Le marché des fonds négociés en Bourse (FNB) qui tiennent compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) émerge au Canada et aux États-Unis. Avant de choisir un produit plutôt qu’un autre, une vérification diligente s’impose, afin d’en comprendre notamment les frais, les concentrations sectorielles et la méthode d’évaluation des titres qui le composent par les agences de notation. Tous des facteurs qui exerceront une influence sur la performance du produit.
C’est l’un des messages qui se dégagent d’une analyse du secteur des FNB ESG faite par Banque Nationale Marchés financiers (BNMF), menée par une équipe d’analystes de l’organisation dont Daniel Straus, Tiffany Zhang et Linda Ma.
Taille du marché
Le nombre de FNB de type ESG ainsi que leurs actifs sous gestion sont en croissance tant au Canada qu’aux États-Unis. Au Canada, ce segment de marché dépassait en juillet les 10 G$ d’actifs, répartis entre 127 FNB, dont beaucoup ont été lancés au cours des trois dernières années. Ils représentaient ainsi 3,4% de l’actif du marché des FNB inscrits à la cote au Canada, selon BNMF.
Aux États-Unis, les FNB ESG représentent 1,5 % de l’actif sous gestion en FNB américains, pour un total de 100 G$ en juillet 2022, selon l’institution financière.
Le nombre de produits ESG a également plus que doublé au cours des deux dernières années dans les deux pays. En 2021, 21 % de tous les nouveaux lancements de FNB au Canada et 15 % aux États-Unis employaient une forme de filtre ESG. Au premier trimestre 2022, un tiers des nouveaux FNB lancés au Canada appartenait à la catégorie ESG, selon BNMF.
Entre janvier et juillet 2022, les FNB ESG cotés au Canada ont accueilli des créations nettes de 2,4 G$, en passe d’égaler les créations nettes records de 2021.
Ce sont principalement des investisseurs institutionnels qui détiennent les FNB ESG et qui accaparent la part du lion des créations nettes.
Par rapport aux FNB indiciels classiques, le processus d’évaluation et de sélection des FNB ESG pose un défi, prévient BNMF: » Il faut se plonger dans tous les détails de la méthodologie des FNB afin de repérer les différences et les similitudes dans leur approche des questions ESG. »
Dans le secteur des actions, on retrouve des FNB ESG à large étendue, souvent indiciels, mais parfois aussi à gestion active, qui filtrent positivement des entreprises en plus d’exclure souvent certains secteurs. Il existe d’autres types de fonds ESG : certains sont thématiques (par exemple l’énergie renouvelable), d’autres misent sur un seul facteur ESG (par exemple la gouvernance au féminin) ou sur les obligations vertes.
Partie active
BNMF a analysé la partie active (active share) des FNB ESG, c’est-à-dire la différence entre la composition du portefeuille et celle de son indice de référence pondéré en fonction de la capitalisation boursière. Une répartition identique aura une part active de 0 % et une répartition complètement différente, de 100 %. Résultat, cette part active des FNB ESG canadiens varie de 18 % à 100 %.
Les FNB ESG à large étendue ont tendance à avoir une part active élevée (de 60 % à 90 %) lorsque ceux-ci sont gérés activement et une part active plus faible lorsqu’ils sont indiciels.
Par exemple, le FNB Développement durable d’actions mondiales BNI (NSGE) a une part active de 90 % par rapport à l’indice MSCI All Country World, selon BNMF. « Un écart significatif dans la composition du portefeuille indique que les gestionnaires de portefeuille humains prennent des positions différenciées et parfois plus concentrées dans leur sélection de titres », précisent les auteurs du rapport.
Parmi les FNB ESG indiciels à large étendue, ceux qui suivent des indices conçus pour minimiser l’erreur de suivi par rapport aux marchés larges, comme l’indice Invesco S&P/TSX Composite ESG Tilt (ICTE), ont une part active dans la partie inférieure du spectre.
En revanche, les FNB d’énergie propre affichent tous une part active très élevée (supérieure à 95 %), ce qui reflète l’exposition de niche que ces produits sont censés offrir, selon l’institution financière.
Cette dernière a calculé le coût de la partie active en prenant les frais supplémentaires d’un FNB par rapport à un produit de référence comparable, puis en les divisant par la part active du FNB. Un FNB dont le coût de la part active est inférieur peut indiquer qu’il facture moins aux investisseurs par part active pour une exposition hors indice de référence.
Parmi les 16 FNB ESG d’actions canadiennes, ce coût varie de 0,12 à 1,15. Par exemple, le coût de la partie active du BMO MSCI Canada ESG Leaders Index ETF est de 0,2, car sa part active est de 56 % et son ratio des frais de gestion (RFG) de 0,17 % par rapport au FNB S&P/TSX Composite Index (XIC CN), dont le RFG est de 0,06 %.
Le NBI Sustainable Canadian Equity ETF a une partie active de 66 % et un RFG de 0,69 %, si bien que le coût de sa partie active est de 0,95. Pour le Mackenzie Maximum Diversificat ion Canada Index ETF, ces données sont respectivement de 52 %, 0,50 % et 0,84.
Rapport risque et rendement
Avec des données historiques limitées sur les FNB ESG cotés au Canada, BNMF n’a trouvé aucun indice prouvant que les FNB ESG réussissent systématiquement mieux ou moins bien que leurs indices de référence respectifs. « Au contraire, leurs rendements dépendent fortement de la fenêtre d’observation. Les stratégies ESG peuvent ajouter de la valeur à certaines périodes et en réduire à d’autres », lit-on dans le rapport.
La récente conjoncture des marchés financiers est un bon exemple. Les inclinaisons sectorielles au sein des FNB ESG d’actions américaines ont créé une tempête parfaite de conditions pour la sous-performance généralisée de cette année. En effet, la plupart des FNB ESG avaient des pondérations plus faibles en énergie et en services publics et plus élevées en technologie que l’indice S&P 500 au début de l’année. Les premiers secteurs ont fourni des performances supérieures depuis le début de 2022, alors que la technologie a été moins performante.
Il s’agit cependant d’un renversement de tendance qui a longtemps été en place depuis le krach des prix du pétrole de 2014 : les valeurs technologiques ont connu un boom pluriannuel, tandis que les valeurs énergétiques ont stagné, donnant ainsi un élan aux FNB ESG.
Une tendance reste : les fonds ayant une part active plus élevée ont tendance à s’écarter plus fortement des performances de l’indice de référence. « Par conséquent, il est important pour les investisseurs ESG d’évaluer leur tolérance aux écarts de performance », écrivent les auteurs de l’étude.
« L’analyse de l’historique de performance ESG en temps réel et rétro-testé amène ce message clé : les investisseurs ne doivent pas considérer les FNB ESG comme des occasions à court terme ou des idées de transaction », indiquent les auteurs de BNMF.
Allocation sectorielle
Les FNB d’actions canadiennes ESG ont tendance à surpondérer les secteurs des finances, de la technologie et des biens de consommation de base, tout en sous-pondérant ceux de l’énergie et des services publics, selon BNMF. La plupart des FNB d’actions canadiennes ESG ont des filtres négatifs sur les combustibles fossiles, l’énergie nucléaire ou les controverses liées à l’environnement.
Cependant, les biais méthodologiques des différents FNB diffèrent entre eux. Par exemple, l’étude révèle que 4 des 16 FNB d’actions canadiennes ESG (NSCE, XCSR, CSCE, SRIC) n’ont actuellement aucune exposition à l’énergie, parce qu’ils excluent strictement les entreprises de combustibles fossiles. Ces FNB affichent par conséquent une forte surpondération des secteurs technologique et/ou financier.
« Les FNB qui utilisent une méthodologie neutre sur le plan sectoriel (leaders sectoriels), comme XEN, ESGA et ESGC, ont des biais sectoriels plus faibles de par leur conception », d’après l’étude.
Par ailleurs, les FNB ESG conçus pour minimiser l’erreur de suivi, comme XESG, présentent également un faible écart sectoriel par rapport à l’indice de référence, car il s’agit souvent d’une des contraintes de conception pendant le processus d’optimisation.
Divergences entre les agences de notation
BNMF révèle qu’il peut y avoir parfois des écarts significatifs entre les notes des différentes agences de notation, même si elles sont généralement plutôt sur la même longueur d’onde.
Cela s’explique par la méthodologie des agences qui est basée sur des données et des algorithmes complexes. Une légère différence dans l’une des étapes peut entraîner une variation du score final. « Des agences de notation différentes peuvent avoir des sources de données distinctes, des processus et des résultats de mesure indépendants, des questions clés différentes, un traitement différent des données manquantes ou des façons contradictoires d’aborder les controverses », font valoir les analystes.
L’institution financière a comparé entre eux les scores ESG d’entreprises canadiennes établis par Sustainalytics (SA), MSCI et S&P (auparavant RobecoSAM).
« Ce qui est positif pour l’analyse ESG indépendante, c’est que seules quelques entreprises ont des notations radicalement différentes et qu’aucune ne se trouve dans des situations de désaccord extrême. »
Pour illustrer les différences de notes, BNMF a fait l’étude de cas des six grandes banques canadiennes. MSCI attribue une note AA à toutes les banques, à l’exception de la Banque Scotia, qui obtient la meilleure note possible, soit AAA. « Les notes ESG de Morningstar Sustainalytics (SA) et de S&P sont en désaccord presque total en ce qui concerne les six grandes banques : SA attribue à la Banque Nationale la meilleure note parmi ses pairs et à la TD la pire, tandis que S&P attribue la meilleure note à la TD et la pire à la Nationale ! » ont découvert les auteurs de l’étude.
Cette dispersion des notes pour les six banques fait que leur inclusion dans les FNB ESG varie d’un fournisseur d’indices à l’autre, observe BNMF. Par exemple, l’indice phare de MSCI, MSCI Canada ESG Leaders, exclut la RBC et la CIBC. Les exclusions sont le résultat du filtrage supplémentaire de MSCI sur les controverses liées aux facteurs ESG. De même, la structure de l’indice S&P présente également une superposition d’analyse des médias et des parties prenantes, mais n’a pas trouvé que RBC était controversée : l’indice phare S&P/TSX Composite ESG Index inclut RBC, mais exclut CIBC et la Banque Nationale sur la base de leurs scores ESG. L’indice Morningstar ESG Canada Equity Index inclut les six banques dans ses composantes.
Ces différences font que les banques canadiennes ont des pondérations significativement différentes d’un indice à l’autre. Prenons le cas de la Banque TD qui figure dans chacun des indices. Son poids par rapport à l’indice S&P/TSX est de 5,9 %, mais MSCI lui alloue une pondération dans son indice phare de 13,6 % (BMO MSCI Canada ESG Leaders Index ETF [ESGA]). Pour SA (TD Morningstar ESG Canada Equity Index ETF [TMEC]) et S&P (Invesco S&P/TSX Composite ESG Index ETF [ESGC]), c’est 4,2 % et 8,3 % respectivement.
L’analyse croisée des 20 premières sociétés par capitalisation boursière de l’indice composé S&P/TSX faite par la Banque Nationale montre que seulement six d’entre elles sont incluses dans les trois FNB, « un chiffre étonnamment bas compte tenu du fait que les grandes sociétés sont souvent les meilleures en matière de rapports ESG ».
« Cette grande dispersion entre les agences de notation et les pondérations des FNB ESG peut être frustrante pour de nombreux investisseurs, car elle introduit des défis inévitables dans la sélection des FNB ESG. Malheureusement, il n’y a pas de solution miracle à cette situation », écrivent les auteurs de BNMF.
Ceux-ci espèrent qu’avec une plus grande normalisation des rapports ESG grâce à des directives réglementaires, tant du côté des divulgations des entreprises que du côté des normes des fonds ESG, les investisseurs trouveront progressivement plus de transparence et seront plus à l’aise dans leurs décisions d’investissement ESG.