Est-ce qu’une demande introductive d’instance jugée abusive en raison de la faiblesse des allégations qui y sont contenues peut mener à une ordonnance de dépôt de cautionnement ?
Oui, selon l’honorable Christine Baudoin, juge à la Cour d’appel du Québec, dans son jugement dans l’affaire Relance DP inc. c. Banque Laurentienne du Canada[1], rendu le 21 juin 2021. Elle conclut que l’ordonnance d’un dépôt de cautionnement de 40 000 $ était raisonnable devant une apparence d’abus de droit par la demanderesse.
La juge de première instance avait estimé que la demande introductive d’instance paraissait fragile à la lumière des pièces, des transcriptions, des interrogatoires et du droit applicable et l’avait donc assujettie pour ces raisons à un cautionnement de 40 000 $. La demanderesse conteste ce jugement, car, selon elle, cette obligation et le court délai pour s’y conformer rendent le maintien de son action conditionnel à sa capacité de payer. Notez que, dans cette affaire, la demanderesse soutient que la cause principale de sa demande est le refus injustifié et de mauvaise foi d’une institution financière de lui accorder un délai supplémentaire afin de payer le solde de son prêt, l’empêchant ainsi d’aller de l’avant avec son projet de construction.
Dans sa décision, la Cour commence par réitérer les principes de l’article 31 alinéa 2 du Code de procédure civile afin d’en appeler d’un jugement rendu en cours d’instance, soit que la requérante doit d’abord démontrer que le jugement décide déjà en partie du litige ou lui cause un préjudice irrémédiable. Elle doit ensuite établir que l’affaire mérite l’attention de la Cour d’appel, ce qui s’évalue au regard du principe de la proportionnalité, de l’intérêt supérieur de la justice, de la nature et de l’importance des enjeux soulevés et aussi des chances de succès de l’appel envisagé.
Or, selon la Cour, la requérante ne satisfait à aucun de ces critères et son appel n’a aucune chance de succès. En effet, elle souligne dans sa décision que « le jugement attaqué est le dernier d’une importante série, dont plusieurs font état non seulement de la faiblesse des moyens invoqués par la requérante, mais surtout de son acharnement à remettre en cause des arguments par ailleurs déjà rejetés par les tribunaux. J’estime que la requérante ne satisfait pas son fardeau de démontrer que le jugement attaqué comporte une erreur qui justifierait une intervention de notre Cour. Les constatations d’apparence d’abus, compte tenu notamment de la faiblesse des allégations, ne semblent pas déraisonnables et l’assujettissement de la poursuite de la demande à un cautionnement en fonction de ces constats ne l’est guère plus » (paragraphes 16 et 17).
Le tribunal note d’ailleurs que la requérante ne fournit aucune preuve au sujet de son incapacité financière de payer. Il déclare ainsi que le cautionnement de 40 000 $ n’est pas déraisonnable et ne constitue pas un obstacle à l’exercice des droits de la requérante puisque le recours paraît abusif.
Julie-Martine Loranger, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. avec la collaboration d’Anne-Raphaëlle Bolya, étudiante. Le présent article ne constitue pas un avis juridique.
[1] 2021 QCCA 975.