Le legs en fiducie est le mode de transmission à favoriser. Un patrimoine autonome et distinct de celui de l’héritier est alors créé au testament. Plusieurs avantages découlent de ce patrimoine distinct, dont, entre autres, la possibilité de prévoir à qui seront dévolus les biens légués advenant le décès de l’héritier avant leur remise complète en sa faveur. Le patrimoine distinct assure également de façon fiable l’insaisissabilité des biens détenus en fiducie. La fiducie a aussi l’avantage d’être un outil prévisible : elle est connue des intervenants œuvrant dans le domaine et le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit un chapitre complet traitant de son fonctionnement, de sa création à sa fin.
Malgré les avantages de la fiducie testamentaire, certains testateurs sont rebutés, notamment en raison de l’obligation de nommer un fiduciaire indépendant (art. 1275 C.c.Q.), qu’ils estiment souvent difficile à trouver et perçoivent comme un obstacle à leurs volontés, ou encore en raison de la structure qu’ils considèrent comme étant trop complexe, du coût de sa rédaction et des coûts associés à la fiducie après le décès, notamment les frais pour la préparation des déclarations annuelles de revenus.
Prolongation de la liquidation de la succession et régime d’administration post mortem
Dans un premier temps, les juristes recherchant une alternative à l’utilisation de la fiducie, qui n’existait pas dans sa forme actuelle au Code civil du Bas-Canada, ont opté pour la prolongation de la succession en donnant instruction au liquidateur de conserver et d’administrer les biens jusqu’à leur remise au moment déterminé par le testateur.
Un jugement de la Cour d’appel du Québec (Succession de Lorrain c. Lorrain, 2008 QCCA 1914, par. 22) a reconnu la validité de cette administration. Elle ne constitue pas toujours le véhicule le plus approprié pour conserver des biens pendant plus de trois ans en raison des modifications des lois fiscales en 2016, limitant à 36 mois la période pendant laquelle une succession peut bénéficier d’un taux d’imposition progressif.
Également, la prolongation de la liquidation de la succession retarde le moment de l’acceptation du compte définitif et la décharge du liquidateur et, par conséquent, le début du délai de prescription de trois ans après lequel les créanciers et légataires particuliers qui étaient demeurés jusqu’alors inconnus n’auront plus de recours contre les héritiers ayant reçu des acomptes et contre les légataires particuliers ayant été payés à leur détriment (art. 816, al. 2 C.c.Q.).
Dans un second temps, plus récemment, les juristes proposent une administration que nous appellerons, aux fins du présent texte, « régime d’administration post mortem ». Le legs est fait à l’héritier sous la condition que les biens soient administrés par une personne choisie par le testateur, qui peut être la même personne que le liquidateur, mais qui agira alors à titre d’administrateur et non de liquidateur. La succession prend fin normalement, sans aucune prolongation de la liquidation. Le liquidateur est déchargé et les biens sont remis à l’administrateur pour conservation et administration jusqu’à l’âge déterminé par le testateur.
En vertu de ce régime d’administration, aucun patrimoine distinct n’est créé : les biens appartiennent à l’héritier, en pleine propriété, dès le décès du testateur. L’administration consiste en une modalité et condition du legs. Le professeur Jacques Beaulne, spécialiste du droit des fiducies et des successions, a largement contribué à élaborer ce type d’administration en s’inspirant de l’administration prévue au Code civil du Québec pour les mineurs et les personnes inaptes (art. 210 C.c.Q.), et en s’appuyant sur les dispositions de l’administration du bien d’autrui (art. 1299 C.c.Q. et suiv.). L’intervention de Me Beaulne en matière d’administration autre que fiduciaire faisait suite à la confusion quant à la nature de la prolongation de la liquidation qui avait donné lieu à divers jugements contradictoires.
Bien que l’administration avec prolongation de la liquidation et que le régime d’administration post mortem comportent de nombreuses analogies, nos commentaires, quoique applicables pour la plupart aux deux types d’administration, porteront spécifiquement sur le régime d’administration post mortem.
Particularités et conséquences du régime d’administration post mortem
Plusieurs particularités et conséquences découlent du fait que les biens légués sous le régime d’administration post mortem sont la propriété de l’héritier et, contrairement à la fiducie, font partie de son patrimoine dès le décès du testateur. Il est important que ces particularités et conséquences soient clairement expliquées au testateur. Nous aborderons les plus significatives.
- Décès de l’héritier avant l’âge de remise
Contrairement à la fiducie, si l’héritier décède avant d’atteindre l’âge de la remise finale, les biens seront transmis à ses héritiers désignés à son propre testament ou, à défaut, à ses héritiers légaux.
Cette conséquence peut justifier à elle seule le choix de la fiducie. Par exemple, si une mère divorcée lègue ses biens à son enfant mineur et que son enfant décède avant d’avoir atteint l’âge de remise prévu au testament, les biens légués seront transmis aux héritiers légaux de l’enfant, ici son parent survivant (l’ex-conjoint), et ses frères et sœurs, incluant les demi-frères et demi-sœurs (enfants issus de l’ex-conjoint et de sa nouvelle conjointe).
- Protection d’actifs limitée
Les biens légués à l’héritier seront protégés contre toute saisie par la seule protection générale de la stipulation d’insaisissabilité prévue au testament, laquelle est assujettie aux conditions prévues au Code de procédure civile du Québec, l’héritier ne bénéficiant pas d’un patrimoine distinct du sien contrairement à la fiducie.
- Absence de fractionnement de revenu
Les biens étant la propriété de l’héritier dès le décès du testateur, il ne peut y avoir de fractionnement de revenu avec ses enfants. Un tel fractionnement de revenu est fréquemment utilisé dans les fiducies testamentaires.
- Imposition des revenus entre les mains de l’héritier
Les biens étant la propriété de l’héritier, les revenus provenant des biens légués sont inclus dans le revenu de l’héritier et imposés selon son taux progressif, ce qui a été confirmé par une interprétation technique (2014-0537691E5) et constitue un avantage comparativement à la fiducie. Dans le cas d’une fiducie testamentaire, ce résultat peut être atteint par l’application du paragraphe 104(18) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »). Toutefois, l’ensemble des conditions essentielles pour se prévaloir de l’application de cet article doit être prévu au testament et son application cesse à 21 ans.
- Possibilité de mettre fin à l’administration avant la date de remise des biens
Une particularité mise de l’avant par certains juristes concerne la possibilité pour l’héritier de contester la condition de l’administration post mortem et d’obtenir la fin de l’administration avant son échéance sur la base que le régime d’administration post mortem est un régime innommé non spécifiquement prévu au Code civil du Québec ou que, l’héritier devenu majeur, ce régime constitue une limite à sa capacité d’exercer ses droits civils.
À notre connaissance, deux jugements déclaratoires ont mis fin à des administrations et concernaient des administrations avec prolongation de la liquidation de la succession. Dans les deux cas, les héritiers étaient relativement âgés (entre 38 et 50 ans) et ce sont les liquidateurs qui ont requis la fin de l’administration.
D’autres juristes sont plutôt d’avis que la liberté de tester du testateur, principe abondamment reconnu en jurisprudence, doit être rigoureusement respectée et que le legs conditionnel est expressément prévu au Code civil du Québec. Cependant, à notre avis, plus la remise est prévue à un âge avancé, plus la probabilité de donner ouverture à une contestation est grande.
- Aucune obligation d’administrateur indépendant
En matière de régime d’administration post mortem, il n’existe aucune obligation de nommer un administrateur indépendant comme en matière de fiducie.
- Interprétation du terme « tiers » au régime d’administration prévu pour un mineur à l’article 210 C.c.Q.
Des difficultés d’interprétation peuvent être rencontrées si le testateur nomme le tuteur de l’héritier comme administrateur. L’article 210 C.c.Q. prévoit que « les biens donnés ou légués à un mineur, à la condition qu’ils soient administrés par un tiers, sont soustraits à l’administration du tuteur ». (Notre soulignement)
Nous pouvons nous questionner à savoir si la personne, qui est à la fois tuteur de l’héritier et désignée pour agir à titre d’administrateur, se qualifie comme un « tiers ».
À défaut de se qualifier comme « un tiers », le tuteur sera soumis aux règles de l’administration tutélaire prévues aux articles 208 et suivants C.c.Q., ce qui implique notamment la surveillance du Curateur public, des pouvoirs limités à la simple administration, la constitution d’un conseil de tutelle à qui le tuteur devra rendre compte, l’autorisation du conseil de tutelle ainsi que celle du tribunal pour poser certains gestes spécifiquement identifiés au Code civil du Québec.
Nous rappelons que lorsqu’un liquidateur remet des biens légués à un mineur d’une valeur supérieure à 25 000 $, valeur qui augmentera à 40 000 $ d’ici 2022 avec l’adoption récente du Projet de loi 18, le liquidateur est tenu d’en aviser le Curateur public du Québec. Un formulaire à cette fin est disponible sur le site Internet du Curateur public, où il est requis de déterminer la valeur des biens remis, l’identité de la personne qui se chargera de l’administration et à quel titre cette personne administrera les biens pour le mineur.
À la suite de nos vérifications auprès du Curateur public, toute personne, y compris le tuteur, qui déclare agir à titre d’administrateur en vertu d’un régime distinct prévu au testament ne sera pas soumise à la surveillance du Curateur public. Il n’y aurait donc pas de surveillance par le Curateur public du tuteur qui agit comme administrateur. Toutefois, la décision du Curateur public de ne pas exercer de surveillance du tuteur agissant à titre d’administrateur ne peut être considérée comme une opinion juridique et le testateur doit être avisé de ce fait s’il souhaite nommer le tuteur comme administrateur.
Conformité fiscale de la prolongation de la succession et du régime d’administration post mortem
Le liquidateur agissant aux termes d’une prolongation de succession doit produire des déclarations de renseignements et de revenus annuelles de fiducie (T3). Dans le cas d’un régime d’administration post mortem, les biens administrés étant la propriété de l’héritier, les revenus générés par les biens administrés devront être inclus annuellement dans la déclaration de revenus de particulier de l’héritier (T1).
Le liquidateur doit obtenir avant la remise finale des biens un certificat de décharge de l’Agence du revenu Canada (« ARC ») et un certificat autorisant la distribution des biens de Revenu Québec afin de ne pas engager sa responsabilité personnelle. Lors de remises partielles, le liquidateur en prolongation de succession devrait obtenir avant chacune des remises en capital un certificat autorisant la distribution partielle auprès de Revenu Québec. Cependant, un certificat de décharge ne serait pas requis par l’ARC avant chaque répartition, dans la mesure où le liquidateur conserve suffisamment de biens pour payer toute dette fiscale (Circulaire d’information IC82-6R12, « Certificat de décharge », no 2), bien que la Loi de l’impôt sur le revenu ne fasse pas de distinction entre les remises partielles et la remise finale.
Selon l’interprétation technique 2014-0537691E5, l’administrateur d’un régime d’administration post mortem est, au sens du paragraphe 248(1) L.I.R., un représentant légal de l’héritier. Ainsi, lorsque l’administrateur abandonne la garde d’un bien sous sa responsabilité ou le remet à l’héritier, l’ARC considère, selon cette interprétation, que l’administrateur a attribué le bien en sa possession ou sous sa garde et qu’il devrait obtenir un certificat de décharge avant la remise des biens afin de ne pas engager sa responsabilité personnelle. À notre connaissance, Revenu Québec ne s’est pas prononcé à cet égard.
Il convient de noter que le certificat de décharge sert à limiter la responsabilité personnelle du liquidateur ou de l’administrateur et n’empêche pas les autorités fiscales de procéder à une vérification ultérieure et d’émettre une cotisation subséquente.
Conclusion
Les clients réfractaires à la création d’une fiducie testamentaire peuvent trouver un attrait à la simplicité du régime d’administration post mortem. Cependant, à notre avis, le testateur ne devrait pas choisir un régime d’administration post mortem si, de prime abord, il souhaite contrôler à qui seront dévolus les biens en cas de décès de l’héritier avant la date de la remise finale ou s’il souhaite éviter toute possibilité de contestation par l’héritier pour obtenir la remise des biens avant l’échéance prévue.
En conclusion, le régime d’administration post mortem, de même que la prolongation de la liquidation de la succession ne peuvent être adéquatement comparés à la fiducie qui demeure le meilleur mode de transmission pour administrer des biens pendant plusieurs années à la suite du décès.
Par ailleurs, nous nous permettons de glisser un mot sur l’un des irritants souvent soulevés à l’égard de la fiducie testamentaire, en plus des coûts d’administration suivant le décès, soit : son coût de rédaction. À cet égard, la question demeure à savoir s’il est possible de rendre les testaments fiduciaires plus accessibles par rapport au coût, ce qui se traduirait invariablement par une réduction du temps de rédaction.
Mais quelle est la limite à simplifier la fiducie pour la rendre plus abordable? À notre avis, quoique non essentielles, de nombreuses dispositions ne devraient pas être écartées du revers de la main, entre autres : celles liées à la fiscalité en faveur des bénéficiaires de moins de 21 ans impliquant que le testament doive remplir toutes les exigences du paragraphe 104(18) L.I.R., celles liées au fractionnement de revenu avec les enfants des bénéficiaires, celles liées au bon choix du fiduciaire indépendant (art. 1275 C.c.Q.) eu égard à la jurisprudence, incluant la possibilité pour le cofiduciaire en fonction ou un tiers de nommer le fiduciaire indépendant, celles se rapportant au choix des personnes avantagées en cas de prédécès du bénéficiaire et en cas de décès avant la remise finale ainsi que la possibilité de continuer la fiducie en leur faveur selon des modalités identiques ou différentes et celles prévoyant une faculté d’élire à l’héritier ou à un tiers, etc.
Par Denise Courtemanche, Notaire, Courtemanche Frappier Notaires inc., dcourtemanche@notarius.net
Elodie Frappier, Notaire, Courtemanche Frappier Notaires inc., efrappier@notarius.net
Avec la collaboration de Mylène Coallier, B.A.A., M. Fisc., Responsable du service de fiscalité canadienne, Gallant & Associés inc., mcoallier@gallantcpa.ca
Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Hiver 2021), vol. 25, no 4.