Les conseillers désireux de développer des portefeuilles respectueux du climat doivent accepter l’imperfection des mesures et se lancer dans l’investissement responsable (IR), selon les experts de la conférence annuelle de l’Association pour l’investissement responsable (AIR).
Les fonds environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) prolifèrent, et les données parfois incohérentes des fournisseurs concurrents peuvent être intimidantes pour les conseillers. Bien qu’il y ait des limites méthodologiques à l’élaboration de portefeuilles zéro émission, les avantages comprennent la gestion des risques, la résilience et l’engagement des clients, ont déclaré les panélistes.
« Nous entendons tellement d’investisseurs dire : « Les données sont tellement déconcertantes. Je regarde les chiffres de Trucost et ils sont différents de ceux de MSCI » », a rapporté Bertrand Millot, vice-président de la gestion des risques, des revenus fixes et responsable du risque et des questions climatiques à la Caisse de dépôt et placement du Québec, faisant référence aux fournisseurs de données sur le risque climatique.
« Cela ne devrait pas vous empêcher de vous engager sur le chemin de la course. Utilisez-en une [mesures]. Choisissez-en une. Peu importe laquelle », a-t-il insisté.
Si les méthodologies diffèrent, la qualité des données est plus ou moins la même : elle est imparfaite, quelle que soit l’entreprise choisie, a-t-il ajouté. Mais cela ne doit pas être une excuse pour ne pas utiliser ces données.
« Ne laissez pas vos responsables des investissements commencer à négocier et à arbitrer les données, car cela ne mène nulle part, a-t-il prévenu. La clé est la suivante : il suffit de choisir quelque chose, de commencer à faire des rapports sur cette base, et de persister. »
Alors que les gouvernements et les entreprises s’engagent à atteindre des émissions nettes de carbone nulles dans les deux ou trois prochaines décennies, de plus en plus d’investisseurs exigent la même chose de leurs portefeuilles. Le processus peut toutefois sembler écrasant. En plus des incohérences entre les fournisseurs de données, il y a un manque de données de la part des émetteurs et une absence de règle au Canada pour étiqueter les fonds comme étant ESG, durables ou responsables.
Malgré ces limites, les conseillers doivent demander à leurs clients s’ils s’intéressent aux questions climatiques et faire preuve de transparence quant aux méthodes utilisées pour créer un portefeuille qui tienne compte du changement climatique, a soutenu Marie-Justine Labelle, responsable de l’investissement responsable chez Placements Desjardins à Montréal. Cela signifie qu’il faut comprendre ce que les différents produits sont capables de réaliser.
Les enquêtes de Desjardins montrent que l’investissement responsable – et le climat en particulier – est un « besoin caché » pour les clients, a affirmé Marie-Justine Labelle, et beaucoup sont frustrés que les conseillers n’en parlent pas.
« Il semble que ce soit une attente croissante et une façon de communiquer avec les clients sur leurs portefeuilles, au-delà des considérations pratiques », a-t-elle déclaré. Discuter des investissements responsables peut aider un client à « devenir un acteur du changement à travers ses portefeuilles, une chose que nous entendons qu’ils veulent faire ».
Les clients ne s’attendent pas à ce que les conseillers aient toutes les réponses, mais ils veulent savoir que celui qui leur donne des conseils est aussi intéressé par le sujet qu’eux.
Les panélistes ont également parlé de la création de portefeuilles « zéro émission » comme moyen de gérer le risque. Les émetteurs sont confrontés à un risque important de transition vers une économie à faible émission de carbone, les gouvernements mettant en œuvre des politiques visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. La feuille de route de l’Agence internationale de l’énergie pour des émissions nettes nulles d’ici 2050, publiée le mois dernier, indique que l’industrie devrait cesser de financer de nouveaux projets de combustibles fossiles. Selon Marie-Justine Labelle, cette transition pourrait entraîner des « perturbations sectorielles massives » et des actifs échoués dans les bilans des entreprises.
De plus, il y a les risques physiques liés au changement climatique, notamment la montée des océans et des conditions météorologiques plus sévères.
« Le changement climatique est une question de gestion du risque à part entière, et il arrive rapidement », a averti Marie-Justine Labelle.
« En être conscient vous donne la prévoyance nécessaire à la résilience de votre portefeuille. »
Si les panélistes étaient prêts à accepter largement l’imperfection des données et des méthodes en faveur d’une action précoce, ils étaient très sceptiques quant à l’utilisation des compensations carbone – où les entreprises achètent le crédit de réduction des émissions d’une autre entreprise pour compenser leurs propres émissions – pour atteindre des émissions nettes nulles.
« Acheter le droit d’émettre de quelqu’un d’autre ne réduit rien au niveau planétaire, a avancé Bertrand Millot. C’est la solution bon marché. »
Il existe actuellement une grande variété de compensations de qualité variable ; acheter des compensations certifiées est mieux, a-t-il dit, mais il pense que la capture et le stockage du carbone seront un jour certifiés et offriront une meilleure solution.
Certains nouveaux fonds cherchent à appliquer les compensations carbone à des indices larges ou même à des cryptomonnaies afin de neutraliser les émissions de leurs avoirs.
Marie-Justine Labelle a déclaré que les compensations pourraient jouer un rôle dans certaines situations « mais c’est une pente glissante », et les conseillers devraient rechercher des produits qui ont un impact réel. « Est-ce qu’[un produit] essaie réellement d’avoir un résultat concret, parce que c’est ce que les investisseurs veulent », a-t-elle dit.