Cas de figure concret : le conseiller X est courtisé par un autre courtier. Il succombe et choisi de quitter son courtier actuel pour poursuivre sa carrière avec sa nouvelle flamme. À la clé, sa nouvelle flamme lui offre une rondelette somme afin de le dédommager pour les inconvénients subis pour le transfert.
Sur ce cas de figure, il y a généralement deux écoles de pensée :
- Celle qui trouve la pratique parfaitement normale et justifiée
- Celle qui trouve la pratique grossière et révélatrice de problèmes importants
Mais avant d’entrer dans ce débat, voyons un peu ce que représente un changement de courtier pour un conseiller.
Le chemin de croix d’un transfert
C’est un fait indubitable : le conseiller qui choisi de quitter un courtier pour en joindre un autre aura beaucoup de pain sur la planche.
En plus de démissionner de son courtier actuel, il devra compléter toutes les formalités requises par sa nouvelle organisation qui souhaitera sans doute en apprendre plus sur lui, en plus de lui apprendre les règles de la maison.
Vient ensuite le fastidieux travail de contacter tous les clients du conseiller, un à un, afin de les informer du changement de courtier et de solliciter leur loyauté afin qu’ils suivent le conseiller auprès de sa nouvelle organisation.
Chaque client qui accepte doit ensuite, avec son conseiller, compléter les formulaires requis pour l’ouverture du compte et le transfert de leurs actifs.
Ne nous leurrons pas : les clients ne suivent pas tous. Le taux de succès du conseiller dépendra, entre autres, du lien qu’il entretien avec ses clients, du temps qu’il prendra à les contacter et de l’organisation dont il dispose pour assurer un transfert sans tracas.
De plus, lorsqu’il quitte un courtier pour en joindre un autre, les commissions ou honoraires qui sont générés par la clientèle auprès du courtier cédant ne continuent pas forcément d’être versées au conseiller.
En effet, les courtiers ont des pratiques variables à cet effet. Certains ne paient plus rien dès la démission, d’autres continueront, pour un certain temps, à verser les sommes reçues.
En somme, un changement de courtier représente, pour le conseiller, beaucoup d’énergie, de temps, de risques et de pertes financières pouvant être significatives.
C’est dans cet esprit que plusieurs considèrent le paiement de transfert comme étant justifié.
À lire ce qui précède, il est tentant de leur donner raison!
C’est la dose qui fait le poison
Si on accepte ce qui précède, la question qui devrait suivre est : qu’est-ce qui est une indemnité juste et raisonnable dans les circonstances?
Pour déterminer le tout, voici quelques éléments de réflexion qui paraissent légitimes :
- Quelle est la perte réelle encourue par le conseiller dans le cadre du transfert?
- Cette « perte » est-elle attribuable au conseiller ou au transfert en lui-même? En d’autres mots : le conseiller a-t-il été diligent dans son transfert ou s’est-il traîné les pieds?
- Quel support est offert par le courtier qui accueille le conseiller pour minimiser les « dommages »?
- Quel sera le traitement fiscal de cette indemnité?
Généralement, la pratique courante consiste en ce que le conseiller recevra une somme X pour chaque million de dollars d’actifs transférés chez le nouveau courtier.
Cette somme est prévue dans un contrat type et n’est généralement pas personnalisée en fonction des critères ci-dessus mentionnés.
Il est couramment observé que certains courtiers disposant de moyens financiers plus considérables (parce qu’appartenant à de grands groupes financiers, banques ou sociétés mères multinationales) offrent des sommes tellement mirobolantes qu’il n’est plus question d’indemnité mais d’incitatif.
Il est donc possible qu’un conseiller en vienne à s’enrichir grâce à cette indemnité qui n’en a plus que le nom.
Dans ces cas, on devrait parler d’appât.
Comme quoi le dosage de la pratique peut lui faire perdre sa nature et devenir une pratique commerciale agressive qui consiste à user d’un pouvoir financier pour attirer des conseillers et des actifs en affaiblissant d’autres joueurs de l’industrie.
Et plus le pouvoir financier de certains courtiers est grand, plus ils ont d’appétit, plus ils deviennent agressifs et posent, possiblement, un risque à l’équilibre des forces dans l’industrie.
Un équilibre nécessaire pour maintenir compétitivité et vitalité du secteur.
Des questions légitimes
Le pouvoir financier est l’un des leviers dont peuvent user les courtiers afin d’attirer à eux les talents, les clients et les actifs.
S’il est permis de se questionner sur l’étendue de la pratique, sur l’emplacement de la limite de la saine entreprise et sur celle de la décence, je conviens qu’il s’agit de limites flexibles qui peuvent rencontrer une foule de réalités justifiant de les bouger tantôt ici, tantôt là.
Mais comme cette pratique est parfois un élément déterminant dans le choix d’un conseiller de se joindre à un courtier X plutôt qu’à un courtier Y, je me questionne s’il n’y a pas lieu d’agir avec plus de transparence afin que les bonnes informations soient communiquées.
Par exemple :
- Les indemnités ne devraient-elles pas être encadrées dans les pratiques de rémunération prévues à la réglementation afin d’éviter les abus en fixant un maximum admissible ou une mécanique de divulgation?
- Ce qui excède cette limite pourrait alors clairement être qualifié d’incitatif au transfert et déclaré aux clients. Autrement, il est trop facile de masquer une information essentielle dans la prise de décision du conseiller de changer de courtier et d’enterrer sous le tapis un énorme conflit d’intérêts avec lequel le conseiller doit composer;
- La structure de ces ententes (tantôt sous forme de bonus, de rémunération, de prêt, d’avance sur commission, etc.) devrait également être divulguée afin qu’on en comprenne les tenants et aboutissant;
- De telles pratiques devraient faire l’objet d’une attention particulière des régulateurs afin d’éviter qu’elles ne posent des problèmes de saine compétition et de conflits d’intérêts car ce n’est pas parce que ce sont des pratiques répandues qu’elles sont adéquates;
- Des règles claires sur les contreparties liées à de telles ententes devraient être établies. Trop souvent, j’ai été témoin de conseillers qui, ayant reçu une telle compensation, étaient « attachés » à leur courtier pour une certaine période. Cela pose des questions de compétitivité, de fluidité de l’industrie, de pouvoirs très grands au bénéfice des courtiers et, ultimement, du choix réel du conseiller et du consommateur à propos du courtier qui leur offrira le service recherché.
Mais nous pourrions aussi (ou en plus) nous questionner sur les mécaniques de transfert entre courtiers pour les conseillers.
Si la mécanique, les règlements, les processus et tout le reste étaient plus faciles, fluides, rapides et simple, il n’y aurait plus lieu de payer des indemnités. Nous pourrions alors simplement nous demander si nous autorisons les incitatifs, avec toutes les questions que cela engendre.