La COVID-19 en aura traumatisé plus d’un! C’est finalement toutes les sphères de notre société dans son ensemble qui en auront subi les conséquences. Le temps de ces quelques lignes, portons notre attention sur nos entreprises et plus précisément, sur nos entrepreneurs.
À ce stade-ci de la pandémie, alors que nous devons accepter de faire face à des mesures restreignant nos routines habituelles pour le bien-être de tous, certains entrepreneurs ont ou auront bientôt joué leurs dernières cartes et devront fermer leurs entreprises. D’ailleurs, plusieurs experts prévoient que petites, moyennes et grandes entreprises de nombreux secteurs devront affronter la faillite et dire adieu à un patrimoine construit à la sueur du front d’entrepreneurs dévoués et engagés depuis de nombreuses années. Si certains font le nécessaire, ou des exploits même, pour éviter la faillite, d’autres devront fermer définitivement les portes de leurs entreprises par anticipation ou prévention.
Aussi durs qu’ils soient, les faits étant ce qu’ils sont, il faudra impérativement garder en tête l’aspect fiscal en lien avec la fin de vie d’une entreprise ou son état d’insolvabilité. Parmi ces nombreuses considérations fiscales, l’une se qualifiera pour le rang des avantages fiscaux : la perte au titre d’un placement d’entreprise, laquelle nous appellerons « PTPE » à partir de maintenant.
Concepts de base
Lorsqu’il est question de PTPE, deux concepts fondamentaux doivent être compris :
- La PTPE est, dans les faits, avant tout une perte en capital. Pourquoi donc qualifier celle-ci de PTPE? C’est ce que nous verrons sous peu.
- La PTPE peut se « manifester » dans deux contextes précis en lien avec une entreprise :
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- Lors de la disposition d’actions admissibles aux termes d’une PTPE et/ou
- Lorsqu’une créance sur une entreprise admissible aux termes d’une PTPE devient irrécouvrable.
Avant d’expliquer le côté plutôt technique de la PTPE, commençons avec l’avantage clé qui en découle.
Tel que mentionné ci-haut, la PTPE est essentiellement une perte en capital. Il importe de rappeler qu’une perte en capital sera déductible dans le calcul du revenu d’un contribuable à raison de 50% du montant de la perte, mais seulement jusqu’à concurrence du gain en capital imposable (soit 50% d’un gain en capital) inclus dans le calcul du revenu de ce contribuable. Ainsi, vous l’aurez compris, il sera possible pour un contribuable de déduire une perte en capital déductible pour l’année seulement si, pour cette même année, un gain en capital a été réalisé et donc été inclus (partie imposable) dans le calcul du revenu du contribuable.
C’est pour palier à cette restriction qu’il est permis à un contribuable d’appliquer sa perte dite « nette » en capital à l’une des trois années d’imposition précédant l’année de réalisation de la perte ou lors d’une année future, toujours en respectant la condition d’avoir un gain en capital imposable inclus dans le calcul du revenu pour une année donnée.
Lorsque toutes les conditions sont satisfaites, la PTPE vient quant à elle en quelque sorte contourner les restrictions en lien avec la déductibilité d’une perte en capital que nous qualifierons d’« ordinaire ». En effet, une PTPE aura le privilège, pour une période prédéterminée, d’être admissible en déduction à l’encontre de revenus provenant de toutes sources et donc incluant, mais non limité aux gains en capital imposables pour une année donnée.
S’il n’est pas possible pour un contribuable de déduire une PTPE, faute de revenus, la PTPE pourra être appliquée à l’une des trois années d’imposition précédentes ou à l’une des dix années d’imposition suivantes, tout en respectant les mêmes conditions et privilèges. Suite à la dixième année postérieure à l’année de réalisation de la PTPE, celle-ci perdra son charme pour redevenir une perte en capital ordinaire. À partir de ce point, la portion déductible de la perte en question pourra être déduite uniquement à l’encontre d’un gain en capital imposable, mais pour n’importe quelle année future.
La PTPE peut s’avérer particulièrement intéressante, d’un point de vue fiscal, pour l’actionnaire dont les actions admissibles à une PTPE ont perdu leur valeur. Ce sera malheureusement le cas pour plusieurs entrepreneurs en raison de la pandémie.
Société exploitant une petite entreprise
Les actionnaires détenant des actions ayant perdu leur valeur pourront, au moment de la vente réelle ou présumée de leurs actions, réclamer une PTPE uniquement si ces actions se qualifient d’actions d’une société exploitant une petite entreprise (« SEPE » ci-après). De façon sommaire et simplifiée, une société qui est une société privée sous contrôle canadien (communément appelée une « SPCC ») pourra se qualifier de SEPE si elle satisfait aux conditions suivantes :
- 50% ou plus de la valeur de ses actifs est attribuable aux activités d’une entreprise exploitée activement au Canada, ou
- 50% ou plus de la valeur de ses actifs découle d’actions ou dettes de SEPE rattachées, ou
- Une combinaison des points 1. et 2.
Pour les fins de ce texte, seul le point 1. ci-dessus sera considéré.
Disposition réputée ou réelle d’une action ou d’une créance
Ayant maintenant défini ce qu’est une SEPE, revenons aux circonstances qui permettraient à un entrepreneur, en situation de fin de vie de son entreprise, de tirer avantage d’une PTPE.
Disposition réelle
Même s’il semble peu probable qu’en situation de difficultés financières d’une entreprise, un entrepreneur trouve preneur pour l’acquisition de ses actions dans une SEPE ou d’une créance sur une SEPE, c’est bel et bien possible et lorsque cette disposition génère une perte en capital, en supposant que toutes les conditions soient respectées à la lettre, il sera possible pour l’entrepreneur de réclamer une PTPE. Pour que la perte réalisée par suite de la vente des actions ou de la créance soit admissible au titre d’une PTPE, il faudra s’assurer que la transaction soit effectuée en faveur d’un acheteur n’ayant pas de lien de dépendance avec le vendeur. Il sera prudent de prendre connaissance des règles de lien de dépendance prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») afin d’éviter toute surprise causant le refus de la PTPE.
Disposition réputée
Qu’advient-il lorsque, compte tenu de l’impossibilité de poursuivre pour l’entreprise, un entrepreneur ne trouve pas d’acheteur pour ses actions de SEPE ou pour une créance sur une SEPE? Étant dans l’impossibilité de vendre, n’était-ce d’un choix prévu à cet effet dans la LIR, la possibilité de réclamer une PTPE ou même une perte en capital ordinaire découlant de ces actions et/ou créances serait évincée.
En effet, lorsque certaines conditions sont satisfaites, il est possible pour un contribuable (en l’occurrence ici, l’entrepreneur) d’effectuer un choix dans sa déclaration fiscale pour l’année afin qu’il soit réputé avoir disposé de ses actions en question ou de la créance admissible pour un prix de vente nul, soit 0 $, permettant ainsi la réalisation d’une PTPE ou d’une perte en capital ordinaire.
Il importe de mentionner que ce choix n’est pas limité à des actions de SEPE ou des créances sur SEPE. Dans le cas où tous les critères relatifs à ce choix sont satisfaits, mais que la société visée n’est pas une SEPE, le résultat final produirait une perte en capital ordinaire plutôt qu’une PTPE.
Sans entrer dans les moindres détails entourant le choix permettant au contribuable d’être réputé avoir disposé de ses actions ou créances dans une société, les éléments suivants doivent impérativement être considérés pour que le choix soit valide :
- S’il s’agit d’une créance, il doit être établi par le contribuable que celle-ci est devenue une créance irrécouvrable. La question de savoir si une créance est devenue irrécouvrable est une question de fait qui doit être démontrée par le créancier. À titre d’information, l’Agence du Revenu du Canada fait état de certaines directives permettant d’établir si une créance est devenue irrécouvrable, lesquelles peuvent être consultées sur son site internet.
- S’il s’agit d’actions du capital-actions d’une société, cette société devra soit être en situation de faillite, être mise en liquidation ou être insolvable pour que les actions en question soient admissibles.
D’autres particularités doivent être prises en considération, par contre, elles ne seront pas abordées dans le cadre de ce texte.
Afin d’apporter plus de clarté sur tous ces concepts qui, force est d’admettre, peuvent s’avérer complexes, voici deux courtes mises en situation :
- Martin est propriétaire et unique actionnaire d’une quincaillerie qu’il exploite depuis maintenant 15 ans. Son entreprise est constituée en société par actions et se qualifie de SEPE. En raison de la pandémie, Martin devra fermer de façon définitive son entreprise, laquelle est devenue insolvable.
Les données pertinentes aux actions de Martin sont les suivantes :
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- Juste valeur marchande (« JVM ») : 0 $
- Prix de base rajusté (« PBR ») : 275 000 $
Puisque Martin ne pourrait espérer vendre ses actions, il décide de se prévaloir du choix prévu dans la LIR lui permettant d’être réputé avoir disposé de ses actions pour un prix de vente présumé de 0 $. La différence entre le prix de vente de 0 $ et le PBR de 275 000 $ résultera en une PTPE de 275 000 $, 50% de laquelle, soit 137 500 $, sera déductible dans le calcul de son revenu, et ce, à l’encontre de tous types de revenus.
- Martin possède également une créance sur son entreprise de 45 000 $, laquelle a été acquise dans le cadre d’une avance de fonds accordée à sa société il y a quelques années. Évaluation faite et recours épuisés, Martin a établi que sa créance est maintenant devenue irrécouvrable. En se prévalant du choix prévu dans la LIR, Martin pourra, sous réserve que toutes les conditions soient satisfaites, réclamer une PTPE de 45 000 $ grâce à la disposition réputée de sa créance pour un prix de vente de 0 $. La PTPE de Martin sera déductible à 50%, soit pour un montant total de 22 500 $, à l’encontre de revenus provenant de toutes sources.
Tel que le démontrent les exemples précédents, grâce aux dispositions prévues dans la LIR, même s’il est vrai qu’une entreprise en fin de vie attirerait difficilement des acheteurs, la vente présumée d’actions ou de créances admissibles pourra permettre à un entrepreneur de matérialiser une perte en capital. De plus, si toutes les conditions sont satisfaites, tel qu’il a été expliqué plus haut, cette perte en capital pourrait se qualifier de PTPE.
Il importe d’insister sur le fait que pour tous les entrepreneurs devant faire face à la fermeture d’une entreprise dans laquelle ils ont investi, il sera impératif de consulter un fiscaliste qui saura aborder toutes les règles en lien avec les PTPE, les pertes en capital et autres considérations fiscales.
À vous qui devrez faire face à cette dure réalité, courage!
Par Guerlane Noël, CPA, CGA, LL. M. Fisc., Directrice, Planification Fiscale et Successorale, Placements Mackenzie