Lorsque j’étais jeune, j’aimais beaucoup faire du vélo. Dès que je devais me déplacer, c’était à vélo. Je le sortais du cabanon où il était hiverné dès que l’asphalte réapparaissait dans les rues après le rude hiver chibougamois, alors même que les bancs de neige sur les terrains et les trottoirs faisaient encore quelques pieds de hauteur. Il me fallait même pelleter une bonne quantité de neige pour arriver à ouvrir la porte dudit cabanon.
Je ne me résignais à le ranger que lorsque l’hiver suivant pointait le bout de son nez, le vent du nord me gelant les doigts lorsque je me baladais.
Cette sensation de liberté d’aller où je le souhaitais. De rejoindre mes amis pour jouer à mille jeux, réaliser plein de projets que je pensais grandioses. De faire des courses juste pour le plaisir et d’utiliser pour l’occasion toutes les vitesses de mon bolide à pédales.
Et parfois, lorsque j’avais un peu trop d’empressement ou d’ambition sur l’utilisation de mes vitesses, trop pressé à gagner la course, je commettais l’erreur d’aller trop vite et l’immanquable se produisait : ma chaîne débarquait.
Quelle frustration! Non seulement cela me mettait hors course mais, en plus, cela me forçait à l’arrêt, à me salir les doigts pour rembarquer cette chaîne indomptée qui n’avait pas su suivre mon ambition.
Pendant ce temps, mes amis continuaient leur route en rigolant, sachant qu’ils s’en tiraient bien mieux que moi.
Et bien parfois la vie, c’est comme une course à vélo.
Sauf qu’avec tout ce qu’on a vécu ces dernières années (pandémie, confinements, réformes réglementaires, marchés volatiles, vieillissement de la population, etc.) j’ai parfois l’impression que notre chaîne collective est débarquée et bien coincée dans le dérailleur.
Les chaînes d’approvisionnement sont perturbées dans une foule de secteurs.
Le marché de l’emploi est complètement déséquilibré par la pénurie de main d’œuvre.
On demande à tous d’en faire beaucoup plus avec pas mal moins. Les plus chanceux pouvant se contenter d’en faire beaucoup plus avec les mêmes ressources qu’avant.
Il y a clairement quelque chose de cassé en ce moment et il n’existe plus en nous beaucoup de réserves pour gérer ce genre de situation.
Résultat? Notre niveau de saturation arrive plus rapidement, on ferme les vannes pour se protéger et on laisse le tout déborder ailleurs.
Cet « ailleurs » recevant notre débordement va, à son tour, saturer, fermer et déborder.
Et ainsi de suite.
La chaîne se poursuit. Elle fout le camp. Notre domaine n’y échappe pas.
Les clients sont plus maussades qu’avant, n’ayant plus la marge pour digérer les marchés difficiles des derniers mois et anticipant des temps plus durs à venir. Eux aussi sont fatigués des difficultés de la vie et n’auront pas plus de patience pour leurs finances.
Il est plus difficile pour les conseillers et les courtiers d’offrir le même service qu’avant tant le personnel manque et les difficultés se multiplient. Jamais en carrière je n’ai dû consacrer autant de temps et de ressources à régler des problèmes qui n’existaient pas avant et qui résultent principalement du manque de personnel de certains de nos fournisseurs.
Le danger est donc de saturer, de se fermer et de laisser déborder ailleurs. Mais où? À un moment donné, il y a des limites qu’on ne devrait pas franchir.
Je crois qu’il faudra individuellement et collectivement accepter qu’on ne pourra revenir à la vitesse de pointe aussi rapidement que nous l’aurions souhaité.
Comme lorsqu’enfant, je devais m’arrêter pour remettre ma chaîne de vélo en place, je devais accepter de me salir les mains, de rembarquer sur mon vélo, de reprendre ma vitesse graduellement avant de rejoindre mes amis au point d’arrivée.
On ne peut s’attendre à offrir un meilleur service à nos clients avec moins de ressources humaines, moins de revenus, un environnement réglementaire changeant et plus exigeant en répétant la même recette qui a fait notre succès dans le passé.
Il nous faut revoir nos attentes, à tous : régulateurs, membres de l’industrie et clients.
Il nous faut inventer des méthodes de travail qui permettent de dégager du temps ou des ressources ou encore d’améliorer la qualité du produit fini. Idéalement tous ces éléments en même temps.
Il nous faut repenser comment nous œuvrons pour ne pas perdre de vue le pourquoi.
Il faut nous remettre en selle.
Et méfiez-vous de ceux qui disent que tout va comme sur des roulettes dans le meilleur des mondes. Ils sont simplement en train de changer leurs vitesses trop vite.