Le modèle d’autoréglementation actuel est jugé inefficient et, pour l’améliorer, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) propose de fusionner ses activités avec celles de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM).
C’est ce qu’on retrouve dans le mémoire présenté par l’OCRCVM dans le cadre des consultations qu’entendent mener les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur les façons d’améliorer le modèle d’autoréglementation au Canada.
L’OCRCVM et l’ACFM formeraient les divisions d’un même organisme d’autoréglementation (OAR), selon la proposition de l’Organisme. En 10 ans, cette mesure permettrait « d’économiser des centaines de millions de dollars grâce à la réduction des formalités administratives et du fardeau réglementaire en double, et ces sommes pourraient être réinvesties dans l’innovation, le service à la clientèle et la croissance économique partout au Canada », d’après le mémoire de l’OCRCVM.
La proposition ne viendrait pas perturber le cadre de réglementation ni les modèles d’affaires ou les barèmes de frais actuels, promet l’Organisme. Voici plus précisément ce qu’il propose.
Dans la structure actuelle, une règle exige « qu’une personne inscrite en épargne collective auprès de l’OCRCVM possède la formation et les compétences supplémentaires nécessaires pour offrir tous les types de titres — même si elle ne vend que des titres d’organismes de placement collectif (OPC) [comme des fonds communs de placement et certains fonds négociés en Bourse] ». On appelle cette règle « l’obligation de mise à niveau des compétences ».
Essentiellement, cette règle interdit à un courtier en placement membre de l’OCRCVM d’employer une personne dont l’inscription est limitée à l’épargne collective.
« Pour pouvoir le faire, il doit créer une société de courtage en épargne collective entièrement nouvelle, c’est-à-dire une entité juridique distincte disposant de ressources et de systèmes administratifs, de surveillance et de conformité en double et complètement distincts », lit-on dans le mémoire.
De nombreux courtiers assujettis aux deux régimes de réglementation ont dû emprunter cette voie coûteuse, d’après l’OCRCVM.
Pour éviter cette situation, il pourrait éliminer l’obligation de mise à niveau des compétences. Les courtiers en placement pourraient ainsi créer un groupe offrant uniquement des titres d’OPC, sans avoir à établir une entité distincte sur la plateforme de l’ACFM.
« Le problème que présente cette solution simple est l’incidence défavorable qu’elle pourrait avoir sur la capacité des courtiers en épargne collective d’être réglementés de manière économique », indique cependant l’OCRCVM.
En effet, une part importante des courtiers assujettis aux deux régimes de réglementation chercheraient à déplacer leurs personnes inscrites de la plateforme de l’ACFM à la plateforme de l’OCRCVM si l’obligation de mise à niveau des compétences était éliminée.
« Même si elle n’entraînait pas une moins grande surveillance réglementaire, puisque l’OCRCVM surveille déjà les opérations sur titres d’OPC, la simple élimination de l’obligation de mise à niveau des compétences réduirait substantiellement le nombre de membres de l’ACFM et augmenterait les coûts réglementaires des membres restants », lit-on dans le mémoire.
D’où l’idée de regrouper l’ACFM et l’OCRCVM.
Un OAR, deux ensembles de règles
Après la fusion, les courtiers et les personnes inscrites pourraient choisir d’exercer les mêmes activités que maintenant et d’être soumis au même degré de réglementation, suggère l’OCRCVM. Ils pourraient aussi regrouper leurs activités soumises à un encadrement au sein d’une des deux divisions du nouvel organisme.
« Plutôt que de créer un tout nouveau manuel de réglementation consolidé — exercice qui, d’après notre expérience, s’échelonnerait sur des années —, [cette] solution [est] plus simple », lit-on dans son mémoire.
Cette proposition d’avoir deux ensembles de règles au sein d’un même OAR écarte, en théorie, deux obstacles qui risquent d’enliser les débats entourant la solution de l’OCRCVM.
Le premier concerne l’option qu’ont les courtiers en épargne collective membres de l’ACFM de réacheminer les commissions touchées par un représentant à une société par actions non inscrite. Cette possibilité accorde un avantage fiscal important aux représentants encadrés par l’ACFM alors que l’OCRCVM ne le permet pas actuellement.
Au Québec, le partage de commission entre un représentant en épargne collective et une société par actions non inscrite est permis sous certaines conditions. Notamment, des services doivent être réellement rendus par cette société au conseiller et les honoraires versés doivent être raisonnables.
Le deuxième obstacle porte sur le fait qu’il est commun, chez les courtiers en épargne collective, d’effectuer des opérations dans des comptes « au nom du client ». Au sein des firmes encadrées par l’OCRCVM, il est plutôt commun que les opérations se fassent dans des comptes « au nom d’un prête-nom », aussi désignés comme comptes nominee.
« Un compte détenu “au nom du client” est enregistré au nom de celui-ci et inscrit comme tel dans les dossiers de l’OPC. Lorsqu’un compte est détenu “au nom d’un prête-nom”, le courtier est le détenteur inscrit des fonds et les détient en dépôt fiduciaire pour le client », précise-t-on dans le mémoire de l’OCRCVM.
L’utilisation des comptes nominee est en croissance chez les courtiers en épargne collective, même s’ils ne le favorisent pas tous.
De plus, le fait que les comptes au nom du client soient répandus dans le courtage en épargne collective expliquerait, en partie, la relativement faible proportion des comptes à honoraires dans ce secteur, contrairement à ce qui prévaut au sein des courtiers en placement.
Ainsi, le fait de conserver deux ensembles de règles au sein d’un même OAR permet d’éviter les choix contraignants, facilitant l’adoption de la solution de l’OCRCVM.
Fusion favorable aux FNB?
La fusion ACFM-OCRCVM écarterait un obstacle réglementaire à la distribution de fonds négociés en Bourse (FNB) et de fonds négociés sur une plateforme (FNP), selon l’OCRCVM.
Suivant le cadre actuel, les courtiers en épargne collective peuvent distribuer des FNB et des FNP qui sont des OPC. Certains courtiers, pour des raisons technologiques, sont limités à cet égard.
L’OCRCVM constate que les FNB et les FNP sont presque entièrement inaccessibles par l’intermédiaire des membres de l’ACFM. « En raison des contraintes réglementaires et opérationnelles découlant de la structure actuelle, il est difficile pour les courtiers en épargne collective de distribuer ces produits de façon efficiente », lit-on dans son rapport.
En effet, ils ne peuvent pas avoir accès, au moyen de ce qu’on appelle une « relation remisier-courtier chargé de comptes », à un système de compensation et de règlement par l’entremise d’un courtier en placement, selon l’Organisme.
« Cette restriction limite grandement la capacité pratique de la plupart des courtiers en épargne collective à placer auprès de leurs clients bon nombre des produits de placement les plus efficients offerts aujourd’hui — notamment les FNB et les FNP — même lorsque leurs représentants sont qualifiés pour le faire », d’après le mémoire.
Selon lui, la fusion de l’OCRCVM et de l’ACFM règlerait ce problème, les membres de cette dernière ayant alors un meilleur accès aux FNB et FNP grâce au système de l’OCRCVM. Elle offrirait aussi l’occasion d’avoir un OAR capable de s’adapter aux transformations technologiques.
En effet, des courtiers en placement établis depuis longtemps modifient leur modèle d’affaires et de nouveaux venus innovent rapidement, constate l’OCRCVM. En atténuant la lourdeur réglementaire actuelle, les firmes membres deviendraient plus agiles et capables de s’adapter.
« Et le rythme des changements ne fera que s’accélérer à la lumière des leçons que nous tirons de la pandémie de COVID-19. Cette évolution de la relation entre les investisseurs et le secteur des placements exerce une énorme pression sur le cadre de réglementation actuel. »
Fonds d’indemnisation commun
L’OCRCVM prévoit également l’harmonisation de la protection offerte par le Fonds canadien de protection des épargnants (FCPE, pour les membres de l’OCRCVM) et la Corporation de protection des investisseurs (CPI, pour les membres de l’ACFM).
« Toutefois, une protection distincte pour chacune des divisions pourrait tout d’abord être assurée sans que cela cause de perturbations pour les investisseurs ou les sociétés. Le nouvel organisme favoriserait toute discussion avec le FCPE, la CPI et les ACVM qui serait nécessaire pour faciliter le processus », lit-on dans le mémoire.
De plus, le modèle de gouvernance du nouvel organisme serait meilleur qu’actuellement si les membres du conseil d’administration possédaient une expérience de la protection des consommateurs et des investisseurs.
« Le conseil de l’OCRCVM appuie vivement ce point de vue et a déterminé que nous ne devrions pas attendre la création d’un nouvel organisme pour prendre cette mesure et a décidé de l’adopter immédiatement », écrit l’OCRCVM. Rappelons que l’OCRCVM avait essuyé des critiques en ce sens récemment.
« Il serait important pour le nouvel organisme de former un groupe consultatif d’experts responsable des questions liées aux investisseurs », lit-on dans le mémoire.
La suggestion de l’ACFM démolie
L’OCRCVM balaie du revers de la main la proposition de l’ACFM de créer un OAR à partir de toutes nouvelles bases. Celui-ci engloberait les mandats actuels de l’OCRCVM et de l’ACFM et encadrerait les courtiers sur le marché dispensé, des gestionnaires de portefeuille et des courtiers en plans de bourses d’études.
Cette intégration « serait pratiquement impossible à moyen terme en raison de la complexité de la tâche et du nombre de parties intéressées concernées », croit l’Organisme.
« Cela nécessiterait invariablement de vastes consultations et de multiples séries de commentaires qui s’échelonneraient, si l’on tient compte de l’expérience passée, sur de nombreuses années. En définitive, une telle approche aurait pour conséquence la préservation du statu quo et l’absence de résultats concrets dans un avenir prévisible », écrit l’OCRCVM.
Son mémoire n’aborde pas spécifiquement la situation unique du Québec sur le plan du cadre réglementaire. Rappelons notamment que l’AFCM n’a pas juridiction dans cette province et l’encadrement des représentants sur le plan déontologique et de la formation continue relève de la Chambre de la sécurité financière.
De plus, les clients du Québec des courtiers en épargne collective sont protégés par le Fonds d’indemnisation des services financiers, lequel a une couverture différente de celles du FCPE et de la CPI.
Le Fonds d’indemnisation des services financiers peut compenser les victimes de fraude qui ont fait affaire avec un représentant en assurance, en épargne collective ou en plans de bourses d’études, un expert en sinistre, un planificateur financier ou un courtier hypothécaire.
Le FCPE et la CPI offrent plutôt une protection sur les biens qu’un courtier membre détient pour le compte d’un client, si ce courtier devient insolvable.