Toutefois, selon d’autres acteurs, ce même projet de loi accroît la protection du public à plusieurs égards. Bien qu’il soit difficile de dire qui a raison entre les deux groupes, un constat s’impose : la protection du public sert d’argument à la fois autant pour contester que pour louanger le projet de loi 141.
Revoyons l’argumentaire des deux camps, en commençant par ceux qui favorisent l’adoption du projet de loi 141 (PL 141) dans sa forme initiale.
Actuellement, la distribution d’assurance par Internet n’a pas d’encadrement spécifique, hormis quelques orientations mises de l’avant par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en avril 2015.
Le gouvernement aurait pu interdire la distribution d’assurance en ligne, mais ne l’a pas fait, préférant plutôt moderniser son cadre légistalif afin de répondre aux exigences de consommateurs qui veulent magasiner leur assurance en ligne. Selon le PL 141, un client pourra souscrire à de l’assurance en ligne sans intervention obligatoire d’un représentant, mais pourra en consulter un à tout moment s’il en sent le besoin.
Avec un cadre législatif, on protège mieux le public que sans cadre législatif, selon l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). « Le gouvernement a voulu trouver un équilibre entre la volonté des gens à acheter des produits par internet, pour que les gens continuent d’acheter de l’assurance, et [la mise en place] de protections pour le client, comme la possibilité de parler à un représentant à tous moments et le droit de résiliation dans les 10 premiers jours », a déclaré Lyne Duhaime, présidente d’ACCAP-Québec.
Lorsqu’un client souscrira de l’assurance sans intervention d’un conseiller, en ligne ou par l’entremise d’un distributeur comme une institution financière ou un concessionnaire automobile, le PL 141 accroîtra la responsabilité de l’assureur. L’assureur devra « l’informer en temps utile des renseignements qui lui sont nécessaires à une prise de décision éclairée ». Le client devra comprendre notamment l’étendue de la garantie, quelles en sont les exclusions et la façon de se plaindre à l’assureur. Ce dernier devra veiller à ce que le preneur puisse être assuré provisoirement jusqu’à la formation d’un contrat définitif, selon le projet de loi.
Yvan-Pierre Grimard, directeur aux relations gouvernementales, Québec, au Mouvement Desjardins perçoit une série de mesures qui accroissent la protection des clients. Parmi celles-ci, il cite l’élargissement du champ d’application du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF), aux victimes d’un représentant certifié, sans égard à la nature du produit financier offert. Il désigne également la création du comité consultatif des consommateurs au sein de l’AMF et les exigences supérieures des assujettis en matière de traitement des plaintes comme autant des mesures qui protègent mieux le client. Il identifie aussi comme tel l’ajout de mesures anti-représailles afin de protéger les dénonciateurs du secteur financier.
Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF est aussi de ceux qui perçoivent le PL 141 comme « un grand pas en avant » sur le plan de la protection du consommateur, comme en fait foi le discours qu’il a prononcé lors du 12e Rendez-vous de l’AMF, la semaine dernière. Pour illustrer son propos, il cite également les mesures anti-représailles contre les dénonciateurs, la naissance du comité consultatif des consommateurs et l’élargissement de la couverture du FISF.
Selon lui, l’intégration projetée de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de la Chambre de l’assurance de dommage à l’AMF offrira « enfin un véritable guichet unique, au bénéfice des consommateurs et de l’industrie ». Avec cette intégration « on élimine la confusion auprès du public, confusion sans doute exacerbée par ailleurs, par les multiples campagnes de publicité à grand déploiement effectuées par les Chambres, dans les médias et à la télévision », a dit Louis Morissette.
« On pourra ainsi consolider les moyens de sensibilisation, au lieu de les avoir divisés entre trois organisations, ce qui renforcera d’ailleurs la mission plus large de protection du public qui est dévolue à l’Autorité, depuis sa création », a-t-il noté.
« Cette nouvelle structure actualisée, moderne, améliorée, n’entraînera d’aucune façon un recul pour la protection du consommateur, bien au contraire. La protection du consommateur est au coeur même de la mission de l’Autorité. C’est là, notre principale raison d’exister », a-t-il ajouté.
Alarme sonnée
Parmi ceux qui demandent les plus importants changements au PL 141, figure l’organisme Option consommateurs. Selon lui, le PL 141 risque d’effriter la protection du consommateur à plusieurs égards.
Comme le projet de loi élimine l’expression « il agit comme conseiller », cette modification fait craindre la perte du devoir de conseil du représentant, souligne Option consommateurs. De plus, en éliminant l’obligation d’un représentant en assurance de proposer au client le produit qui lui convient le mieux, le projet de loi 141 fait craindre à cet organisme un recul par rapport à la protection des clients.
Selon Option consommateurs, le PL 141 balise mal la distribution d’assurance par Internet. Non seulement ce projet de loi ne limite pas les produits qui peuvent être distribués au client, mais ce document fait craindre à l’organisme que le client soit desservi par des vendeurs et non des représentants assujettis.
La CSF a des inquiétudes analogues. « Il est préoccupant de savoir que le PL 141 prévoit qu’un cabinet pourra distribuer des produits d’assurance sans l’intervention d’un professionnel certifié. Dorénavant, le certificat délivré à cette fin par l’AMF n’est plus requis pour prodiguer seulement des conseils en assurance de personnes. Cette mesure pourrait amener certains excès et entraîne très certainement une diminution de la protection des consommateurs et un risque accru pour ces derniers », indique Julie Chevrette, directrice des communications de la CSF dans un courriel.
« Plusieurs articles du PL 141 font en sorte que la notion de conseil devient optionnelle, car le conseil en assurance n’est plus exclusif aux représentants certifiés, ajoute-t-elle. La situation est préoccupante, car il ne faut pas oublier que le consommateur ne sait pas ce qu’il ne sait pas. Les conséquences pour le consommateur en matière d’assurance de personne peuvent être très lourdes si le risque se réalise et qu’il n’est pas couvert parce qu’il aurait mal compris une clause de la police ou mal répondu à une question. »
Lire notre dossier complet – Révision de l’encadrement du secteur financier
« Sans l’obligation d’être accompagné par ceux qui sont formés et encadrés pour le faire, on transfère la responsabilité de prendre de bonnes décisions et les risques qui viennent avec sur les épaules des consommateurs », a récemment déclaré pour sa part, Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.
Au nom de la protection du public, Québec ne devrait pas permettre la distribution d’assurance sans intervention obligatoire d’un représentant, ni remplacer le modèle de discipline par les pairs par un simulacre de discipline par les pairs au sein du Tribunal administratif des marchés financiers, estime par ailleurs Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici.
L’intégration de la CSF à l’AMF est aussi une mauvaise nouvelle sur le plan de la protection du public, selon lui. « L’intégration de la CSF à l’Autorité représenterait un recul important de l’indépendance des professionnels qui y perdraient leur capacité à s’encadrer et se concerter dans un but de protection du public », écrivait-il, dans une récente chronique.
D’autres représentants et d’autres organisations déplorent les risques du PL 141 par rapport à la protection du public, avec des arguments semblables. Pour ces raisons, certains réclament des consultations publiques sur le PL 141.
Réponse du ministre des Finances
Finance et Investissement a demandé au ministre des Finances de commenter plusieurs craintes exprimées en lien avec la protection du public. Le cabinet du ministre a transmis cette réponse générale suivante à toutes nous questions, par l’entremise de l’attachée de presse du ministre Carlos Leitao. Nous la reproduisons ici dans son intégralité.
Tel qu’annoncé lors du budget 2016-2017, le gouvernement a présenté le projet de loi 141 pour moderniser et bonifier l’encadrement du secteur des services financier dans l’intérêt du public et pour augmenter la protection des consommateurs.
Dans un environnement en forte évolution, le renforcement de la confiance du public à l’égard du secteur financier permettra également d’en favoriser le développement.
Nous reconnaissons que l’étendue et la complexité du projet de loi peut, dans certains cas, rendre sa compréhension difficile.
Le projet de loi origine de six rapports d’application des lois du secteur financier :
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur les assurances et de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne (30 avril 2013) qui entraîne une révision complète des deux lois;
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur les coopératives de services financiers (LCSF) (5 décembre 2013) qui entraîne une révision en profondeur de la loi ainsi que des modifications de concordance importantes à la Loi sur l’assurance-dépôts (LAD);
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) (29 mai 2014) qui amène des modifications de mise à niveau;
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) (12 juin 2015) qui entraîne une révision de la structure de surveillance des représentants, courtiers et des cabinets auxquels ils sont rattachés;
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur le courtage immobilier (LCI) (12 juin 2015) qui entraîne des précisions sur-le-champ d’application, le rattachement des courtiers hypothécaires à l’AMF et la gouvernance de l’organisme d’autoréglementation;
– Le Rapport sur l’application de la Loi sur les instruments dérivés (LID) (12 juin 2015) qui amène des modifications de mise à niveau.
De plus, bien que la Loi sur l’Autorité des marchés financiers (LAMF) ne prévoie pas de révision quinquennale, le Budget de 2015-2016 mentionnait que le ministère des Finances procéderait à l’analyse de celle-ci, ce qui a été fait et a donné lieu aux modifications proposées dans l’omnibus.
Les lois ont été revues pour les moderniser selon les principes directeurs suivants :
– Protection et promotion sans compromis de l’intérêt du consommateur, notamment en améliorant l’efficacité et en simplifiant de la structure d’encadrement
– Renforcer la responsabilité des fabricants de produits financiers
– Augmenter la compétitivité entre les fournisseurs de produits et services financiers dans l’intérêt des consommateurs et pour répondre à leurs besoins.
– Moderniser l’encadrement pour s’adapter aux évolutions de l’industrie.
Enfin, l’interrelation entre ces lois commande qu’elles soient révisées en même temps par l’Assemblée nationale pour en assurer la cohérence.
L’omnibus constitue en effet une réforme complète et cohérente des services financiers.
Nous prenons très au sérieux les questions qui ont été soulevées notamment en ce qui concerne la protection du consommateur qui demeure l’objectif principal du projet de loi.
Nous aurons plaisir d’accueillir les groupes en commission parlementaire pour échanger avec eux, apporter les précisions nécessaires pour répondre à leurs préoccupations et apporter si nécessaire des améliorations à l’encadrement proposé.
D’un meilleur encadrement découlera une meilleure protection du public améliorant ainsi la confiance des consommateurs.