Afin de créer un nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) qui répondra à la fois aux besoins des clients et à ceux de l’industrie, les Autorités canadiennes en valeur s mobilières (ACVM) devraient agir sans précipitation, en considérant leurs autres réformes, et après avoir écouté l’industrie financière ainsi que les autres parties prenantes.
Le groupe de régulateurs provinciaux devrait aussi concevoir un OAR ayant un cadre réglementaire par principe afin qu’il puisse s’adapter aux différents modèles d’affaires et, surtout, doté d’une expertise en français capable de servir les personnes unilingues francophones.
Voilà quelques-uns des messages que l’industrie financière avait à transmettre aux ACVM en réponse à leur projet de fusion de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM).
Bon nombre d’acteurs du Québec ont signifié l’importance d’avoir un OAR qui s’adapte à la réalité de la province, dont son Code civil et sa langue officielle.
« Le nouvel OAR doit garantir un service dans un français de très bonne qualité dans toutes ses divisions », écrit le Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) dans son mémoire, reprenant un message quasi-unanime dans la province. « Il existe au Québec des personnes unilingues francophones qui devront avoir le même service que n’importe qui d’autre », note MICA Capital.
Le CFIQ recommande de considérer Montréal pour le siège social du nouvel OAR, notamment en raison du bassin de professionnels bilingues qu’on y trouve. « Dans l’éventualité où le bureau-chef ne serait pas basé au Québec, il est essentiel d’établir un bureau de section fort pour le Québec, à l’image du conseil de section du Québec actuel de l’OCRCVM », écrit le CFIQ.
Par ailleurs, le conseil d’administration du nouvel OAR devrait avoir une représentation adéquate prescrite pour le Québec, plaident le CFIQ et MICA.
Selon le Mouvement Desjardins, « le nouvel OAR doit avoir une représentativité significative du Québec au sein des instances et de ses processus décisionnels, y compris des inscrits indépendants ou à portée régionale. Une réelle expertise en français dans toutes les sphères de l’organisme, nourrie par un bureau fort au Québec, nous apparaît indispensable. » Le groupe coopératif juge que le premier dirigeant devrait être en mesure de communiquer en français.
La CSF remise en question
Selon l’énoncé de position des ACVM, le nouvel OAR serait reconnu au Québec, sans modifier pour autant le mandat ainsi que les fonctions et pouvoirs de la Chambre de la sécurité financière (CSF).
Bon nombre d’acteurs demandent davantage de clarté quant à l’éventuelle cohabitation entre l’Autorité des marchés financiers (AMF), le nouvel OAR et la CSF. Cette dernière devra coordonner ses activités avec celles du nouvel OAR, soutient le CFIQ.
Selon le Mouvement Desjardins, il est « impossible de reconnaître pleinement le nouvel OAR sans reconsidérer le rôle de la CSF, à défaut de quoi les inscrits et les investisseurs du Québec se retrouveront avec trois organismes réglementaires [NDLR: nouvel OAR, CSF et AMF]. Cette situation viendrait anéantir tous les bénéfices recherchés d’harmonisation et de simplification pour les inscrits et accroître la complexité et la confusion pour les investisseurs. »
Le maintien de l’encadrement des représentants en épargne collective par la CSF aurait du pour et du contre, selon le Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF) de l’Université Laval. Les avantages découlent de l’expertise et de l’expérience de la CSF, de sa proximité avec le milieu réglementé et de sa compétence multidisciplinaire.
Le partage éventuel des compétences entre le nouvel OAR et la CSF comporte certaines faiblesses, poursuit le GRDSF: « En raison de cette compétence restreinte qui est axée sur les aspects individuels de la prestation de services, la CSF ne peut pas intervenir à l’égard des dirigeants et de l’entreprise en cas de manquements de nature organisationnelle ou systémique. »
On devrait créer un mécanisme d’inspection ou d’enquête automatique au sein des deux OAR qui s’enclencherait lorsque la CSF enquête ou sanctionne un représentant, selon Raymonde Crête et Cinthia Duclos, avocates et codirectrices du GRDSF. Ce mécanisme reposerait sur le partage d’information et la synchronisation des activités de surveillance et de contrôle entre les deux OAR. « Bien que présentant des éléments positifs, le choix de ce scénario pourra entraîner des lourdeurs administratives et financières de même que la confusion des épargnants », écrivent-elles.
Selon elles, l’AMF devrait également envisager de faire adopter par Québec une modification législative afin de retirer à la CSF sa compétence en matière disciplinaire à l’égard des représentants en épargne collective.
Bon nombre d’acteurs de l’industrie exigent plus de clarté à l’égard de différents éléments, dont les obligations de formation des représentants en épargne collective. « Il existe au Québec un nombre important de conseillers en épargne collective qui sont également titulaires d’un permis d’assurance, ce qui crée un chevauchement dans la mesure où ils sont également supervisés et formés par la CSF », lit-on dans le mémoire d’iA Groupe financier.
« Nous proposons le maintien du statu quo quant à la formation continue au Québec et croyons que cette responsabilité devrait continuer d’être assumée par la CSF », écrit MICA, qui demande aussi plus de clarté. Entre autres intervenants, MICA, iA Groupe financier et le CFIQ jugent que les ACVM devraient permettre la constitution en société des représentants en épargne collective afin d’éviter l’actuel différend fiscal entre l’industrie et Revenu Québec (lire Différend fiscal accentué).
Réelles réductions de coûts ?
L’absence de détails dans la position des ACVM fait douter certains des économies que dégagerait la création du nouvel OAR. Des mémoires soulignent que les coûts d’arrimage des procédures d’un courtier au corpus réglementaire du nouvel OAR risquent d’être élevés. « Bien que la solution envisage de permettre à un courtier à double plateforme d’inclure ses activités de l’ACFM et de l’OCRCVM au sein d’une seule entité, les véritables économies d’échelle ne pourraient être réalisées que si l’entité combinée décidait de migrer vers un livre d’enregistrement unique. Il s’agit d’un projet pluriannuel qui nécessitera des efforts considérables et des coûts opérationnels importants », lit-on dans le mémoire d’iA Groupe financier.
Selon cet assureur, les coûts de la plateforme sont moins élevés pour les courtiers en épargne collective que pour les courtiers de l’OCRCVM: « Le nouvel OAR augmentera la concentration de courtiers utilisant les services de filiales de banques gérant les plateformes d’arrière-guichet (back office) actuelles de l’OCRCVM, ce qui se traduira par des coûts de négociation plus élevés pour les produits de fonds communs de placement. »
Ces hausses de coûts pourraient éliminer les économies potentielles du regroupement des OAR. «De plus, cette concentration aura un impact négatif sur les petits courtiers de l’industrie, et pourrait réduire la capacité d’attirer de nouveaux membres», écrivent les dirigeants d’iA Groupe financier.
Par ailleurs, la proposition d’une règle visant à exiger le transfert des données historiques sur demande du courtier qui reçoit un client n’est pas pratique ou sera très coûteuse, jugent-ils. « Il est très complexe et difficile de garantir l’exactitude des données historiques. Le nouvel OAR devra être flexible en ce qui concerne la qualité des informations provenant de l’ancien courtier et devra également imposer un format de transaction standard ainsi qu’un point de départ spécifique au secteur. » L’assureur redoute que ces coûts minent la concurrence dans l’industrie.
D’autres appréhendent les coûts de transition, dont MICA: « Nous ne voyons donc pas en quoi la création de ce nouvel OAR permettra à un courtier inscrit uniquement au Québec de réduire ses coûts. Au contraire, nous craignons plutôt une augmentation des coûts pour ceux-ci. »
Pour les courtiers en épargne collective indépendants ou à portée régionale, il y a un risque d’augmentation significative des coûts avec le nouvel OAR, selon le CFIQ: « Par exemple, d’après la structure actuelle des coûts d’adhésion de l’ACFM, les coûts d’adhésion seraient significativement plus élevés que les coûts actuels. »
C’est sans compter que le projet des ACVM risque de créer certains coûts propres à l’industrie québécoise, dont une possible duplication « alors que les représentants devront être membres et payer des frais annuels à la CSF et au nouvel OAR », selon le CFIQ.
Le cas du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF), auquel les représentants du Québec contribuent, est un autre exemple. « Si les représentants du Québec doivent contribuer à la fois au FISF et au Fonds de protection des épargnants (FPE), alors que les représentants du reste du Canada n’auront qu’à contribuer au FPE, ceci créera une iniquité flagrante et un déséquilibre important », écrit MICA, faisant écho aux craintes du CFIQ et du Mouvement Desjardins.
Par rapport à l’harmonisation des fonds de protection prévue par l’AMF, cette étape est intéressante « dans la mesure où elle vise un accroissement de la protection offerte pour les Canadiens et non une diminution de celle pour les consommateurs de produits et services financiers québécois », soutient le GRDSF.
À considérer
Bon nombre d’acteurs de l’industrie soulignent que les coûts liés aux récents changements réglementaires ont été importants. Ce nouveau chantier devrait avoir un échéancier réaliste et favoriser une transition harmonieuse auprès des courtiers, afin qu’ils composent avec les coûts de cette transition.
Par ailleurs, beaucoup d’acteurs prônent une réglementation par principe, qui permet de s’adapter aux différents modèles d’affaires tout en protégeant les clients. « Par exemple, l’ACFM a un mécanisme qui demande que toute transaction au-delà d’une certaine somme soit révisée automatiquement par la conformité. Certains courtiers qui œuvrent seulement au Québec ont leur propre façon de gérer le risque des transactions qui est mieux adaptée à leur modèle d’affaires et réduit les délais de transactions tout en se conformant aux objectifs réglementaires », note le CFIQ.
Par ailleurs, deux visions s’affrontent quant à la gouvernance du nouvel OAR: celle de l’industrie, selon laquelle on devrait valoriser son expertise, et celle d’autres groupes, selon laquelle le mandat du nouvel OAR devrait prôner l’intérêt public.
Selon cette dernière vision, les ACVM devraient prévoir des contrepoids dans la gouvernance afin d’éviter un biais systémique contre les mesures réglementaires utiles mais coûteuses, juge le Canadian Advocacy Council de l’organisme CFA Societies Canada.
Le nouvel OAR devrait aussi documenter les situations où les courtiers ne répondent pas aux attentes d’intérêt public, malgré le fait qu’ils se soient techniquement conformés aux règles, selon FAIR Canada: « La récente décision malheureuse de plusieurs grandes banques canadiennes de limiter la disponibilité des fonds communs de placement de tiers en réponse aux réformes axées sur le client en est un bon exemple. »
Cet organisme de promotion des droits des investisseurs estime que le nouvel OAR devrait s’attaquer également aux situations où les dirigeants d’une firme ont échoué dans leur supervision des conseillers: « Il n’y a pas de déclaration reflétant la position des ACVM sur l’absence historique de mesures d’application à l’encontre des entreprises ou de la haute direction et sur la nécessité pour le nouvel OAR d’être plus proactif dans la résolution des problèmes de supervision. »
Selon le GRDSF, l’OAR pourra encadrer à la fois les entreprises, leurs dirigeants et leurs représentants. « Il sera opportun de prévoir des programmes de formation visant les dirigeants qui exercent des fonctions de gestion, de direction et de surveillance au sein de ces entreprises », suggèrent les codirectrices du groupe.