C’est ce que révèle la lecture des mémoires remis lors de la période de consultation 33-404 sur le rehaussement des obligations des conseillers et des courtiers envers leurs clients tenue cet été par les ACVM.

« En théorie, je soutiens l’idée que ceux qui offrent de la gestion de fonds et des services financiers au public devraient être légalement tenus de faire passer les intérêts de leurs clients avant le leur propre », indique Dan Hallett, vice-président et associé chez HighView Financial Group, dans son mémoire.

Il ajoute cependant, que « la proposition de superposer une norme d’agir dans le meilleur intérêt du client à la structure actuelle de l’industrie me semble problématique dans le contexte des résultats escomptés. Par exemple, selon la proposition mise de l’avant, ceux qui vendent des produits maison ne seront pas en mesure de s’y conformer. »

Se qualifiant de « prudemment favorable à la norme proposée», le Mouvement Desjardins soulève pour sa part certaines réserves selon lesquelles les orientations proposées restent vagues, indéfinies et trop complexes pour la mettre en œuvre. « Par exemple, il n’y a pas de définition de ce qu’est ‘‘l’intérêt » d’un client moyen, ni aucune discussion sur ce que signifiera ‘‘prioriser l’intérêt d’un client » et non l’intérêt des entreprises. »

Ce manque de clarté est aussi soulevé dans le mémoire déposé de l’Association des banquiers canadiens (ABC). « L’exigence proposée pour répondre aux conflits d’intérêts d’une manière qui « privilégie l’intérêt du client avant les intérêts de l’entreprise et/ou du représentant » n’est pas suffisamment claire pour fournir un code de conduite valable ».

L’ABC se questionne aussi sur la manière dont cette obligation fiduciaire supplémentaire de la loi serait différente de l’obligation de fiduciaire de common law.

Il s’agit d’une préoccupation qui rejoint celle qu’exprime Martin Gagnon, premier vice-président à la direction en gestion de patrimoine et coprésident ainsi que cochef de la direction de la Financière Banque Nationale (FBN), dans son mémoire. Celui-ci y écrit que « l’OCRCVM (article 42), l’ACFM (article 2.1.4), et le Code civil du Québec règlementent déjà suffisamment les intérêts des clients ».

Cette préoccupation rejoint aussi la position exprimée par l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), selon laquelle « La norme d’agir dans le meilleur intérêt du client proposée créera un degré ingérable et peut-être inutile de réglementation, de conformité et d’incertitude juridique ».

Division parmi les régulateurs

Pour sa part la CIBC constate que le projet des ACCVM n’obtient pas « le soutien de l’ensemble des participants de l’industrie, ni de la plupart des organismes de réglementation des valeurs mobilières provinciales ».

En effet, dès la publication du document de consultation des ACVM, une absence de consensus face à cette question marquait la position respective des différents régulateurs du pays.

L’Autorité des marchés financiers (AMF), à l’instar de la British Columbia Securities Commission (BCSC), de l’Alberta Securities Commission (ASC), de la Commission des valeurs mobilières du Manitoba (CVMM) et de la Nova Scotia Securities Commission (NSSC), ont en effet exprimé des réserves face à cette question.

Ces commissions des valeurs mobilières estiment notamment que le projet de norme d’agir au mieux des intérêts du client pourrait exacerber le décalage entre les attentes des clients et les obligations des personnes inscrites en raison des catégories d’exercice restreint existantes et des modèles d’entreprise exclusifs autorises au Canada. Ils indiquent que « les clients pourraient s’attendre à ce que les personnes inscrites aient une obligation non limitée d’agir dans leur intérêt, sans comprendre que certains conflits seraient encore permis ».

Les autorités exprimant des réserves ne voient pas comment les autorités de règlementation ou les tribunaux interprèteront une norme qui, d’une part, exige expressément de se conduire au mieux des intérêts du client et d’éviter les conflits importants, mais qui, d’autre part, autorise une conduite qui n’est pas au mieux des intérêts du client, pourvu qu’il y ait déclaration.

À l’inverse, les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont les régulateurs les plus en faveur du devoir fiduciaire. Ils estiment que l’introduction d’une telle norme règlementaire renforcerait la relation client-personne inscrite, en assurant aux clients que leur relation avec la personne inscrite soit régie par une norme de diligence priorisant leur intérêt. De même, le projet de norme règlementaire permettrait de répondre aux préoccupations que soulève le faible niveau de littératie financière de nombreux investisseurs.

Cette position rejoint celle exprimée par le Consumers Council of Canada, qui est pleinement favorable à la norme d’agir au mieux des intérêts du client. Selon l’organisme, les « fournisseurs de services financiers et les agents autorisés devraient avoir comme objectif de travailler dans le meilleur intérêt de leurs clients et d’être responsables de la défense et de la protection financière des consommateurs. »

« Il est temps pour les régulateurs canadiens en valeurs mobilières de cesser de blâmer l’investisseur. La protection qui passe par une approche orientée vers le produit, qui repose sur la divulgation, ne tient pas compte des vérités fondamentales et des normes sociales. Cela nuit non seulement aux investisseurs, mais crée aussi un régime dans lequel les investisseurs seront lésés délibérément et intentionnellement », peut-on aussi lire dans leur mémoire.

Pour sa part, Fair Canada se dit tout à fait convaincu de la nécessité d’aller de l’avant avec une norme d’agir dans le meilleur intérêt du client. « Exiger que les courtiers et leurs personnes inscrites agissent dans le meilleur intérêt de leurs clients assurera une répartition plus efficace des responsabilités entre le conseiller et le consommateur étant donné le niveau de littératie financière des consommateurs, le degré de connaissances et de compétences spécialisées et des capacités que le conseiller devrait posséder, et la complexité des produits financiers ».

Fair Canada estime même que « les cibles visées par les réformes proposées ne suffiront pas. Ils sont insuffisants parce qu’ils ne traitent pas efficacement les conflits d’intérêts et d’autres problèmes qui peuvent survenir, et souvent existent au cœur de la relation entre les firmes, les conseillers financiers et leurs clients ».