de communication ouverts.
« Il pourrait s’agir de redéfinir les attentes à l’égard du conseil d’administration et de ses responsabilités, et de mettre l’ESG au sommet de l’ordre du jour du conseil d’administration », conclut un des répondants.