Les marchés financiers ont un rôle important à jouer pour favoriser les investissements dans les entreprises engagées dans la transition climatique. Pour cela, ils ont besoin d’«un langage commun», a indiqué Emmanuel Faber, dans le quotidien suisse Le Temps, en marge de la conférence sur la finance durable présentée du 3 au 6 octobre à Genève.

L’absence d’un langage « global, fiable et susceptible d’être audité dans une large mesure » engendre le greenwashing et l’«ESG-washing», estime le président-directeur général du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB).
« Des entreprises choisissent un indicateur qui les arrange puis le changent l’année suivante si c’est dans leur intérêt. En conséquence, les investisseurs y croient assez peu et ne s’engagent pas. » 
L’ISSB, créée lors de la COP 26, en novembre 2021, est chargée d’établir de nouvelles normes de divulgations financières environnementales pour les entreprises à l’échelle mondiale. L’un de ses principaux bureaux est situé à Montréal, à la suite d’une entente entre l’IFRS Foundation et CPA Canada.

Deux risques à surveiller

Selon l’ancien PDG du groupe agroalimentaire français Danone, deux types de risque principaux devront être pris en compte dans les nouvelles normes. Le premier est lié à la raréfaction de certaines ressources naturelles telles que l’eau, en lien avec les changements climatiques, qui pourrait entraîner la disparition de certains pans de l’économie.

Un autre risque découle de la transition vers une économie plus durable. Par exemple, l’interdiction des moteurs thermiques, qui affectera l’industrie automobile, engendrera aussi des impacts sociaux en raison des nombreux emplois qui seront perdus, illustre le PDG.

« Nos normes vont exiger de la granularité sur ces deux risques très concrets, pour permettre aux investisseurs d’évaluer la capacité des entreprises à les gérer et à quel prix, avec quels investissements. À terme, cela devrait orienter les capitaux à un coût favorable vers les entreprises qui anticipent mieux leur résilience climatique. »

Le coût des ressources naturelles

Pour régler ce problème, une solution envisagée consiste à faire payer les entreprises qui utilisent des ressources naturelles afin de générer des revenus. Une autre option consiste à mieux gérer la ressource en amont. Danone, au début des années 1990, a ainsi conclu des accords avec des agriculteurs pour qu’ils réduisent l’utilisation de nitrate, un fertilisant très polluant pour l’eau. « De plus en plus d’entreprises comprennent qu’elles doivent mener ce genre de projets. Cela fait apparaître le vrai coût d’accès à la ressource », assure Emmanuel Faber.

L’ISSB ne fixera pas pour autant un prix pour les émissions de carbone, souligne le PDG. « Ce n’est pas notre responsabilité. C’est le rôle des États. Mais on va fournir l’information aux marchés financiers, qui la refléteront dans les prix de marché. »

À quoi ressembleront les nouvelles normes ?

Dans cette future comptabilité « verte », les entreprises devront révéler plusieurs informations. Les nouvelles normes incluront des questions très précises, notamment sur la formation du conseil d’administration, sur les processus de validation des stratégies de résilience et sur le temps que le conseil consacre à ces questions.

« Les futures normes n’ont pas pour vocation de définir ce qui est bon ou mauvais pour le climat », précise Emmanuel Faber. Leur objectif est plutôt de rendre visibles le « mix énergétique » des entreprises ainsi que leurs émissions de gaz à effet de serre. « Ces informations permettront aux financiers d’évaluer la résilience de l’entreprise, y compris face à des possibilités de changement des réglementations locales. »
Les nouvelles normes permettront aussi aux organisations de communiquer leurs émissions annuelles de GES, « dans un cadre unique et comparable dans le monde entier ».

Les entreprises devront faire des « carbon warnings ». « Elles devront expliquer pourquoi elles sont en retard, quels investissements n’ont pas été réalisés et pour quelle raison. Les financiers en déduiront que ces sociétés devront s’endetter pour investir, et que leurs cours de bourse devraient le refléter. »

Celles qui ne seront pas sur la trajectoire qu’elles auront annoncée pour la réduction de leurs émissions seront éventuellement sanctionnées par les investisseurs.

Le 31 mars 2022, l’ISSB a publié pour commentaires deux projets de normes, l’un sur les obligations d’information liées aux changements climatiques, et l’autre sur les obligations d’information financière générales liées à la durabilité. La période de consultation pour ces normes s’est terminée en juillet dernier.

Né à Grenoble, en France, Emmanuel Faber, 58 ans, est devenu président-directeur de Danone en 2017. En 2019, il a lancé les coalitions Business for Inclusive Growth lors du Sommet du G7 et One Planet Business for Biodiversity (OP2B) au Sommet Action Climat des Nations unies. Sous sa gouverne, en 2020, Danone a été la première grande entreprise française cotée en Bourse à devenir une « entreprise à mission ». En mars 2021, le conseil d’administration de Danone a mis fin à son mandat sous l’impulsion d’un groupe d’investisseurs activistes. En décembre 2021, il est nommé PDG de l’ISSB, nouvellement créée.