Les Canadiens qui ne produisent pas leur déclaration de revenus sont parfois stupéfaits de découvrir combien d’argent leur doit le gouvernement après des années de prestations manquées, affirme la responsable d’une organisation à but non lucratif qui travaille à renforcer la littératie financière des personnes à faible revenu.
La cheffe de la direction de Prosper Canada, Elizabeth Mulholland, affirme que son organisation collabore avec d’autres partenaires communautaires pour offrir des services financiers et des programmes de littératie financière, y compris des programmes sur la production de déclaration de revenus qui aident les Canadiens qui, autrement, ne produiraient pas de déclaration.
Or, certaines personnes qui font appel à de tels services découvrent parfois que des dizaines de milliers de dollars leur sont dus en prestations qu’elles n’ont pas reçues, raconte-t-elle.
Ce nouvel argent peut ouvrir la porte à une conversation sur l’argent et la planification financière, estime-t-elle. Elle a même vu un cas où une famille a pu verser une mise de fonds sur une copropriété après avoir reçu l’argent qui lui était dû.
« Souvent, la première question est: « eh bien, qu’est-ce que je vais faire de tout cet argent? », explique Elizabeth Mulholland.
Le gouvernement fédéral compte de plus en plus sur l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour offrir des prestations fondées sur le revenu aux particuliers, notamment le récent supplément unique à l’allocation canadienne pour le logement et le doublement temporaire du crédit pour la taxe sur les produits et services.
Cependant, certains Canadiens vulnérables manquent ces paiements parce qu’ils ne produisent pas leurs déclarations.
L’ombudsman des contribuables, François Boileau, a soulevé cette question dans son dernier rapport annuel, publié cette semaine. Lors d’une conférence de presse mardi, M. Boileau a affirmé qu’il prévoyait de fournir à l’ARC des recommandations sur la façon de résoudre le problème.
« Nous essayons toujours de comprendre pleinement le problème et de proposer des solutions concrètes, c’est pourquoi il n’y a pas de recommandations cette année. Mais vous pouvez parier qu’il y en aura à un autre moment », a-t-il assuré.
Jennifer Robson, professeure agrégée de gestion à l’Université Carleton, s’est penchée sur le problème des personnes qui ne produisent pas leur déclaration de revenus dans le système fiscal et ses répercussions sur le versement de prestations fondées sur le revenu.
Dans un article publié en 2020, Jennifer Robson et son coauteur Saul Schwartz ont constaté qu’environ 10 % à 12 % des Canadiens ne produisaient pas leur déclaration de revenus.
Au total, les chercheurs ont estimé que les avantages perdus pour les non-déclarants en âge de travailler étaient d’environ 1,7 milliard de dollars en 2015.
Surtout des hommes, jeunes et célibataires
Pourquoi les gens ne font-ils pas leur déclaration de revenus? C’est un peu un mystère académique, observe Jennifer Robson.
« Nous n’avons pas encore une bonne compréhension complète des raisons pour lesquelles certaines personnes ne produisent pas de déclaration, explique-t-elle. Pourquoi les gens ne déposeraient-ils pas de déclaration si cela fait en sorte qu’ils laissent de l’argent sur la table? »
Selon son article, les non-déclarants sont plus susceptibles d’être des hommes, jeunes et célibataires. Et, même s’il y avait des non-déclarants dans tous les groupes de revenu, ils étaient surtout concentrés dans les tranches de revenu inférieures.
« C’est un vrai problème en ce qui a trait aux personnes qui ratent certaines de ces prestations », affirme Jennifer Robson.
Cela a également des implications pour l’intégrité des programmes, ajoute-t-elle, puisque de nombreux programmes utilisent les déclarations de revenus pour évaluer l’admissibilité.
Sur la base de son expérience de travail avec des personnes à faible revenu qui n’ont pas produit leurs déclarations de revenus, Elizabeth Mulholland observe qu’il y a toute une série de raisons à cela, notamment des barrières linguistiques, des problèmes cognitifs et parfois même simplement un manque de sensibilisation.
En 2015, la lettre de mandat du nouveau premier ministre Justin Trudeau au ministre du Revenu national demandait à l’ARC de tendre la main de manière proactive aux Canadiens qui ont droit à des avantages fiscaux, mais qui n’en reçoivent pas.
Elle indiquait en outre que l’ARC devrait offrir de faire le travail pour remplir les déclarations de revenus de certains Canadiens, en particulier ceux à faible revenu.
Un porte-parole de l’ARC a déclaré dans un courriel que chaque année, l’agence aidait plus de 600 000 personnes à revenu modeste à produire leur déclaration de revenus en soutenant les cliniques d’impôt gratuites. L’agence travaille également avec Statistique Canada pour mieux comprendre l’utilisation des prestations.
Jennifer Robson estime qu’il n’y a pas de « solution miracle » pour résoudre le problème des personnes qui ne produisent pas leur déclaration, mais que l’ARC pourrait déjà commencer par pré-remplir les déclarations de revenus des Canadiens dont les informations se trouvent déjà auprès de l’agence.
« Pensons, par exemple, aux personnes qui reçoivent de l’aide sociale. C’est beaucoup de gens. L’ARC sait quel était leur revenu », explique Jennifer Robson.
Elizabeth Mulholland aimerait voir plus de coordination entre les ministères et organismes fédéraux et provinciaux, ainsi que les groupes communautaires, pour rejoindre les Canadiens qui pourraient manquer des prestations parce qu’ils ne produisent pas leur déclaration de revenus.
« Tant que l’argent ne fait traîner à Ottawa, nous échouons, et cet échec a des conséquences très dures pour les personnes à faible revenu qui sont les bénéficiaires prévus de cet argent », affirme-t-elle.