Un sondage réalisé en mai dernier par le cabinet Mérici Services financiers révèle en effet que 81,6 % de leurs clients préfèrent payer les services qu’ils reçoivent sous forme de commissions intégrées. Cette prise de position forte doit être considérée par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), estime la firme de Sherbrooke.
Ce coup de sonde, réalisé auprès de plus de 600 clients, «démontre une affection particulière pour un mode de rémunération intégré où le client n’a pas à négocier des honoraires ou à rémunérer le courtier en fonction du nombre d’heures consacrées au dossier», commente Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici, dans son mémoire déposé dans le cadre de la consultation 81-408 sur l’abolition des commissions intégrées.
Les ACVM seraient d’ailleurs bien malvenues de balayer du revers de la main l’opinion de ces clients, prévient Maxime Gauthier. «Qui de mieux que les clients pour connaître leurs propres besoins et savoir ce qu’ils veulent ? D’autant que l’objectif des ACVM est d’encadrer le secteur dans le but de veiller à la protection des investisseurs», fait-il valoir.
Même son de cloche chez le Groupe Cloutier, où 80 % des clients, également consultés par un sondage très semblable à celui de Mérici, se sont aussi montrés favorables au maintien des commissions. «Les clients sont entièrement satisfaits du modèle actuel et il ne semble pas y avoir d’appétit chez eux pour des réformes de l’ampleur de celle proposée par les ACVM», constate ce cabinet dans son mémoire sur la consultation 81-408, déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Par ailleurs, toujours au Groupe Cloutier, les quelque 20 % de répondants restants souhaitent soit une rémunération à honoraires basée sur un pourcentage de leur actif sous gestion (11 %), soit une rémunération directe basée sur un taux horaire (9 %). Chez Mérici, les résultats sont similaires alors que 11 % des clients sondés préfèrent les honoraires, et 6 %, une rémunération directe basée sur un taux horaire.
Le Groupe Cloutier note également que les commissions intégrées demeurent le choix le plus populaire même auprès des clients qui ont attribué une note inférieure à 6 sur 10 à la qualité de l’ensemble des services qu’ils reçoivent. Ainsi, 46 % de ces clients sont favorables au modèle actuel de rémunération intégrée, 31 % favorables au modèle de rémunération directe selon un taux horaire, et 23 % à la tarification directe en fonction de la taille du portefeuille.
Une autre étude, réalisée en mai dernier par le Gandalf Group pour le compte de Placements AGF, confirme les résultats de ces deux enquêtes menées par Mérici et le Groupe Cloutier. Encore là, une majorité d’investisseurs (55 %) préfèrent payer les services qu’ils reçoivent par des commissions intégrées, comparativement à 33 % qui préféreraient un mode de rémunération directe comme celui proposé par les ACVM. De plus, le quart des répondants au sondage du Gandalf Group ont indiqué que le mode de rémunération directe les rendrait moins enclins à recourir à des services-conseils pour leurs investissements. Or, les résultats à cette question sont relativement uniformes peu importe la taille du portefeuille des clients ou leur niveau d’éducation financière.
Les sondages et les mémoires présentés en juin dernier par Mérici et le Groupe Cloutier font suite au document de consultation 81-408 des ACVM concernant la proposition d’éliminer les commissions intégrées. Or, l’enjeu est important, estiment les deux courtiers. Une interdiction complète des commissions aurait des effets potentiellement très néfastes sur la demande et l’offre de service relatives à la distribution de fonds d’investissement.
«Les clients de masse risqueraient de ne pas vouloir payer directement la vraie valeur du conseil qu’ils reçoivent, et certains conseillers dont les revenus sont liés à la distribution de fonds d’investissement pourraient se désintéresser de la profession et se concentrer sur la distribution d’autres produits financiers», estime le Groupe Cloutier.
«Les investisseurs modestes ne pourraient se permettre des conseils en matière d’investissement, de fiscalité, de budget ou de sécurité financière si nous devions exiger des honoraires. Actuellement, l’intégration de la rémunération dans le produit nous permet de leur offrir ces services qui leur sont grandement utiles et qui, au final, pourront faire d’eux des investisseurs plus aguerris et riches», affirme Maxime Gauthier.
Le réseau des courtiers en épargne collective s’adresse en très grande majorité à des clients de masse ayant un portefeuille de moins de 100 000 $, tiennent à souligner la firme Mérici et le Groupe Cloutier. Chez Mérici, le client moyen a 52 ans et un actif sous gestion de quelque 86 000 $, alors que le client médian a 53 ans et un actif sous gestion de 33 600 $.
Enfin, l’abolition potentielle des commissions menace aussi les conseillers indépendants, qui seraient dans l’obligation d’adapter leurs modèles et leurs processus d’affaires pour limiter l’augmentation des coûts et encaisser la diminution de revenus. «C’est un défi de taille et il est possible que certains courtiers indépendants n’y parviennent pas», estime la firme Mérici.
Avis discordants
Par ailleurs, d’autres groupes appuient la volonté des ACVM d’abolir les commissions intégrées, dont la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada) et Morningstar Canada.
«La structure actuelle de frais des fonds communs de placement fait que des millions de Canadiens ne reçoivent pas de conseil financier objectif et se font vendre des produits sous-optimaux. Les Canadiens reçoivent des recommandations qui sont guidées davantage par la rémunération que recevront le conseiller et sa firme plutôt que d’être basées sur le meilleur intérêt du consommateur. Cette situation doit changer», écrit FAIR Canada.
Morningstar Canada abonde dans ce sens dans son mémoire et appelle à un abandon des commissions intégrées : «Alors que le meilleur intérêt des clients est respecté par la détention de fonds peu onéreux, les gestionnaires d’actifs sont incités à promouvoir des alternatives au coût plus élevé car des frais supérieurs leur permettent de dégager des revenus supérieurs. Les gestionnaires d’actifs utilisent les commissions intégrées pour inciter les conseillers à favoriser les fonds plus chers, et créent ainsi un conflit d’intérêts.»
Morningstar ne croit pas que l’abandon des commissions intégrées privera de services les petits investisseurs. La firme prévoit plutôt que la façon de fournir le conseil changera, notamment grâce aux innovations technologiques : «Nous considérons l’avènement des solutions de conseils numériques comme un point positif pour les investisseurs, car ces solutions démocratisent des modèles de répartition d’actifs sophistiqués.»