Un père et une mère assis sur le sol côte à côte. Le père tient un bébé dans ses bras.
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Typiquement, un parent ouvrira le compte auprès d’une institution financière à son nom avec référence à son enfant mineur. Par exemple, un compte « en fiducie pour Simon » pourrait avoir été ouvert par Julie, la mère, pour son fils mineur.

Quelles sont les conséquences juridiques et fiscales découlant de l’ouverture d’un tel compte en fiducie par un parent pour un enfant mineur?

Selon notre expérience, il règne une immense confusion en ce qui a trait à ces comptes, tant pour les clients et conseillers professionnels que pour les institutions financières qui permettent leur ouverture.

Pourquoi ouvrir un tel compte?

En général, l’intention est d’épargner ou de mettre de côté des sommes pour le compte de ou au profit de l’enfant mineur pour des projets, études, voyages ou achats d’une première voiture ou propriété, tout en gardant le contrôle entre les mains du parent sur les sommes ainsi déposées dans le compte. Dans certaines circonstances, il peut y voir des occasions de planification fiscale et d’économie d’impôt familiale par le fractionnement du revenu ou des gains en capital réalisés dans ce compte en utilisant les crédits d’impôt personnels et les taux d’impôt progressifs de l’enfant.

En pratique, des fonds de différentes provenances sont parfois déposés dans ce compte : le parent pourra, par exemple, à tort ou à raison, y déposer des sommes provenant de ses propres fonds, de cadeaux, dons ou héritage reçus par l’enfant, de certaines allocations gouvernementales comme l’Allocation canadienne pour enfant ou l’Allocation famille du Québec (ou des versions antérieures de ces allocations gouvernementales) et même parfois de l’argent gagné par l’enfant dans le cadre d’un emploi.

Qualification juridique

La qualification d’un tel compte sur le plan juridique soulève beaucoup de questions et, disons-le, une bonne dose d’incertitude. Cette qualification aura des conséquences importantes pour le parent et l’enfant. Les conséquences fiscales reliées à ce compte pour le parent et l’enfant dépendront également de cette qualification juridique.

Sur le plan juridique, cette qualification pourra dépendre notamment de la provenance des fonds, de l’intention du parent au moment de la création du compte, de la documentation juridique et bancaire reliée à ce compte, de même que du comportement du parent en relation avec les sommes déposées dans le compte au cours des années.

Par ailleurs, nous notons que l’intention du parent sur le plan juridique lors de l’ouverture du compte est rarement bien documentée, que la documentation des institutions financières est parfois laconique à ce sujet, que la qualification juridique ou les pratiques administratives ou fiscales de nombreuses institutions financières à l’égard de ces comptes sont divergentes et peuvent varier d’une province à l’autre.

Certaines institutions financières auraient même changé leur approche à ce sujet au Québec au cours des années. La situation peut devenir encore plus complexe si les actifs d’un tel compte sont transférés à une autre institution ayant une politique différente à cet égard. Pour en ajouter, souvent le comportement du parent à l’égard du compte aura été incohérent sur le plan juridique et fiscal au cours des années.

Une fiducie?

Bien que le nom du compte fasse référence au concept de fiducie, il semble y avoir un consensus parmi les juristes du Québec qu’il est improbable (à moins de situations particulières ou d’une documentation explicite à cet effet) qu’une fiducie soit constituée en droit civil du simple fait de l’ouverture d’un compte par un parent en fiducie pour un enfant mineur, et ce, compte tenu notamment des conditions prévues à l’article 1260 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

Une confusion existe parfois du fait qu’une fiducie dite « informelle » peut exister dans les provinces de « common law » dans de telles circonstances, même sans documentation juridique claire, si les trois certitudes nécessaires à la création d’une fiducie en common law (certitude quant à l’intention, aux biens et à l’objet) sont réunies. La documentation de certaines institutions financières ne fait pas toujours clairement la distinction entre la réalité juridique du Québec et celle des autres provinces relativement aux conditions requises pour la création d’une fiducie d’un point de vue juridique.

Si l’intention est de créer une fiducie au Québec au profit d’un enfant mineur, il est fortement recommandé de bien documenter juridiquement l’établissement de cette fiducie, y compris l’affectation, et d’établir des modalités claires et précises quant à tous les aspects importants reliés à la création d’un patrimoine fiduciaire. Un compte de fiducie (et non pas un compte en fiducie) devrait dans ce cas être ouvert par le ou les fiduciaires auprès de l’institution financière.

Propriété des actifs du compte

En présumant que les conditions ne sont pas réunies pour la création d’une fiducie en droit civil, la grande question est de déterminer qui, du parent ou de l’enfant, est propriétaire des actifs d’un tel compte. Les choses peuvent grandement se compliquer lorsque les fonds dans le compte ont différentes provenances.

Enfant mineur propriétaire

Un parent peut souhaiter donner des sommes au profit de son enfant mineur. Un tel don au profit d’un enfant mineur implique un transfert de propriété du parent à l’enfant.

Plusieurs conditions doivent être réunies afin de réaliser un don en droit civil. Sans entrer dans les détails, selon l’article 1807 C.c.Q., la donation entre vifs est notamment celle qui emporte le dessaisissement du donateur envers le donataire. L’article 1824 C.c.Q. stipule que le don d’un bien meuble peut être fait par acte notarié ou lorsque le consentement des parties s’accompagne de la délivrance et de la possession immédiate du bien.

Dans la cause Mathieu c. Tardif, J.E. 97-1067, trois enfants réclamaient de leur mère des sommes qu’elle avait déposées dans des comptes en fiducie ouverts en son nom, en référence à chacun de ses enfants, et qui provenaient d’allocations familiales ainsi que de ses propres économies. Les enfants soutenaient qu’un don avait été effectué à leur profit par leur mère et qu’en conséquence, ils étaient propriétaires des actifs de ces comptes. La mère, qui avait fermé ces comptes et récupéré l’argent pour elle-même, prenait la position de son côté qu’elle était toujours demeurée propriétaire des actifs de ces comptes. La Cour du Québec a jugé que puisque les comptes avaient été ouverts au nom de la mère qui en avait gardé le contrôle et pouvait seule y effectuer des retraits, il n’y avait pas eu dessaisissement des sommes en question en dépit de la référence aux enfants dans le nom de ces comptes, et donc pas de dons aux enfants.

Si un don valable juridiquement est effectué au profit d’un enfant mineur lors de l’ouverture d’un tel compte par un parent, ce que semblent admettre certaines institutions financières, il faut se demander si le bon compte a été ouvert auprès de l’institution financière. En principe, dans le cas d’un don à un mineur, il faut se référer aux règles multiples de la tutelle du Code civil du Québec pendant la minorité de l’enfant propriétaire.

En pareil cas, les deux parents administreraient vraisemblablement les actifs à titre de tuteurs légaux au profit de leur enfant mineur. Si c’est le cas, l’ouverture d’un compte de tutelle au mineur par les parents serait plus appropriée, avec la mention « en qualité de tuteurs » à l’enfant mineur conformément à l’article 1344 C.c.Q. Il en est de même lorsque les fonds appartiennent au départ à l’enfant mineur, par exemple si l’enfant mineur reçoit un héritage en pleine propriété.

Sur le plan fiscal, si un don a été fait par un parent à son enfant mineur, en principe le revenu de biens sur les actifs donnés dans le compte devrait être attribué au parent qui a fait le don, en vertu des règles d’attribution de la législation fiscale. Toutefois, les règles d’attribution ne s’appliquent pas au gain en capital réalisé sur un actif donné par un parent à un enfant mineur, qui doit donc être imposé dans les mains de l’enfant mineur propriétaire. Par ailleurs, si les fonds proviennent d’allocations gouvernementales, les règles d’attribution pourraient également ne pas s’appliquer sur les revenus générés sur ces sommes particulières investies dans le compte.

Dans le cas d’un don, le contrôle du compte est remis à l’enfant à l’âge de 18 ans, lorsque l’administration tutélaire cesse, car il en est propriétaire et il jouit alors de la pleine capacité. Sur le plan successoral, en cas de décès de l’enfant, les héritiers de l’enfant auront droit aux actifs du compte. En cas de décès du parent pendant la minorité de l’enfant, les actifs seront toujours administrés par le tuteur jusqu’à la majorité de l’enfant, par exemple par le parent survivant.

Parent propriétaire

Lorsqu’il n’y a pas de don par le parent, il est possible que le parent qui a créé le compte soit considéré comme le propriétaire des actifs du compte, avec une simple référence à l’enfant comme « aide-mémoire ». L’objectif est de mettre de côté des sommes qui pourront être utilisées dans l’avenir au profit de cet enfant, mais pas obligatoirement, durant la minorité ou une fois devenu majeur, à la totale discrétion du parent titulaire du compte.

Tous les revenus et gains en capital du compte sont alors imposés dans les mains du parent qui demeure propriétaire des actifs. Le parent conserve le contrôle sur les actifs du compte et l’enfant n’a aucun droit sur ces actifs, qu’il soit mineur ou majeur.

Sur le plan successoral, en cas de décès du parent, les sommes seront remises au liquidateur pour être distribuées selon les modalités du testament du parent décédé ou suivant les règles de la dévolution légale du Code civil du Québec, selon le cas. Le décès de l’enfant n’a pas de conséquences sur ce compte, car le parent en est propriétaire.

Selon notre expérience, plusieurs institutions financières au Québec semblent privilégier cette approche en ce qui a trait aux comptes en fiducie ouverts par un parent en référence à un enfant mineur.

Un mélange peu commode

Que l’enfant ou le parent soit considéré comme propriétaire des actifs du compte par l’institution financière, les choses peuvent devenir encore plus confuses et grandement se compliquer sur le plan juridique et fiscal lorsqu’on mélange dans un tel compte en fiducie pour un enfant mineur des sommes provenant de différentes sources ou s’il est ouvert par une personne autre que le parent.

Par ailleurs, les relevés fiscaux ne sont pas toujours émis au nom de la personne devant s’imposer sur le revenu ou les gains en capital du compte, ce qui ajoute de la complexité et de la confusion relativement à la conformité fiscale.

Conclusion

Pour éviter la confusion, l’incertitude ou les mauvaises surprises sur le plan juridique et fiscal, il est important d’être bien conseillé lors de l’ouverture d’un compte auprès d’une institution financière afin de s’assurer que le bon compte est ouvert en fonction de la provenance des fonds, de l’intention et des objectifs des parties impliquées. Si l’intention est de faire un don à un enfant mineur ou de créer une fiducie à son profit, une bonne documentation juridique est de mise.

Par Martin Cloutier, Avocat, M. Fisc., TEP, Vice-président régional, Planification du patrimoine, Clientèle privée Assante, MCloutier@assante.com

et Nadine Deschênes, Avocate, LL.M. fisc., Conseillère en planification du patrimoine, Clientèle privée Assante, ndeschenes@assante.com

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Hiver 2021), vol. 25, no 4.