Finance et Investissement constate en effet que plusieurs propositions faites par le ministère des Finances dans son projet de loi 141 avaient déjà obtenu la bénédiction du Mouvement Desjardins, mais pas toutes.
Ainsi, Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers, fait écho à cette perception partagée par certains groupes de l’industrie financière. « Le projet de loi 141 répond à tellement de doléances de longue date du Mouvement Desjardins qu’on pourrait l’appeler le projet de loi « Desjardins ». J’ai un malaise par rapport à ça. Quand on regarde la faiblesse du processus de consultation, si on peut l’appeler ainsi, le parti pris évident du ministre dès le début de sa consultation, je n’ai pas l’impression que ce projet de loi sert l’intérêt public. J’ai de sérieuses réserves sur ce plan-là. »
Selon Maxime Gauthier, plusieurs éléments du projet de loi affaiblissent la protection du public, dont l’intégration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) à l’Autorité des marchés financiers (AMF), le feu vert à la distribution d’assurance en ligne, avec intervention optionnelle d’un conseiller certifié, et le simulacre de discipline par les pairs qui sera créé au sein du Tribunal administratif des marchés financiers.
Yvan-Pierre Grimard, directeur, relations gouvernementales, Québec au Mouvement Desjardins, lis totalement différemment le projet de loi. Selon lui, l’intégration de la CSF à l’AMF fait en sorte que toutes les fonctions de la CSF demeurent, y compris la discipline par les pairs, et l’encadrement de la distribution d’assurance par Internet, qui est proposé par le projet de loi 141, est adéquate et protège le client.
« Ce n’est pas le projet de loi de Desjardins. On est le principal assujetti au Québec. On est assujetti à toutes les lois québécoises. De dire que c’est le projet de loi Desjardins : je ne suis pas d’accord. C’est le projet de loi de l’industrie des services financiers québécois », dit-il.
Selon lui, le projet de loi 141 accroît la protection des clients, notamment en raison de la responsabilité accrue des assureurs lors de la distribution sans représentant, de l’élargissement de la couverture du Fonds d’indemnisation des services financiers, de la création du comité consultatif des consommateurs au sein de l’AMF et de l’ajout de mesures antireprésailles afin de protéger les dénonciateurs du secteur financier.
« C’est aussi la loi des consommateurs de produits et services financiers. Québec a toujours été en avance par rapport aux autres provinces canadiennes par rapport à l’encadrement de son secteur financier. Quand le projet de loi 141 va être adopté, on va l’être encore plus. C’est un bon projet de loi à l’avantage de tous. Mais ce n’est pas un cadeau que Desjardins reçoit », ajoute-t-il.
Lire notre dossier complet – Révision de l’encadrement du secteur financier
Plusieurs propositions retenues
Dans le but de mettre quelques faits sur cette perception, Finance et Investissement a analysé le mémoire du Mouvement Desjardins déposé à l’occasion de la révision de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), en septembre 2015.
- En 2015, le Mouvement Desjardins était favorable à la proposition du ministère des Finances de mettre en place un cadre législatif souple qui permettra aux assureurs d’offrir leurs produits par Internet. « Les consommateurs sont plus que prêts à souscrire de l’assurance par Internet et c’est ce qu’ils veulent », écrivait alors le Mouvement Desjardins. Dans le projet de loi 141, Québec propose un tel cadre législatif qui permettrait la distribution d’assurance sans intervention obligatoire d’un représentant, mais avec accès à un représentant en tout temps à la demande du client.
- En 2015, le Mouvement Desjardins était d’accord sur le fait que le régime de distribution sans représentants (DSR) nécessite un rééquilibrage entre les responsabilités des distributeurs et des assureurs. La coopérative financière déplorait alors que les guides de distribution devant être remis au client sous le régime de DSR se révèlent souvent « fades suscitant peu d’intérêt pour les adhérents, sauf lors de la réalisation du risque afférant à la protection. » Le projet de loi 141 abolit ces guides et propose que le client comprenne notamment l’étendue de la garantie, quelles en sont les exclusions et la façon de se plaindre à l’assureur. Ce dernier devra veiller à ce que le preneur puisse être assuré provisoirement jusqu’à la formation d’un contrat définitif, selon le projet de loi. Ces éléments du projet de loi sont très près des demandes contenues dans le mémoire de Desjardins en 2015.
- Dans son mémoire de 2015, le Mouvement Desjardins proposait que « l’Autorité récupérerait les responsabilités dévolues à la CSF, à la Chambre de l’assurance de dommage et à l’Institut québécois de planification financière (IQPF) », puisque le double encadrement de l’AMF et de la CSF « n’est pas optimal au plan de la protection des consommateurs, il crée de la confusion et il est coûteux pour les assujettis ». Le projet de loi répond à cette demande pour les mêmes motifs exposés par Desjardins, à l’exception de la requête de l’intégration de l’IQPF, lequel organisme n’est pas mentionné dans le projet de loi 141. Par ailleurs, en marge du 12e Rendez-vous de l’AMF, Sylvain Théberge, directeur des relations avec les médias de l’AMF, a précisé que l’intégration du personnel de la CSF et de ses fonctions au sein de l’AMF se ferait à coût nul. Les représentants ne peuvent donc pas s’attendre à voir leur facture globale diminuer, selon lui.
- En 2015, le Mouvement Desjardins était en désaccord avec la proposition du ministère des Finances de « prévoir qu’un consommateur puisse être indemnisé [par le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF)] lorsqu’il est victime d’une fraude commise par un représentant certifié, même si la réclamation concerne la vente de produits que le représentant n’était pas autorisé à offrir ». Selon le mémoire de Desjardins de 2015, les employés des institutions financières ne devraient pas être assujettis aux règles du FISF et « il faut limiter les paramètres du FISF car plus on les augmente, plus on déresponsabilise les consommateurs, ce qui risque de faire augmenter les cas de fraudes, et par conséquent, les coûts d’indemnisation ». Le projet de loi 141 ne va pas dans ce sens et propose plutôt l’élargissement du champ d’application du FISF, aux victimes d’un représentant certifié, sans égard à la nature du produit financier offert.