Utiliser des trusts comme véhicules pour éviter de devoir payer des frais de succession sur des biens n’est pas sans risque. C’est ce qu’a appris Guy Wildenstein, dans l’épilogue d’une saga judiciaire qui se joue actuellement à Paris.
L’héritier de la richissime famille de marchands d’art risque quatre ans de prison et une amende de 250 millions d’euros (360 millions de dollars canadiens) pour avoir tenté de cacher de l’argent au fisc français en dissimulant une partie de son immense fortune dans des trusts.
La famille Wildenstein possède une fortune estimée à entre 3 et 10 milliards d’euros. Elle comprend des centaines de tableaux de maîtres, des propriétés somptueuses, un ranch au Kenya, des appartements à Paris et Manhattan, une île dans les Caraïbes, des châteaux, des yachts, des jets privés et des écuries de course.
Guy Wildenstein, son neveu Alec junior et son ex-belle-sœur Liouba Stoupakova, ainsi que leurs anciens conseils et deux sociétés financières, sont accusés d’avoir utilisé des sociétés-écrans pour réduire la facture fiscale liée à ces biens lors des différentes successions traitées au cours des dernières années.
Trusts et successions
L’attention de la justice a été éveillée lors du règlement des successions du patriarche, Daniel Wildenstein, en 2001, et de celle de son deuxième fils, Alec senior, en 2008, qui a dévoilé un complexe montage financier sous forme de trusts. Selon le fisc, qui réclame aux Wildenstein plus de 600 millions d’euros en taxes impayées et pénalités, la famille a en sciemment utilisé ces structures comme des paravents pour échapper à l’impôt tout en profitant de leur patrimoine.
Un premier jugement en 2017, confirmé en 2018, avait prononcé la relaxe pure et simple des accusés. Les juges ont considéré en particulier que la loi encadrant le régime fiscal des trusts en France ne s’appliquait pas, car elle n’a été votée qu’en 2011, soit après les faits reprochés. De plus, les juges ont estimé que la propriété des biens ayant été transférée vers des trusts, les bénéficiaires n’avaient pas à les déclarer, car ils n’en avaient pas la maîtrise.
En janvier 2021, ce jugement a été cassé et le tribunal a ordonné la tenue d’un nouveau procès, estimant que la fiscalité adoptée en 2011 s’appliquait aussi aux trusts formés avant cette date. Les juristes ont également invoqué un article de la loi française sur l’impôt qui punit la dissimulation volontaire d’un actif, quelle que soit la fiscalité applicable.
Déclarer les biens ou pas ?
La question est de savoir si les héritiers se sont réellement dessaisis de leurs biens via les trusts. Si c’était le cas, ils n’avaient pas à les déclarer. Au contraire, s’ils pouvaient en disposer selon leur bon vouloir, ils auraient dû payer les droits de succession sur l’intégralité du patrimoine.
L’accusation estime que les trusts n’étaient pas irrévocables et qu’il n’y avait pas réellement de dessaisissement des biens affectés via ces structures, ce qui obligeait la famille à les déclarer lors des successions et à en payer les droits. Guy Wildenstein plaide quant à lui ne pas avoir été à l’origine de ces trusts, affirmant qu’ils avaient été créés par son grand-père et son père, et qu’il n’en avait pas le contrôle.
Dans le procès en cours, la défense devait plaider jusqu’au 4 octobre et la décision de la cour sera mise par la suite en délibéré. Guy Wildenstein, 77 ans, fait face à la plus lourde peine. Alec junior, 43 ans, risque six mois avec sursis pour fraude fiscale, et Liouba Stoupakova, un an avec sursis et 150 000 euros d’amende pour complicité de blanchiment.
Pour deux avocats et un notaire, le parquet général a requis entre deux ans d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’emprisonnement dont un an ferme, ainsi que des amendes allant de 40 000 à un million d’euros.
Enfin, les sociétés Northern Trust Fiduciary Services (NTFS) et Royal Bank of Canada Trust Company (RBCTC) pourraient se voir imposer une amende maximale de 187 000 euros.