Une homme d'affaire qui réfléchit penché sur son téléphone sur un fonds transparent de graphiques boursiers,
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Qui dit nouveaux besoins, dit également nouvelles adaptations. L’un des aspects économiques ayant probablement le plus touché notre société durant la dernière année est la perte de nombreux emplois et, conséquemment, la crise financière pour de nombreux individus et foyers.

La réponse à la crise de l’emploi causée par la Covid-19 se sera manifestée de différentes façons pour chacun. Certains seront demeurés au chômage en attendant un retour à la « normale », d’autres auront changé d’employeur alors que certains auront changé de carrière.

Tel qu’il est mentionné plus haut, devant de nouveaux besoins ayant fait surface en temps de pandémie, de nouveaux emplois se sont créés, mais face à cette crise, certains emplois ou activités génératrices de revenus ont également gagné en popularité. C’est le cas du « day trading» ou la spéculation sur séance (ces deux expressions seront utilisées de façon interchangeable dans le cadre de ce texte). En effet, alors que cette activité n’est pas nouvelle en soi, plusieurs textes et articles dans la dernière année ont fait état du constat quant au fait qu’un nombre grandissant d’individus, lesquels n’ont pas une formation de près ou de loin liée au milieu financier, s’adonnent au day trading. Les nombreuses informations disponibles sur le Web et les médias sociaux ont assurément ouvert le champ aux intéressés et ainsi créé un engouement marqué pour la spéculation sur séance.

Au cours des quelques lignes qui suivront, une attention particulière sera portée à la spéculation sur séance dans un contexte fiscal. En effet, malgré le fait que ce type d’activités soit généralement encadré et réglementé par l’Autorité des marchés financiers (« AMF »), compte tenu de l’adhésion « simplifiée » et facilitée par des plateformes technologiques aujourd’hui accessibles à tous, le day tradinga pris une nette expansion au cours de la pandémie, l’espoir de générer des revenus ayant été forgé par des témoignages de transactions à succès sur les médias sociaux. Cela étant dit, parmi les croyances des nouveaux adeptes de la spéculation sur séance, il semble y avoir, d’une part, une présomption établie que les gains (ou les pertes) réalisés par les investisseurs seront imposés à titre de gain en capital (ou les pertes déduites à titre de perte en capital) plutôt qu’à titre de revenu ou perte d’entreprise. D’autre part, l’exécution de ce type d’activités par le biais d’un compte enregistré tel qu’un REÉR ou un CÉLI semble également être une façon bien établie de contourner, ou plutôt de différer, l’imposition des gains dans ce contexte. Que dit la Loi de l’impôt sur le revenu(« L.I.R. ») ? L’objet des dispositions de la loi visant à différer l’imposition des gains dans un compte enregistré est-il respecté lorsqu’un particulier s’adonne à du day trading?

Nous tenterons de répondre à ces questions en faisant premièrement une révision des critères déterminant la nature d’un profit réalisé à titre de gain en capital ou de revenu d’entreprise, puis en établissant les règles anti-évitement existantes associées aux comptes enregistrés. Notons que les critères ci-après s’appliquent de la même manière, que les transactions soient effectuées dans un compte enregistré (par exemple REÉR/CÉLI) ou non enregistré.

Spéculation sur séance : de quoi s’agit-il ?

Selon l’AMF, la spéculation sur séance se définit comme étant « une activité de courtage qui permet aux investisseurs d’effectuer, sans conseil ni recommandation, des transactions de vente ou d’achat dans leur portefeuille dans le but de générer rapidement des profits grâce aux fluctuations quotidiennes du cours de ces titres ». En d’autres termes, le day tradingconsiste à effectuer de multiples transactions d’achat et de vente sur le même titre lors d’une même séance de négociation. Alors que le mandat de l’AMF vise globalement à encadrer le secteur financier au Québec et ainsi protéger les consommateurs, il faut se souvenir que le suivi des activités de day tradingd’un particulier sera effectué puis imposé différemment, d’un point de vue fiscal, s’il y a lieu, par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et non par l’AMF. Ainsi, l’activité de day tradingétant largement accessible par le consommateur final, l’AMF se trouve limitée quant à sa capacité d’agir dans ce domaine auprès du grand public. La spéculation sur séance est une activité hautement spéculative et les risques financiers associés sont également considérables.

Maintenant, dans le meilleur des mondes, lorsque l’objectif de l’investisseur est atteint et que des profits importants sont générés, l’aspect fiscal devient doublement important considérant les risques de cotisation dans ce secteur. Même si tous les espoirs des investisseurs sont fondés sur des gains, la réalisation de pertes est bel et bien possible et celui ou celle qui réalisera une perte d’entreprise découlant de la spéculation sur séance voudra être en mesure d’en tirer un avantage d’un point de vue fiscal. En effet, il faut se rappeler que les pertes dites d’entreprise sont déductibles à 100 % à l’encontre de tout type de revenu. A contrario, une perte de nature capital sera déductible à 50 % et uniquement à l’encontre d’un gain en capital imposable. Un adepte prudent devra être conscient qu’une perte d’entreprise réalisée dans un compte enregistré ne pourra jamais être utilisée d’un point de vue fiscal.

Imposition des gains : gain en capital ou revenu d’entreprise ?

Chaque fois qu’un contribuable est confronté à la réalisation d’un gain, la nature de son revenu doit être établie considérant que sa facture fiscale résultante y sera directement liée. Rappelons que le revenu provenant d’une transaction de nature capital sera imposable seulement à raison de 50 % du gain réalisé alors que le profit de nature dite d’entreprise sera imposable à 100 %. Ces règles sont inversement applicables lorsqu’il s’agit de pertes. Les investisseurs voulant maximiser leurs profits nets d’impôts auront tout intérêt à ce que leurs gains soient de nature capital plutôt que d’entreprise.

Alors que certains structurent leurs activités en lien avec le day tradingpar l’intermédiaire d’une entreprise et de façon consciente que leurs gains seront imposés à titre de revenus d’entreprise, d’autres pour qui cette activité ne constitue pas leur principale source de revenus ou est simplement exécutée de façon occasionnelle devraient s’attarder à la qualification de la nature de leurs gains.

L’ARC édicte, dans son Bulletin d’interprétationIT-459 (archivé), « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial », les circonstances suggérant que nous sommes en présence d’une entreprise. Avant tout, il importe de mentionner que le paragraphe 248(1) L.I.R. définit une entreprise comme comprenant tout projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Dans ce sens, l’ARC souligne que le fait d’être devant d’un tel « projet » ne signifie pas automatiquement que nous sommes en présence d’un particulier qui exploite une entreprise. Le revenu généré dans le cadre d’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial sera imposé à titre de revenu d’entreprise. De plus, dans son bulletin, l’ARC rappelle qu’il est important de déterminer la fréquence de l’activité en cause afin de savoir si nous ne sommes pas plutôt en présence d’une transaction isolée, plutôt qu’en présence d’une entreprise ou d’une affaire de caractère commercial. Soulignons cependant qu’une transaction unique pourrait tout de même être qualifiée de nature commerciale.

À l’égard de ce qui précède, les critères permettant de déterminer la nature du revenu gagné par un contribuable peuvent être résumés comme suit :

1) l’intention du contribuable;

2) la conduite du contribuable;

3) la nature et la quantité du bien en question.

En effet, quoique les faits de chaque situation doivent être analysés afin de déterminer la nature d’un gain, les critères susmentionnés émanent de la jurisprudence et servent depuis longtemps de lignes directrices dans l’établissement de la nature capital ou d’entreprise d’un revenu. Notons que chaque critère n’est pas déterminant en soi et que c’est l’ensemble des critères qui doit être considéré lors de l’analyse de la nature d’un gain. Le Bulletin d’interprétationIT-479R (archivé), « Transactions de valeurs mobilières », traite précisément de ce sujet dans le contexte de valeurs mobilières, lesquelles comprennent donc l’achat et la vente d’actions et autres titres par un contribuable.

Le critère impliquant l’intention du contribuable est certainement le plus subjectif et difficile à établir, tout en étant un élément rassembleur pour les deux autres critères qui seront vus sous peu. L’ensemble des faits et circonstances entourant la situation d’un contribuable doit être analysé. Il est cependant pertinent de mentionner qu’alors que l’intention de vendre à profit est généralement présente pour tout investisseur, l’intention de vendre à la première occasion ne l’est pas nécessairement. Cette dernière intention peut tendre à indiquer que nous sommes en présence d’un projet comportant

un risque ou une affaire de caractère commercial. Soulignons également qu’un contribuable peut avoir plusieurs intentions. La spéculation sur titre implique généralement que l’investisseur surveille le marché boursier afin de cibler le meilleur moment pour vendre ses titres et ainsi réaliser un profit, comportement qui suggère une intention qui se veut commerciale.

Sommairement, en ce qui a trait à la conduite du= contribuable, il faut savoir que si les agissements de ce dernier s’apparentent à ceux d’un commerçant ou d’un négociant, les gains seront associés à du revenu d’entreprise. L’ARC précise que si des efforts ont été faits afin de vendre le bien sous-jacent à l’intérieur d’une courte période suivant l’achat, il est raisonnable de considérer que nous sommes en présence d’une affaire à caractère commercial. Toujours en ce qui a trait à la conduite du contribuable, la répétition de transactions semblables sera également un élément assez déterminant. Dans le cadre de la spéculation sur séance, les adeptes achètent et revendent fréquemment leurs titres et typiquement à l’intérieur d’une courte période ou séance.

Maintenant, en ce qui a trait à la nature du bien, il faut considérer que lorsqu’un bien ne peut procurer d’avantages à son propriétaire par sa simple détention et qu’ainsi le bien a été acquis dans l’objectif de le revendre à profit, nous sommes en présence d’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Dans le contexte du day trading, l’achat et la vente d’actions étant monnaie courante, il faut savoir que l’action est de nature spéculative. Ainsi, en considérant la conduite du contribuable, l’achat et la vente d’actions, à l’intérieur d’une courte période, suggéreraient une affaire de caractère commercial.

Même si ces notions ne seront pas abordées dans le cadre de ce texte en raison de sa portée limitée, il importe de mentionner que la Loi de l’impôt sur le revenufait état de certaines présomptions de qualification d’un revenu à titre de gain en capital ou de revenu d’entreprise. Ce sera le cas, par exemple, des gains réalisés sur des titres canadiens qui seront présumés générer du gain en capital lorsque le choix prévu au paragraphe 39(4) L.I.R. aura été effectué à cet égard ou la présomption de revenu d’entreprise lors de la disposition d’actions dites « à découvert ».

Selon les nombreux commentaires de l’ARC sur la notion de distinction entre un gain en capital et un revenu d’entreprise et la spéculation sur séance, tout contribuable s’adonnant à ce type d’activité devrait être conscient qu’il est généralement considéré qu’il y a exploitation d’une entreprise.

Day trading, REÉR et CÉLI

Toujours en considérant la montée importante du day trading, une autre idée largement véhiculée dans l’objectif d’éliminer ou de reporter l’imposition des gains, qu’ils soient de nature capital ou d’entreprise, est le fait d’effectuer ce type d’activité à l’aide d’un compte enregistré, soit un REÉR ou un CÉLI. En effet, il est vrai que ces comptes procurent à leurs titulaires l’avantage de différer l’impôt (dans le cadre du REÉR) et d’éviter l’impôt (dans le cadre du CÉLI), mais la spéculation sur séance dans ce type de compte crée-t-elle un avantage fiscal indu ou, en d’autres mots, qui va à l’encontre de l’esprit de la loi ?

L’ARC a énoncé sa position dans sa lettre d’interprétation 2009-0340431E5, « REER, exploitation d’une entreprise », laquelle date du 18 janvier 2010. Brièvement, il faut savoir que lorsqu’une fiducie est régie par un REÉR ou un CÉLI (généralement détenu auprès d’un courtier), c’est le fait qu’il y ait ou non exploitation d’une entreprise qui sera « néfaste » pour le contribuable qui s’adonne au day trading. En effet, dans sa lettre, l’ARC indique que si la fiducie régie par un REÉR ou un CÉLI exploite une entreprise (en considérant les critères discutés ci-dessus et les faits pertinents), un impôt sur la partie I L.I.R. sera payable sur les revenus nets d’entreprise générés par la fiducie. Cette conséquence impliquera qu’une déclaration de renseignements et de revenus de fiducie devra être produite et l’impôt payable sera calculé au taux d’imposition le plus élevé des particuliers, soit le taux auquel sont assujetties les fiducies non testamentaires. Selon les termes de la fiducie, si les revenus qualifiés d’entreprise sont payables au bénéficiaire (ici l’investisseur) de la fiducie régie par le REÉR, la fiducie pourra bénéficier de la déduction prévue à cet égard à l’alinéa 104(6)b) L.I.R. et le montant devenu payable au bénéficiaire devra être inclus dans sa déclaration de revenus en vertu de l’alinéa 56(1)h) et du paragraphe 146(8) L.I.R., soit pour l’année où le montant est effectivement reçu.

Il importe de mentionner que l’ARC a précisé sa position dans la lettre d’interprétation 2014-0538221C6, « Day Trading in RRSP», et a souligné une exception à l’imposition des revenus nets d’entreprise dans un REÉR selon laquelle un impôt n’aura pas à être payable pour une année donnée tant que les placements effectués par un investisseur à l’aide de son REÉR constituent des placements admissibles, selon ce qui est prévu au paragraphe 146(1) L.I.R. En effet, lorsque cette exception s’applique, soit en vertu du sous-alinéa 146(4)b)(ii) L.I.R., seuls les revenus découlant de placements admissibles d’un contribuable exploitant une entreprise grâce à la spéculation sur séance pourront être exemptés de l’imposition des gains dans la fiducie ou dans le calcul du revenu de l’investisseur.

Soulignons que cette exception est uniquement applicable au REÉR. En ce qui a trait au CÉLI, les règles susmentionnées s’appliquent, considérant que les gains générés par le biais d’un CÉLI ne sont jamais imposables, autrement, la poursuite d’une telle activité permettrait un évitement total de l’impôt sur tout gain réalisé avec le CÉLI. Enfin, dans l’objectif de décourager le day tradingdans un CÉLI, lorsque des revenus nets d’entreprise sont imposés dans une fiducie régissant un CÉLI, contrairement à un REÉR, il ne sera pas possible de déduire un montant en vertu du paragraphe 104(6) L.I.R., soit un montant payable au bénéficiaire. La totalité du revenu sera donc imposable au taux d’impôt le plus élevé des particuliers dans la déclaration de revenus de la fiducie.

Conclusion

À la lumière des règles précédentes, même si la spéculation sur séance se veut attrayante et accessible au grand public, la connaissance des règles fiscales est primordiale dans la minimisation des risques financiers. Le fait qu’un gain soit imposable à titre de gain en capital au lieu d’un revenu d’entreprise créera un avantage fiscal pour l’investisseur alors que l’imposition à titre de revenu d’entreprise générera une facture fiscale plus importante. En ce qui a trait aux pertes, l’avantage fiscal sera pour le contribuable qui réalisera une perte d’entreprise puisque ce type de perte est déductible à 100 % et à l’égard de tout type de revenus. L’ARC a déjà effectué plusieurs vérifications à ce titre et il est raisonnable de s’attendre à un accroissement de ses vérifications en considérant la popularité montante du day trading. La prudence est donc de mise !

Par Guerlane Noël, CPA, CGA, LL.M. fisc., Directrice, Planification fiscale et successorale, Placements Mackenzie, gunoel@placementsmackenzie.com

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Automne 2021), vol. 26, no3.