Même si un tel arrangement risque d’être percé par d’actuels ou d’éventuels créanciers à l’occasion d’une poursuite judiciaire, certains clients devraient évaluer la pertinence de constituer un tel type de fiducie après avoir souscrit à une bonne couverture d’assurance personnelle.
Une fiducie est une entité juridique créée au moyen d’un acte de fiducie selon laquelle une ou plusieurs personnes, appelées fiduciaires, administrent des biens pour le compte d’autres personnes, appelées bénéficiaires.
Les professionnels et clients en affaires à risque de poursuite créent souvent des fiducies de protection d’actifs. «Les chirurgiens esthétiques ont souvent ce genre de fiducies, comme les ingénieurs en pratique privée. C’est aussi une bonne idée pour les administrateurs de sociétés qui ont des risques importants sur le plan des désastres écologiques», indique Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale, Gestion privée de patrimoine CIBC.
Une fiducie peut aussi être pertinente pour une «personne qui a des actifs importants et qui est sur le point d’investir dans une société privée qui peut engager sa responsabilité, compte tenu des garanties à fournir», lit-on dans le livre Utilisation des fiducies en planification fiscale et financière, écrit par l’avocate Caroline Rhéaume, planificatrice financière et détentrice d’une maîtrise en fiscalité.
Le meilleur moment pour constituer une fiducie de protection d’actifs est lorsque «tout va bien, que le montant des dettes d’un particulier est inférieur à la valeur de son actif et que le transfert de biens en faveur de la fiducie de protection d’actifs ne le rend pas insolvable», apprend-on dans le livre de Caroline Rhéaume.
En clair, un client ne peut pas transférer des actifs dans une fiducie en fraude des droits de ses créanciers. Et le faire après avoir commis une faute professionnelle dont il est entièrement responsable ne lui servirait pas à grand-chose non plus. Sa fiducie serait alors trop facile à attaquer et à percer.
«Quand on s’embarque dans un domaine à risque, c’est à ce moment qu’il faut penser à constituer une fiducie de protection d’actifs. Pas quand l’opération au visage de la cliente a mal tourné [pour un chirurgien esthétique], ni quand le viaduc [qu’un ingénieur civil a] conçu est tombé», note Hélène Marquis.
Conditions gagnantes
Il est primordial «d’être en mesure de prouver la date de la constitution de la fiducie et que toutes les formalités nécessaires à sa constitution ont été respectées», lit-on dans le livre de Caroline Rhéaume.
On y indique que les fiduciaires doivent administrer le patrimoine fiduciaire comme un patrimoine autonome et distinct. «Il ne faut pas que la fiducie soit un simulacre.» La fiducie doit avoir son propre compte de banque, ses propres états financiers et sa propre déclaration de revenus puisque ces éléments «donnent de la substance à la fiducie», selon l’auteure de l’ouvrage. Un des fiduciaires doit être indépendant, c’est-à-dire qu’il ne doit être ni bénéficiaire ni constituant, car cela donne aussi de la substance à la fiducie.
Une fois la fiducie créée dans les règles de l’art, que peut-on y transférer ? «Les biens comme la maison, le chalet, l’auto, le bateau et les placements non enregistrés, dit Hélène Marquis. On ne met pas les comptes enregistrés comme le REER ou le CELI parce que ce sont eux-mêmes des fiducies et une fiducie ne peut pas détenir une autre fiducie.»
L’impact fiscal du transfert des biens dépend du type de fiducie qu’on crée. Par exemple, si un client crée une fiducie en faveur de lui-même et que celle-ci respecte plusieurs critères précis, il ne subira pas d’impact fiscal immédiat, selon l’auteure Caroline Rhéaume. Il ne subira pas d’impact fiscal non plus s’il transfère ses biens dans une fiducie au profit du conjoint, mais il perdra une large part du contrôle de ses biens.
Si le client opte pour une fiducie entre vifs discrétionnaire avec plusieurs bénéficiaires, son transfert de bien en faveur de sa fiducie sera considéré comme une disposition fiscale, sujette à l’impôt lié à la réalisation d’un gain en capital, par exemple.
Hélène Marquis souligne qu’«il n’y a aucun avantage fiscal» à créer une fiducie de protection d’actifs. Les revenus de la fiducie en faveur de soi-même sont taxés personnellement dans les mains du bénéficiaire alors que, dans la fiducie entre vifs, les revenus laissés dans la fiducie sont taxés au taux d’imposition maximum «dès le premier cent de revenu», précise-t-elle. C’est pourquoi on privilégie souvent d’inclure dans la fiducie des actifs susceptibles de générer un gain en capital plutôt qu’un revenu d’intérêt ou un dividende.
Quand les tribunaux percent la fiducie
Même si tout va bien dans la vie du client au moment de la constitution de la fiducie, il est possible qu’une faute commise avant la création de la fiducie vienne affaiblir la protection souhaitée par celle-ci.
«Pour les gestes que j’ai posés avant la création de ma fiducie, est-ce que ma fiducie me protège ? Certains courants de doctrine disent qu’on n’est pas protégé pour le passé», explique le notaire François Archambault, planificateur financier et conseiller sénior, centre d’expertise Banque Nationale Gestion privée 1859. Comme la faute et le dommage peuvent être connus 10 ou 15 ans après le moment où un client a posé un geste fautif, un juge pourrait ordonner une saisie dans la fiducie selon ce courant de doctrine, précise-t-il.
«Je connais des ingénieurs qui ont construit des stations d’épuration des eaux. Ils ont fait des fiducies de protection d’actifs, mais trop tard, et la Cour n’a pas considéré la fiducie», atteste Hélène Marquis.
Malgré ces débats de doctrine, la fiducie de protection d’actifs pourrait protéger minimalement un client, selon François Archambault : «Si on essaye de saisir les actifs qui sont dans la fiducie, je mets des étapes supplémentaires pour y arriver. Ce n’est pas sûr qu’on y arrivera, mais on peut y arriver.»
Chose certaine, la levée du voile fiduciaire est reconnue par les tribunaux. Ainsi, en droit de la famille, les juges lèvent le voile fiduciaire plus souvent quand il s’agit de pension alimentaire payée aux enfants et moins souvent lors du paiement de pension alimentaire à l’ex-époux, selon des jugements et des sources du milieu juridique.
Par exemple, on a majoré la pension alimentaire pour l’ex-épouse d’un entrepreneur qui a versé dans sa fiducie familiale sa part de profits de sa société opérante, selon un jugement de la Cour d’appel en droit de la famille (172 259 2017 QCCA 1495). «Il serait injuste et contraire à l’intention du législateur de ne pas considérer la fiducie discrétionnaire dont l’intimé a le contrôle comme faisant partie des ressources auxquelles il a accès», lit-on dans le jugement.
Dans l’affaire Latouche c. Lavoie 2017 QCCS 2932, un juge de la Cour supérieure a condamné un comptable, sa société et sa fiducie familiale à indemniser des clients qu’il a mal conseillés. La société et la fiducie sont responsables de la faute du défendeur même si ces fautes sont commises après la création de la fiducie, selon le jugement : «le défendeur Lavoie a tenté de mettre en place un artifice pour éviter de faire face à ses responsabilités : il n’a pas de revenu, il n’a pas de biens ; il n’est pas assuré, du moins pour ces événements, et son entreprise a donné tous ses actifs en garantie à la fiducie familiale. Il se vante de tout mettre dans sa fiducie, car elle serait intouchable. Ensuite, il peut retirer des sommes de cette fiducie. Que demander de plus pour démontrer un parfait scénario de fraude ?»
Une fiducie est loin de rendre le client invincible.