L’apparente indifférence des responsables fédéraux quant à l’impact des actions de la banque centrale sur la gestion de la dette publique, telle que décrite dans des documents internes, est sur le point d’être mise à l’épreuve, alors que la Banque du Canada (BdC) se prépare à ralentir la cadence de son programme d’achats obligataires.
La note d’information remontant à la fin de l’année dernière semble passer sous silence le programme d’achat d’obligations, malgré son effet extraordinaire sur les rendements de la dette.
La banque centrale a tout fait pour garder les taux d’intérêt à leurs creux historiques depuis le début de la pandémie, notamment en maintenant son taux d’intérêt directeur à près de zéro et en achetant des obligations fédérales à un rythme sans précédent dans le cadre de sa première incursion dans le monde de l’assouplissement quantitatif (diminutif QE en anglais).
Il est largement attendu que la BdC annonce, mercredi matin, une réduction de ses achats hebdomadaires d’obligations fédérales, en même temps que sa nouvelle décision sur le taux directeur.
Si la banque centrale se retire des achats, la demande pour les obligations fédérales chuterait et les taux augmenteraient, ce qui pourrait affecter les coûts de refinancement pour plusieurs milliards de dollars de dette arrivant à échéance pour le gouvernement fédéral.
Selon la directrice de l’économie fiscale et provinciale à la Banque Scotia, Rebekah Young, à cause du lien avec la dette, la banque centrale devra expliquer clairement tout changement dans ses achats d’obligations afin que les marchés ne s’inquiètent pas que des décisions aient été prises pour aider les finances fédérales.
« Les marchés ont aussi besoin de sentir que la banque centrale est indépendante, parce que c’est comme ça que sont ancrées les prévisions sur l’inflation », mentionne-t-elle.
« S’il y avait un doute que la BdC maintient son programme de QE pour maintenir les taux de financement du gouvernement bas, cela viendrait effrayer les marchés qui se diraient: « Ok, là ils sont motivés par la volonté de maintenir les charges de la dette publique basse » », analyse l’experte de la Banque Scotia.
La dette fédérale a fait un important bond vers le haut depuis le début de la pandémie alors que le trésor a injecté des milliards de dollars dans l’économie pour compenser les pertes de revenus des travailleurs ainsi que pour subventionner les entreprises et les aider à payer les salaires et leurs frais fixes.
Avec la dette qui doit atteindre 1,2 billion de dollars à la fin de l’année fiscale, les libéraux cherchent à financer cette dette avec des obligations à long terme afin de tirer avantage de leurs taux d’intérêt historiquement bas.
Dans une note d’information en date du 22 décembre, le plus haut fonctionnaire du ministère des Finances rappelait que la gestion de la dette doit tenir compte « des risques associés aux changements exogènes » au programme d’assouplissement quantitatif, mais aussi à tout changement lié au taux directeur.
Le taux d’intérêt directeur se maintient à 0,25 % depuis le début de la pandémie il y a plus d’un an et le gouverneur de la banque centrale, Tiff Macklem, a déjà déclaré qu’il ne le voyait pas repartir en hausse avant l’an prochain.
Plus le taux demeure bas, plus le gouvernement « peut maintenir son approche progressive en sécurisant sa dette par l’émission d’obligations à long terme », est-il mentionné dans une page de la présentation accompagnant la note du 22 décembre dernier.
Ce document, obtenu par La Presse Canadienne grâce à la Loi sur l’accès à l’information, met également en garde au sujet de l’importance d’être prêt à réagir à tout choc inattendu.
Ces secousses pourraient venir de diverses sources, qu’il s’agisse d’une nouvelle vague de cas d’infections au coronavirus à l’automne ou de l’arrivée de nouveaux variants qui forceraient un reconfinement ou encore d’une reprise de la croissance plus rapide que prévu.
Selon Elliot Hughes, un ancien conseiller de l’ex-ministre des Finances Bill Morneau et aujourd’hui conseiller senior chez Summa Strategies, toutes ces variables pourraient forcer la BdC à revoir son échéancier pour rehausser le taux directeur.
« Je suspecte la banque de ne pas vouloir poser de geste drastique avant d’avoir une vraie bonne vision de ce qui se passe dans le monde », partage-t-il
Les principaux dirigeants de la banque croient que l’économie va connaître un puissant rebond à partir de cet été même si la croissance au premier semestre semble légèrement plus faible que ses prévisions.
Dans une note publiée vendredi, l’économiste en chef de la CIBC, Avery Shenfeld, avance que la BdC ne serait pas susceptible de renier sur sa promesse de maintenir le taux directeur inchangé jusqu’à la deuxième moitié de 2022.