Par conséquent, de nouvelles mesures législatives entraîneront pour certaines fiducies de nouvelles obligations de conformité fiscale, ainsi que l’augmentation du volume de renseignements à fournir dans les déclarations de revenus. Quelles sont donc ces nouvelles mesures et quelles conséquences auront-elles pour le contribuable et les autorités fiscales?
Objectif des nouvelles mesures
Les nouvelles mesures en matière de conformité des fiducies découlent d’un avis de motion de voies et moyens du 27 février 2018, élaboré dans un contexte de lutte contre l’évitement fiscal abusif. Le gouvernement souhaite de ce fait obtenir les informations pertinentes sur la propriété effective des fiducies afin de mieux établir l’impôt payable de celles-ci et de leurs bénéficiaires. La structure complexe des fiducies permettait auparavant de limiter l’accès aux renseignements.
En conséquence, les informations recueillies permettront aux autorités fiscales d’identifier les composantes des structures complexes et de repérer les liens de dépendance et les risques possibles afférents aux transactions impliquant les fiducies.
Par exemple, en obtenant suffisamment d’information sur la propriété effective de sociétés détenues par des fiducies, les autorités fiscales pourraient être en mesure de déterminer les liens entre les différentes sociétés et d’établir si elles sont associées au sens du paragraphe 256(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »). Notamment à cause de la présomption de propriété énoncée à l’alinéa 256(1.2)f) L.I.R. selon laquelle les bénéficiaires d’une fiducie sont réputés détenir les actions du capital-actions d’une société détenue par une fiducie, des sociétés pourraient être associées sans le savoir aux fins du plafond des affaires ou encore sans appliquer les règles de conformité de manière appropriée. Par la mise en lumière de ces informations, certaines sociétés pourraient voir leur plafond des affaires réduit et partagé avec d’autres sociétés.
Dans le même ordre d’idées, le capital imposable détenu au Canada sur une base consolidée de toutes les sociétés associées pourrait faire réduire le plafond des affaires et, de ce fait, faire augmenter le taux d’imposition des sociétés visées si celles-ci n’étaient pas au courant de leur association avec d’autres sociétés ou si elles n’appliquaient pas les règles d’association de manière appropriée.
Il faut noter que ces mesures s’appliquent à toute année d’imposition se terminant après le 30 décembre 2021, ce qui englobe l’année d’imposition 2021 pour les fiducies non testamentaires. Une liquidation ou une planification fiscale effectuée dans le but d’éviter de se conformer aux nouvelles règles de conformité des fiducies ou dans le but de limiter l’impact de ces nouvelles règles n’aurait donc aucun effet si les transactions sont effectuées en 2021.
Cas où l’année d’imposition se termine avant le 31 décembre 2021
L’alinéa 150(1)c) L.I.R. énonce la règle générale selon laquelle une fiducie doit produire une déclaration de revenus sur le Formulaire prescrit T3, « État des revenus de fiducie », et contenant les renseignements exigés pour chaque année d’imposition, et ce, dans les 90 jours suivant la fin d’année.
L’alinéa 150(1.1)b) L.I.R. prévoit toutefois une exception permettant à une fiducie de ne pas se soumettre à l’obligation de production de l’alinéa 150(1)c) L.I.R. si cette fiducie, entre autres, n’a aucun impôt payable en vertu de la partie I L.I.R. et qu’elle n’a disposé d’aucune immobilisation ou n’a généré aucun gain en capital au cours de l’année d’imposition.
Ainsi, une fiducie non testamentaire qui est inactive au cours de l’année d’imposition est, à première vue, généralement exemptée des règles de conformité pour l’année en question.
Cas où l’année d’imposition se termine après le 30 décembre 2021
Le nouveau paragraphe 150(1.2) L.I.R. vient ajouter des critères d’exception afin d’obliger certaines fiducies, autrefois exemptées de produire une déclaration de revenus en vertu de l’alinéa 150(1.1)b) L.I.R., à soumettre désormais le Formulaire T3 malgré tout.
Ainsi, une fiducie devra obligatoirement produire une déclaration de revenus si elle répond aux exceptions prévues à l’alinéa 150(1.1)b) L.I.R. et si elle répond aussi à au moins l’une des exceptions du nouveau paragraphe 150(1.2) L.I.R. Parmi ces exceptions se retrouvent, par exemple, une fiducie qui existe depuis moins de trois mois à la fin de l’année d’imposition, un organisme de bienfaisance enregistré, une fiducie de fonds commun de placement et une succession assujettie à l’imposition à taux progressifs. Dans le cas d’une fiducie non testamentaire déjà en place, l’exception qui attire plus particulièrement notre attention est celle de l’alinéa 150(1.2)b) L.I.R., soit une fiducie qui :
« […] détient des actifs dont la juste valeur marchande totale est inférieure à 50 000 $ tout au long de l’année, si les seuls actifs détenus par la fiducie au cours de l’année sont constitués de l’un ou plusieurs des éléments suivants :
(i) des espèces,
(ii) un titre de créance visé à l’alinéa a) de la définition de “intérêts entièrement exonérés” au paragraphe 212(3),
(iii) une action, une créance ou un droit coté à une bourse de valeurs désignée,
(iv) une action du capital-actions d’une société de placement à capital variable,
(v) une part d’une fiducie de fonds commun de placement,
(vi) une participation dans une fiducie créée à l’égard du fonds réservé, au sens de l’alinéa 138.1(1)a) […] ».
Les autorités fiscales semblent donc tenter d’avoir une meilleure vue d’ensemble sur les structures d’entreprises privées comprenant des fiducies non testamentaires. En effet, les fiducies non testamentaires détenant des actions du capital-actions de sociétés privées devront désormais produire obligatoirement une déclaration de revenus même si elles répondent aux critères de l’alinéa 150(1.1)b) L.I.R.
Divulgations de renseignements supplémentaires après le 31 décembre 2021
En plus de la nouvelle obligation de production du paragraphe 150(1.2) L.I.R., les nouvelles mesures ajoutent des obligations de divulgation d’informations additionnelles lors de la production de la déclaration de revenus de la fiducie. Le nouvel article 204.2 du Règlement de l’impôt sur le revenu (« R.I.R. ») exige que soient divulgués le nom, la date de naissance le cas échéant, le lieu de résidence et le numéro d’identification fiscal au sens de l’article 270 L.I.R. – soit, selon le cas, le numéro d’assurance sociale, le numéro d’entreprise ou le numéro de compte d’une fiducie – pour toute personne visée au paragraphe 204.2(1) R.I.R. Les informations demandées devront donc être fournies à l’égard de toute personne qui peut être identifiée avec un effort raisonnable comme étant un fiduciaire, un bénéficiaire, un auteur ou une personne ayant une influence sur les décisions du fiduciaire de la fiducie.
En plus de voir leur fardeau administratif augmenté, les fiduciaires auront en outre la tâche d’obtenir des informations confidentielles d’un nombre potentiellement élevé de personnes, selon la complexité de la structure, afin de fournir l’ensemble des informations requises. L’alinéa 204.2(2)a) R.I.R. précise à cet effet que cette récolte d’informations devra être effectuée pour chacun des bénéficiaires dont l’identité est connue ou peut être déterminée avec un effort raisonnable.
Bien que le concept d’« effort raisonnable » ne soit pas défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu, un exemple de son application est présenté dans les notes explicatives du Règlement de l’impôt sur le revenu en lien avec une formulation très fréquemment utilisée dans les actes de fiducie concernant les enfants nés ou à naître d’un individu. Dans ce cas, il est précisé que les renseignements pertinents devront être transmis pour les enfants et les petits-enfants « nés », et que seules les modalités faisant en sorte qu’un nouvel enfant devienne bénéficiaire seraient nécessaires pour les enfants et les petits-enfants « à naître ».
Certaines situations pourraient toutefois poser problème ou du moins devenir un fardeau administratif important lorsque la liste de bénéficiaires contient une description large d’un très grand éventail de bénéficiaires identifiables, par exemple, une liste de bénéficiaires contenant tout organisme de bienfaisance enregistré au Canada. Dans cet exemple, il serait possible, bien qu’ardu, d’identifier tous les bénéficiaires possibles à l’aide de la base de données des organismes de bienfaisance enregistrés du gouvernement du Canada. Il sera intéressant de suivre l’interprétation que donnera l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») à ces nouvelles obligations.
Non-conformité aux nouvelles mesures
À défaut de se conformer aux nouvelles mesures, une pénalité pour production tardive d’un montant de 25 $ par jour, dont le seuil minimal est de 100 $ et le seuil maximal est de 2 500 $, pourrait trouver application.
En cas de faute lourde, une pénalité additionnelle représentant 5 % de la juste valeur marchande (« JVM ») maximale des biens détenus par la fiducie dans l’année pourrait s’appliquer. Le seuil minimal de cette dernière est d’un montant de 2 500 $, mais aucun seuil maximal n’a été spécifié. Les conséquences pourraient donc être énormes dans certains cas : une fiducie détenant des actifs dont la JVM a atteint 10 M$ au cours de l’année d’imposition pourrait se voir imposer une pénalité additionnelle de 500 000 $ pour cette seule année.
Il est à noter que la pénalité additionnelle s’applique sur la JVM maximale des biens détenus par la fiducie au cours de l’année d’imposition, peu importe le solde à la fin de l’année. Par conséquent, aucune stratégie de diminution de l’actif ne pourrait être mise en place pour minimiser le résultat du calcul de la pénalité additionnelle pour faute lourde. Cet élément est d’autant plus important que la notion de « faute lourde » n’est pas définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu et est sujette à interprétation. En effet, il n’est pas précisé dans quelles circonstances une omission pourrait constituer une faute lourde et déclencher de ce fait l’application de la pénalité additionnelle.
Conclusion
Il sera inévitable pour un certain nombre de fiducies de se conformer aux nouvelles règles de divulgation. Toutefois, plusieurs détails quant à son application pratique restent incertains. Il sera donc intéressant de suivre de près l’interprétation que l’ARC donnera à ces nouvelles mesures, ce qui sera déterminant notamment en ce qui a trait à la quantité d’information à fournir et quant au détail relatif à ces informations.
Par Stéphanie Venne-Wilson, M. Fisc., Première conseillère PwC, stephanie.venne-wilson@pwc.com
* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Printemps 2021), vol. 26, no 1.