Yves Michaud, qui aura été journaliste, homme politique et défenseur inlassable des petits actionnaires, s’est éteint à l’âge de 94 ans.

La députée solidaire Ruba Ghazal, qui lui avait remis une médaille de l’Assemblée nationale en 2022, a dit qu’elle avait communiqué mercredi matin avec sa fille pour lui exprimer ses condoléances.

« Ça me touche, j’ai parlé avec sa fille pour lui souhaiter mes sympathies, puis mes condoléances, c’est quand même triste, oui », a-t-elle confié aux journalistes dans un couloir de l’Assemblée nationale.

Ruba Ghazal s’est souvenue avec émotion d’avoir remis la médaille à Yves Michaud lors d’un événement en 2022.

« J’étais là avec sa famille, ses amis qui étaient là pour lui remettre cette médaille-là, a-t-elle rappelé. C’était un grand, grand indépendantiste. »

Dans un article publié dans Le Devoir en mai 2022 à cette occasion, on apprenait que Yves Michaud était atteint de la maladie d’Alzheimer.

On se souviendra notamment d’Yves Michaud pour son franc-parler, son amour de la langue française et sa passion du Québec.

Né le 13 février 1930 à Saint-Hyacinthe, Yves Michaud est diplômé du Séminaire de Saint-Hyacinthe et du Centre international de journalisme de l’Université de Strasbourg.

En janvier 1954, alors qu’il n’a pas encore 24 ans, il est nommé rédacteur en chef du Clairon maskoutain, un hebdomadaire. Il en deviendra directeur en 1960 puis, en 1962, deviendra rédacteur en chef de La Patrie.

En 1966, il fait le saut en politique et se fait élire député libéral de Gouin. Mais en octobre 1969, en raison d’un désaccord avec le parti sur la loi 63 sur le français, qu’il juge trop peu contraignante, il siège comme libéral indépendant. Aux élections de 1970, il se représente comme candidat libéral, mais il est défait.

Le gouvernement de Robert Bourassa le nomme rapidement haut-commissaire à la Coopération du Québec, poste qu’il occupera jusqu’en 1973. La même année, il échoue dans sa tentative de se faire élire comme député péquiste dans la circonscription de Bourassa.

Toujours en 1973, il fonde, avec René Lévesque et Jacques Parizeau, le quotidien indépendantiste Le Jour, dont il sera le rédacteur en chef jusqu’à sa disparition, en 1976.

Yves Michaud se voit par la suite confier plusieurs postes importants dans l’appareil gouvernemental. Il sera notamment délégué général du Québec à Paris de 1979 à 1984 et pdg du Palais des congrès de Montréal de 1984 à 1987.

En décembre 2000, Yves Michaud tente un retour en politique en posant sa candidature à l’investiture péquiste dans la circonscription montréalaise de Mercier. Or, celle-ci déraille lorsqu’il déplore, sur les ondes d’une station de radio, que les Juifs considèrent être le seul peuple à avoir « souffert dans l’histoire de l’humanité », en plus de répéter les propos de Jacques Parizeau sur le rôle de l’argent et du « vote ethnique » lors du référendum de 1995 sur l’avenir du Québec.

Quelques jours plus tard, l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité, sans débat, une motion de blâme à l’endroit d’Yves Michaud qui déchire les troupes péquistes. Selon certains, l’appui indéfectible qu’ont accordé plusieurs militants péquistes à Yves Michaud a joué un rôle important dans la décision du premier ministre Lucien Bouchard de démissionner, en janvier 2001.

Yves Michaud restera meurtri fort longtemps à l’égard de cette motion.

En 2022, il se voit remettre la médaille de l’Assemblée nationale pour souligner son apport exceptionnel à la société québécoise.

Le Robin des banques

Malgré cet épisode fort controversé, Yves Michaud aura laissé sa marque comme pourfendeur de certaines pratiques des grandes entreprises qui ulcèrent les petits investisseurs.

En 1993, scandalisé par le naufrage de Trustco Général, filiale de l’Industrielle Alliance, dans lequel des milliers de personnes ont perdu de l’argent, il a fondé l’Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec, qui deviendra le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

Grâce au travail acharné d’Yves Michaud, le MÉDAC remportera plusieurs victoires qui constitueront autant de jalons incontournables dans la lutte pour l’accroissement des droits des petits investisseurs. En 1997, Yves Michaud deviendra ainsi le premier Canadien à se voir reconnaître le droit, par un tribunal, de présenter des propositions aux assemblées d’actionnaires des entreprises publiques de juridiction fédérale.

Rapidement surnommé « Robin des banques », il réussit à faire adopter au moins huit propositions différentes du MÉDAC ou de son prédécesseur entre 1997 et 2009.

Les mieux reçues ont été :

  • celle ordonnant la divulgation des honoraires des vérificateurs externes, qui a été adoptée par six sociétés en 2000,
  • et celle prévoyant un vote consultatif des actionnaires sur la politique de rémunération des hauts dirigeants, approuvée par les grandes banques canadiennes en 2009.

Malgré ce bilan enviable, Yves Michaud restait insatisfait. En 2007, quand on lui avait demandé de résumer ses dix premières années de militantisme actionnarial, il avait d’abord parlé d’un bilan « désarmant » et « désolant », avant de finir par admettre que des choses avaient « changé » grâce à ses pressions.

Signe de la pertinence et de l’avant-gardisme du MÉDAC, des entreprises mettaient parfois en pratique des recommandations de l’organisme après avoir les avoir rejetées dans un premier temps.

Yves Michaud était un « précurseur » dans les enjeux de gouvernance au Québec, réagit le président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), François Dauphin, en entrevue.

« C’était un combattant des toutes premières heures pour la défense des droits des petits actionnaires, mais je dirais même des actionnaires d’une façon plus générale, souligne-t-il. C’est un des tout premiers à parler d’enjeux, de gouvernance, de rémunération et d’enjeux un peu plus larges pour permettre aux actionnaires de participer réellement dans le cadre d’assemblées d’actionnaires. »

François Dauphin se souvient « avec nostalgie des envolées lyriques » d’Yves Michaud durant les assemblées des actionnaires. « C’était un tribun exceptionnel. Il s’exprimait avec une telle éloquence. Ça faisait de lui, évidemment, un combattant extrêmement difficile à rencontrer, mais il le faisait avec beaucoup de respect. »

Hommages de politiciens

Plusieurs politiciens ont tenu à rendre hommage à Yves Michaud à l’annonce de sa mort.

« Yves Michaud était un vrai combattant. Toute sa carrière, il s’est battu pour protéger la langue française et la culture québécoise. Il s’est aussi porté à la défense des petits actionnaires, on le surnommait le “Robin des banques” », a déclaré le premier ministre François Legault sur X.

« Yves Michaud aura été un grand défenseur de la langue française et un infatigable militant pour l’indépendance de notre nation », a renchéri le chef péquiste Paul St-Pierre-Plamondon sur les réseaux sociaux.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a affirmé en mêlée de presse à Ottawa que le décès était rendu « un peu plus triste encore par une forme d’oubli ».

« Yves Michaud a été un militant extrêmement engagé, pugnace, entêté, même très, très intransigeant sur ses valeurs, sur ses convictions, très engagé pour l’indépendance et qui, au-delà de la politique, s’est aussi engagé dans des causes qui paraissaient un peu étonnantes. Le fameux “Robin des banques”, c’est quelqu’un qui dit “je suis au service des gens et non pas de la haute finance” », a affirmé M. Blanchet.

« Il y a un côté très attachant au souvenir que j’ai de Yves Michaud, bien que personnellement je ne l’ai pas connu », a-t-il ajouté.

Sur X, le MÉDAC a dit que le mouvement devenait ainsi « orphelin ». « (Nous) mourrons nous-mêmes un peu, aussi. »