Le projet de loi C-228 qui vise à protéger les régimes de retraite des travailleurs en cas de faillite d’une entreprise a été adopté à l’unanimité, le 23 novembre dernier, lors du vote sur la troisième lecture à la Chambre des communes grâce à une alliance entre les partis d’opposition, à laquelle s’est ajouté in extremis l’appui des libéraux.
« C’est un grand jour pour les travailleurs », s’est réjouie quelques minutes après le vote la députée bloquiste Marilène Gill. C’est pour elle l’aboutissement d’un travail qui a débuté il y a sept ans. À pas moins de trois reprises, en 2015, en 2019 et en 2021, elle a présenté un projet de loi visant à défendre les fonds de pension.
Puisque la « loto » des projets de loi émanant des députés ne lui a souri que les deux premières fois, lors de la présente législature, Marilène Gill a travaillé de concert avec d’autres députés, dont la conservatrice Marilyn Gladu, qui, elle, a été chanceuse lors du tirage au sort, afin de faire progresser ses idées par l’entremise de cet autre projet de loi semblable, un choix qu’a également fait Daniel Blaikie du Nouveau Parti démocratique (NPD).
En entrevue avec La Presse Canadienne, Marilyn Gladu a expliqué la recette qui a permis l’adoption de son projet de loi avec ou sans l’appui des libéraux: aller à l’essentiel. « Je voulais avoir seulement des éléments avec lesquels tous les partis étaient déjà en accord », a résumé la marraine du projet de loi.
À titre d’exemple, le document législatif ne propose rien en matière de protection des assurances collectives, au grand dam du NPD qui voulait qu’elles soient maintenues et du Bloc québécois qui proposait une indemnité. Les conservateurs s’y opposaient, notamment parce qu’il est difficile d’en calculer la valeur, a dit Marilyn Gladu.
L’exercice se compare à une négociation où chacun a dû faire des compromis, a illustré Marilène Gill. « Le mieux est l’ennemi du bien. On préfère avoir un gain que rien du tout. (…) Voir un projet de loi qui a la chance d’être adopté, c’est énorme. »
Le néo-démocrate Daniel Blaikie a toutefois reproché aux libéraux d’avoir bloqué son amendement visant à protéger les indemnités de départ ou de préavis, et malgré que ces dispositions auraient vraisemblablement recueilli une majorité parlementaire.
Lors de l’étude du projet de loi, le président du comité permanent des finances a déclaré « irrecevable » cet amendement, estimant qu’il dépasse la portée et le principe du projet de loi. Le NPD a contesté la décision jugeant qu’il s’agit d’une « interprétation trop étroite » et a forcé un vote qui a annulé la décision et adopté les dispositions. Loin de s’avouer vaincus, les libéraux en ont appelé la semaine dernière au président de la Chambre des communes. Anthony Rota a invalidé la décision du comité et annulé l’amendement.
« Sabotage »
Daniel Blaikie a également accusé les libéraux d’avoir fait des tentatives pour « saboter » le projet de loi, en référence à une série d’amendements qui ont été défaits en comité. Ils ont notamment essayé, en vain, de convaincre leurs collègues de conférer aux retraités un rang de créancier inférieur à celui proposé dans le projet de loi.
Andy Fillmore, le secrétaire parlementaire du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, avait entre autres déclaré que le projet de loi place les employeurs dans « une situation de risque intolérable de faillite et donc de perte d’emploi » et que la meilleure façon de prendre soin des retraités est avec « un paiement préférentiel et non une superpriorité ».
Au final, les membres libéraux du comité ont malgré tout voté comme leurs collègues des oppositions pour adopter le projet de loi tel que modifié.
La façon dont les libéraux allaient se prononcer lors du vote ultime à la Chambre des communes n’a été révélée que quelques minutes avant qu’il ne se tienne lorsque le premier ministre Justin Trudeau a répondu à une question du chef du NPD, Jagmeet Singh.
« Nous appuierons le projet de loi C-228, mais nous ne prendrons aucune leçon d’un Parti conservateur qui a fait la guerre aux travailleurs pendant une décennie et qui n’a rien à offrir aux Canadiens à l’exception de bitcoins et des mots à la mode », a-t-il envoyé.
Le vote a été précipité à la suite d’un tour de passe-passe, gracieuseté des bloquistes. Ils ont offert que les conservateurs prennent un de leurs tours de parole afin que puisse se tenir plus rapidement la dernière heure de débats de C-228 et qu’il soit adopté avant les Fêtes.
« Une très bonne nouvelle », dit la FADOQ
L’adoption de ce projet de loi constitue « une très bonne nouvelle pour les retraités », estime la FADOQ, une organisation aussi connue sous le nom de la Fédération de l’âge d’or du Québec.
« Depuis 2005, il y a eu trois projets de loi privés, deux projets de loi du gouvernement à ce sujet-là, puis il n’a aucun d’entre eux qui a été adopté », a souligné son porte-parole Philippe Poirier-Monette.
Les retraités sont en ce moment, grosso modo, « les derniers à piger dans le bol » pour avoir des versements qui combleraient les déficits de leur fonds de pension, a-t-il dit. Une fois le projet de loi adopté, ils ne verront plus à peu près tout le monde passer avant eux puisqu’ils feront partie des créanciers prioritaires.
Philippe Poirier-Monette a soutenu que les retraités de Sears, de Nortel Networks, de la minière Cliffs sur la Côte-Nord et de l’usine MABE qui était détenue par General Electric auraient, par exemple, été mieux protégés si ce projet de loi était en vigueur lors de ces grandes faillites.
Désormais, les tribunaux ne pourraient plus accepter des ententes de restructuration si ça n’inclut pas des versements de sommes aux fonds de pension qui sont déficitaires, ce qui a récemment forcé les retraités des journaux du Groupe Capitales Médias à subir initialement une perte de 30 % de leur rente, a-t-il noté.
Le projet de loi est bel et bien un compromis. La FADOQ croit d’ailleurs que les fonds de pension devraient être une créance garantie, comme tout ce qui a été promis aux retraités.
Philippe Poirier-Monette semblait toutefois marcher sur des œufs en commentant le déroulement des travaux. « On se serait attendu à ce que les libéraux soient plus enclins à adopter rapidement le projet de loi, pas essayer de mettre des exceptions, mettre en quelque sorte des bâtons dans les roues des travailleurs et des retraités », a-t-il lâché, notant au passage que ceux-ci ont « donné une voix » au secteur financier.
Maintenant que la motion portant troisième lecture a été adoptée, le projet de loi est envoyé au Sénat. La chambre haute peut également y proposer des amendements. S’il est adopté sans amendements, il reçoit alors la sanction royale et devient une loi, mais autrement les deux chambres du Parlement devront s’entendre sur une même version du document législatif.
L’appui unanime au projet de loi permet que l’épée de Damoclès d’amendements qui viendraient du Sénat soit moins menaçante puisque les libéraux ont appuyé le projet de loi et que la majorité des sénateurs ont été nommés par cette formation politique.
La FTQ heureuse de la tournure des événements
La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) salue l’adoption de ce projet. Bien que cette dernière le juge encore imparfait, elle estime qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction.
« C’est un fait trop rare, mais il faut applaudir les parlementaires, toutes formations confondues, qui ont mis de côté leurs différends idéologiques. Après des années de représentations politiques de la part de la FTQ et des syndicats affiliés, les politiciens ont enfin compris qu’il était urgent de mieux protéger la retraite des travailleurs et travailleuses en cas de faillites d’entreprises. Il reste maintenant l’étape de l’adoption au Sénat et de la sanction royale faisant du projet de loi une loi en bonne et due forme », déclare le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc.
« Nous considérons que la rente de retraite promise est du salaire différé. Les travailleurs et travailleuses renoncent durant leur vie active à une portion de leur revenu, afin d’assurer leurs vieux jours. Rien ne peut justifier qu’après une vie de travail, cette rente soit réduite en raison de la situation financière de l’ancien employeur », conclut Denis Bolduc.
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