Si un récent sondage américain arrivait à la conclusion que la cote des logiciels de planification financière était en baisse, la situation semble être totalement l’inverse de l’autre côté de la frontière. « En tant que fournisseur de logiciels, on voit une croissance importante des ventes », témoigne ainsi François Levasseur Vice-président senior, Canada, à Equisoft.
Selon lui, cette tendance à la hausse se constate surtout ces cinq dernières années. Avant cela, il raconte qu’il voyait beaucoup de conseillers faire leur planification financière à la main. « On voit que ça change. Je vois de moins en moins de fichiers Excel parce que la fiscalité est plus complexe et les logiciels sont plus intelligents aussi », avance-t-il.
Accentuant encore cette tendance, ces dernières années, les grandes institutions financières incitent fortement leurs conseillers à utiliser le logiciel fourni par leur distributeur, alors qu’avant c’était plus « hétéroclite », se souvient François Levasseur.
De plus, les conseillers travaillent maintenant avec des CRM, des logiciels de back-office ou des outils de gestion de clientèle, il est donc encore plus logique d’adopter un logiciel de planification financière, car il n’y a presque pas de données à y entrer manuellement.
« Depuis cinq ans, le marché est mature », conclut François Levasseur.
Un marché mature
Dans le sondage américain, beaucoup de répondants se plaignaient que l’offre n’était pas claire et était complexe, une situation qui était aussi celle du Canada il y a quelques années. En l’espace de cinq ans, le marché canadien a beaucoup évolué et il y a eu beaucoup de consolidation parmi les logiciels. Plusieurs fournisseurs ont disparu.
« Juste nous, on a fait cinq acquisitions; et on a intégré cinq logiciels différents. En réduisant le nombre de logiciels, ça concentre l’expertise pour que le client ait une bonne expérience », explique François Levasseur.
De plus, les logiciels sont devenus une commodité plus qu’un avantage concurrentiel.
« Le conseiller doit maintenant se différencier avec d’autres services, comme son approche client, ce qui est une bonne nouvelle », constate l’expert d’Equisoft.
Un autre indice qui indique que le marché devient plus mature, c’est que certains fournisseurs voient leur logiciel être utilisé dans des cégeps pour former les futurs conseillers. « Quand on en est rendu là, on sait que le marché est assez mature, affirme François Levasseur. Mais ce n’est pas encore le cas aux États-Unis. »
Des différences frontalières
Le vice-président senior chez Equisoft observe ainsi plusieurs différences entre le marché canadien et celui de nos voisins du sud.
Tout d’abord, il note que la fiscalité canadienne est bien plus uniforme qu’aux États-Unis. « C’est plus facile pour un fournisseur de logiciel de supporter rapidement l’ensemble des règles pancanadiennes avec les particularités de chaque province. Aux États-Unis la fiscalité est spécifique à chaque État. »
Un autre élément c’est qu’au Québec, il est facile de standardiser les logiciels, notamment avec les normes de projection de l’Institut québécois de planification financière (IQPF). « Tous les paramètres de rendement, les actions américaines/canadiennes, les obligations, tout le concept d’inflation, etc. on vient mettre des hypothèses qui sont uniformes dans le marché », explique François Levasseur. Ainsi, tous les logiciels obtiennent à peu près le même résultat, une bonne chose pour la confiance des utilisateurs.
La confiance des utilisateurs demeure le grand défi. Si cette réalité est effectivement présente dans le sondage américain, l’expert d’Equisoft affirme qu’il s’agit d’un enjeu soulevé il y a déjà quelques années au Canada. Ce qui a mené les fournisseurs à se pencher sur le problème, permettant de comprendre qu’il découlait en grande partie du « concept de la boîte noire ». De fait, le conseiller se trouvait incapable d’expliquer les calculs à son client, car le logiciel n’expliquait pas les paramètres utilisés. Les fournisseurs se sont donc appliqués à « ouvrir » cette boîte noire, ce qui n’est pas le cas chez les Américains .
« Aux États-Unis, on voit beaucoup d’innovations qui ne règlent pas leurs problèmes fondamentaux. La course à l’innovation fait qu’on recherche l’effet wow, plutôt que d’offrir plus de stabilité et de fiabilité en termes de fondamentaux », affirme François Levasseur.
Les critiques selon lesquelles ces logiciels ont de la difficulté à prendre en compte les nouvelles règles fiscales laissent l’expert quelque peu perplexe. Si aux États-Unis ce problème est réel, ce n’est pas le cas au Canada.
« Au début de l’année, de nouvelles règles de cotisation au Régime des rentes du Québec (RRQ) ont été mises en place par le gouvernement et plusieurs logiciels, dont le nôtre, ont mis à jour ces règles avant même leur mise en application le 1er janvier », déclare-t-il.
Finalement, le seul problème que l’on retrouve dans les deux pays est celui de la complexité des logiciels. Selon lui, cela s’explique par le fait que les conseillers choisissent leur logiciel sans penser à leurs besoins.
« Nous on offre plusieurs paliers dans notre logiciel, de très simple à ultra compliqué, mais chacun s’adresse à un marché différent. Et parfois les conseillers se trompent de logiciels, ils vont soit chercher trop simple pour leurs besoins, donc le logiciel ne fait pas le travail pour eux, ou trop complexe pour leur besoin. Il y a un réel défi pour calibrer le logiciel qui est choisi », commente-t-il.
Toutefois, tous les fournisseurs offrent des formations. Equisoft propose ainsi des petites capsules vidéo de 20 minutes, mais aussi des cours virtuels et en salle ou de la documentation. Et beaucoup de ces formations permettent l’obtention d’UFC.
La COVID-19 et son impact
Si le sondage américain affirme que la COVID-19 a un impact sur la baisse de la cote des logiciels de planification, chez Equisoft, l’effet semble être plutôt inverse.
Les répondants au sondage affirment que les logiciels de planification financière ne sont pas assez réactifs ou qu’ils ont été les victimes des coupes qu’il a fallu effectuer. François Levasseur rétorque que désormais les logiciels n’utilisent plus de méthode de projection, mais fonctionnent davantage en gérant le cash flow, ce qui les rend bien plus réactifs.
« Les conseillers peuvent répondre aux questions urgentes et ponctuelles des clients, car le plan est très réactif », soutient-il.
Quant à la question des coupes, il estime que les coûts de ces technologies sont bien moindres en comparaison d’autres frais. Les conseillers, considérant par exemple le gain de temps que permettent leurs logiciels, auraient intérêt à les conserver et couper plutôt dans certains frais de bureau ou d’adjoint. De plus, abandonner ces logiciels signifie également perdre les projections qui sont déjà dans le système, ce qui a peu de sens, particulièrement en période de crise.
Quant à la société elle-même, François Levasseur estime qu’Equisoft a été privilégiée pendant la pandémie, puisqu’elle a connu une croissance de ses revenus. Tous les employés étaient également en mesure de travailler à distance, ce qui a permis de respecter très rapidement les mesures de confinement.
Il ne signale pas davantage d’impact en matière de croissance. « Je pense qu’on a ouvert au-dessus de 40 postes dans la période de la COVID-19. Aucun projet n’a été mis sur la glace, au contraire. Les clients, les assureurs et les manufacturiers de compte se sont dit : on va accélérer la transformation digitale qui est notre core business pour être prêts quand ça va repartir. Ils n’ont pas eu le choix, en fait », explique-t-il.
Tendances observées et changements à venir
François Levasseur a été frappé par la flexibilité des institutions financières à effectuer des changements dans une période de crise. « Certains dossiers qui auraient pu prendre un an, un an et demi à être approuvés, étaient approuvés en 2-3 semaines! Ça a été une tendance à l’accélération de l’adoption des technologies assez exceptionnelle », dit-il.
Il s’inquiète par contre pour certains conseillers. Quelques-uns n’ont pas voulu se lancer dans la technologie, passant à côté de nouvelles ventes et se trouvant limités pour démarcher leur clientèle.
Il estime également que les changements adoptés pendant la pandémie vont devenir la nouvelle normalité. « Le changement de cap vers le digital s’est accéléré et il est là pour rester, ce n’est pas juste temporaire », note-t-il.
Il estime également que du côté télétravail, certains ont constaté que c’était plus performant ainsi et il ne pense donc pas qu’on revienne complètement au travail de bureau comme nous l’avions connu traditionnellement.