Les réformes axées sur les clients (RAC) donnent du pain sur la planche aux conseillers et augmentent leur anxiété, en particulier dans les firmes de petite et moyenne taille, qui peinent à suivre le rythme des nouvelles exigences.
Voilà ce qui ressort d’un sondage en ligne effectué au début de 2023 auprès de dirigeants et responsables de la conformité de divers courtiers et institutions financières.
Entrées en vigueur en 2022 dans le cadre du projet de réforme du règlement 31-103, les RAC confèrent aux conseillers et aux courtiers des responsabilités supplémentaires en matière de connaissance des clients et du produit ainsi que dans la gestion d’éventuels conflits d’intérêts.
Sur une échelle de 0 à 10, à la question : « Dans quelle mesure les conseillers ont-ils trouvé difficile de se conformer aux réformes axées sur le client ? », la réponse des sondés a été qu’ils ont trouvé plutôt ardu de s’y conformer (selon une moyenne de 7,4 sur 10).
Parmi les principaux irritants rapportés, les conseillers citent le plus souvent la mise à jour annuelle pour certains clients. Ils signalent également le caractère flou de certains aspects des RAC et soulignent des défis reliés à la paperasse supplémentaire pour remplir certaines exigences. De plus, les coûts associés aux RAC s’additionnent à ceux engendrés par d’autres réformes, ce qui représente une charge importante, selon d’autres répondants.
« Les changements ne tiennent pas compte de la réalité terrain des conseillers en placement, qui ont dû mettre à jour des milliers de comptes en moins de 12 mois », rapporte un sondé. Un autre fait état d’un « fardeau supplémentaire pour les équipes d’administration ».
Les délais prévus par les régulateurs pour se conformer aux nouvelles exigences sont trop courts, estime Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité chez Mérici Services financiers : « La marche est très haute pour les conseillers qui n’ont pas un processus bien documenté. Cela leur impose un fardeau et un lot d’anxiété supplémentaires. Certains en font beaucoup trop et écrivent un document de 25 pages, tandis que d’autres veulent garder cela simple et le faire entrois lignes. »
Face à ce surcroît de travail, des conseillers craquent. « Certains se demandent s’ils vont maintenir leur activité. Pour plusieurs, cela sonne l’heure du départ à la retraite. » C’est un problème, car le secteur est confronté à un défi de relève.
Un sondé qualifie la gestion des conflits d’intérêts de sujet délicat. « On doit consacrer beaucoup d’efforts à éduquer les conseillers et avoir des outils pour détecter les conflits potentiels », indique Maxime Gauthier.
Concrètement, cela signifie intensifier la formation et le coaching aux conseillers afin de leur apprendre à détecter les situations de conflit d’intérêts potentielles. Cet aspect a également des répercussions psychologiques. « Certains conseillers le vivent plus difficilement. Ils deviennent plus anxieux et fragiles. On doit les aider à gérer la situation. »
Un sondé du secteur de l’épargne collective juge que « l’AMF [Autorité des marchés financiers] accorde trop peu d’importance aux impacts financiers de ses décisions sur l’industrie par rapport aux conséquences théoriques de certains conflits d’intérêts potentiels ». Selon ce sondé, cela pourrait se traduire par des coûts importants pour l’industrie, « mais aussi par une baisse marquée de l’offre de services auprès des clients moins fortunés ».
« Je n’aime plus mon travail »
Un répondant signale que « les obligations de connaissance du client ont fait augmenter grandement la quantité de documentation à produire pour un conseiller, ce qui l’oblige à mettre davantage l’accent sur la documentation que sur le conseil ».
« Je n’aime plus mon travail autant : c’est quelque chose que l’on entend dire plus souvent par les conseillers. Ils estiment que la charge administrative enlève le côté relation à la clientèle », indique Julie Ouellet, vice-présidente et directrice nationale des ventes à Valeurs mobilières Desjardins (VMD). Cet aspect, qui s’ajoute au retour au travail en mode hybride et à la reprise des rencontres en présentiel avec les clients, a un effet sur leur santé psychologique, affirme la gestionnaire.
La mise à jour annuelle des informations sur la clientèle exige beaucoup d’efforts de la part des conseillers en placement. « L’information demandée est très détaillée. Une mise à jour dont on pensait qu’elle durerait 20 minutes au départ prend en réalité près d’une heure aux conseillers. Cela a un impact négatif sur ce qu’ils pourraient faire d’autre pour les clients », ajoute-t-elle.
Divers sondés mentionnent par ailleurs que les obligations pour le conseiller en lien avec la connaissance du produit sont « floues et varient grandement d’une firme à l’autre ».
Julie Ouellet souligne que l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) donne une ligne directrice, mais que « chaque firme la vit de façon différente ». Conséquence:les conseillers peinent à déterminer jusqu’où ils doivent aller pour collecter l’information personnelle sur les clients. « On doit interpréter des zones grises. L’OCRCVM devrait arriver avec des règles plus claires et plus concrètes », indique la gestionnaire de VMD.
Une autre conséquence des réformes des RAC réside dans l’augmentation des coûts pour les courtiers. Les suivis, la collecte et l’analyse des données clients ainsi que la mise en place des plans financiers des clients sont faits « avec un budget réduit », en raison de « l’abolition des frais de sortie et de la pression pour diminuer les frais facturés aux clients », mentionne Maxime Gauthier.
Certains répondants se montrent plutôt satisfaits du travail effectué quant aux RAC par les régulateurs. « Le rythme des changements réglementaires imposés par le régulateur a été raisonnable considérant les ressources de mon organisation », note un sondé.
« Les régulateurs canadiens ne tiennent clairement pas compte de la capacité d’absorption des firmes de petite et moyenne taille, et enchaînent les réformes à un rythme effréné, ajoute un sondé en épargne collective. Il est temps de prendre une pause pour laisser les firmes s’adapter et intégrer de manière efficace tous les changements imposés dans les dernières années. »
Les RAC étaient nécessaires, mais leur mise en place a pris trop de temps, selon Jean-Paul Bureaud, directeur général de FAIR Canada : « La véritable préoccupation est de savoir si elles sont bien mises en oeuvre. Les premiers contrôles de conformité suggèrent que certains acteurs doivent faire mieux lorsqu’il s’agit de faire passer l’intérêt de leurs clients en premier. » Les inspections des régulateurs par rapport aux RAC rimeront peut-être avec ajustements pour certains courtiers.
Afin de rendre la gestion du changement plus efficace, l’AMF aurait avantage à organiser ses réformes selon un plan triennal, voire quinquennal, suggère Maxime Gauthier. « Cela éviterait de devoir recommencer un an après une formation apportée aux conseillers surun sujet. »