La situation est particulièrement vive aux États-Unis, mais le Canada ne s’en tirera pas indemne pour autant.
Les édifices à bureau peinent à la suite de la pandémie de COVID-19 et de la culture du télétravail qui s’est implantée dans sa foulée. Une étude de la fin de 2022, annonçant une apocalypse immobilière en gestation, calculait que la valeur des immeubles avait diminué en moyennede 44,8% à la fin de 2022.
À la fin du troisième trimestre de 2023, le taux d’inoccupation des bureaux aux États-Unis a dépassé les 20% pour la première fois depuis 2008, selon un article du Atlantic. Dans San Francisco, Dallas et Houston, le taux d’inoccupation dépasse 25%.
Au Canada, le taux d’inoccupation est moins élevé, mais il ne cesse de grimper. Alors qu’il était en moyenne de 16,9% à la fin de 2022, il a monté à 17,7% selon le plus récent rapport de CBRE. Canada Office Figures Q1 2023 | CBRE Canada. Dans les centres urbains, le taux moyen est de 18,4%. Ce chiffre cache une situation bicéphale : d’un côté, dans les immeubles de catégorie A, le taux moyen est de 15,9%, alors que dans les immeubles de catégorie B, il est de 22,7%. Par ailleurs, certaines villes affichent des taux aussi élevés qu’aux États-Unis, notamment 32% à Calgary, 25,7% à London, et 23,3% dans la région de Waterloo.
Certains facteurs distinguent le Canada de la scène américaine. L’immobilier au Canada « est moins compétitif, explique Christopher Tsichlasm vice-président senior, notation de crédit, immobilier et finances publiques chez DBRS Morningstar. Plusieurs propriétaires sont des institutions solides qui investissent à long terme. Nous sommes donc moins susceptibles d’assister à des ventes en catastrophe. En outre, le Canada est probablement un peu plus urbanisé que les États-Unis, ce qui est plus propice au maintien des centres-villes. »
Lignes de collision
Cette détresse immobilière trace une trajectoire appelée à entrer en collision avec celle des banques, surtout aux États-Unis. « Plus de la moitié des quelque 2,9 billions $US de prêts hypothécaires à l’immobilier commercial devront être refinancés au cours des 24 prochains mois, et les banques régionales représentent 70 à 80 % de ces prêts, écrit une récente analyse de Morgan Stanley (Not a Port in the Storm, 3 avril 2023).
« Même si les taux actuels restent stables, les nouveaux taux de prêt seront probablement supérieurs de 350 à 450 points de base. Pour les propriétaires d’immeubles eux-mêmes, les vents contraires séculaires dus à l’adoption d’options de travail à distance/hybride posent des complications supplémentaires qui pourraient accélérer la dépréciation de l’immobilier d’entreprise. » Morgan Stanley prévoit une chute de valeur de l’immobilier commercial de plus de 40%, « pire que durant la Grande Crise Financière ».
Or, les banques sont très fragilisées par la hausse des taux d’intérêt, une fragilité qui sera accrue par la crise immobilière, selon une récente étude de la New York University Stern School of Business. D’une part, calcule l’étude, les actifs des banques (titres commerciaux adossés à des prêts et bons du Trésor américain) ont subi des pertes non réalisées de 780 milliards de dollars (G$) à ce jour à cause de la hausse des taux. D’autre part, le portefeuille de prêts totaux (prêts commerciaux et individuels, et hypothèques) qui s’élève à 17,5 billions $US a perdu 10% de sa valeur, soit 1,7 billion $US.
S’appuyant sur ces chiffres produits par son alma mater, l’économiste Nouriel Roubini écrivait récemment dans un article publié par Project Syndicate : « En fait, à en juger par la qualité de leur capital, la plupart des banques américaines sont techniquement proches de l’insolvabilité, et des centaines d’entre elles sont totalement insolvables ».
Préserver les dépôts
Toutes ces pertes non-réalisées peuvent dormir tranquille encore pendant un bon moment dans les livres comptables des banques, sauf pour un problème potentiel : l’érosion des dépôts suite à la perte de confiance des déposants. « Nous savons maintenant, grâce à la Silicon Valley Bank et à l’expérience d’autres banques régionales américaines, que cette fidélité est loin d’être assurée, affirme Nouriel Roubini. Si les déposants s’enfuient, la franchise de dépôt s’évapore et les pertes non réalisées sur les titres se concrétisent lorsque les banques les vendent pour répondre aux demandes de retrait. La faillite devient alors inévitable. »
On peut soupçonner que la situation de plusieurs banques américaines est extrêmement précaire, ce qui n’est pas le cas pour les banques canadiennes, si on en croit une étude de la Banque Nationale. Selon l’analyste Gabriel Dechaine, les prêts à l’immobilier de bureau représentent en moyenne 12% du portefeuille total de prêts immobiliers commerciaux des six grandes banques, cette proportion s’élevant à 20% dans le cas de la Banque Royale.
Selon l’analyste, la survie des banques canadiennes n’est pas en danger, par contre leurs profits pourraient subir des baisses pouvant avoisiner les 20%, quoique le choc sera plutôt de l’ordre de 8% à 10%. Selon David-Alexandre Brassard, économiste senior de CPA Canada, les banques canadiennes sont en effet en meilleur posture que leurs voisines américaines parce que leurs portefeuilles de prêts immobiliers commerciaux ne représentent que 2% de leurs actifs totaux, comparé à 13% dans le cas des banques américaines.