À la date d’échéance, si la valeur marchande du placement dans un fonds distinct est inférieure a la garantie a l’échéance, le client reçoit alors un complément de garantie. Or, ce complément est considéré comme un gain en capital et la réalisation de ce gain peut en étonner plusieurs, puisqu’elle ne fait que compenser une perte en général. Des stratégies existent afin d’éviter cet inconvénient.
Avant de les découvrir, voyons des éléments de la fiscalité des fonds distincts.
«Les fonds distincts sont des polices d’assurance vie à fonds réservés assujetties aux dispositions de l’article 138.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu», explique Frédérick Fink, de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Ce dernier ajoute toutefois que le traitement fiscal des garanties offertes par les assureurs sera déterminé en fonction des faits de chaque cas particulier en tenant compte des conditions spécifiques de chacune des polices.
Ce dernier ajout suscite des interrogations dans l’industrie. Selon un document sur l’imposition des fonds distincts produit par Placements CI, «les versements garantis ou les montants complémentaires créent une situation ambiguë puisque la Loi de l’impôt sur le revenu n’aborde pas spécifiquement le traitement des garanties», peut-on y lire. On y précise également que l’article 138.1 de ladite loi fait l’objet d’une révision au ministère des Finances. «Il est vrai que le traitement des paiements de garantie n’est pas clair dans la loi, mais il n’y a pas lieu de crier au loup», rassure Serge Lessard, vice-président adjoint régional, Service Fiscalité, retraite et planification successorale au sein de la Gestion de patrimoine, chez Manuvie.
«L’industrie se fie aux déclarations du ministère des Finances attestant que ces sommes constituent logiquement des gains en capital. Les garanties sont là pour remplacer des pertes en capital, il est donc normal qu’elles soient considérées ainsi», souligne cet avocat-fiscaliste, qui ajoute que cette pratique est établie depuis plusieurs années.
Du côté de l’ARC, on précise la portée de ces interprétations. «L’ARC a par le passé examiné des situations où les conditions d’une police à fonds réservés prévoyaient une garantie à l’échéance et au décès en vertu de laquelle le titulaire était assuré de recouvrer un montant n’excédant pas les primes payées pour acquérir la police, pourvu qu’aucun retrait n’ait été effectué dans l’intervalle. Dans ces situations, l’ARC a indiqué qu’en général les versements au titre d’une garantie à l’échéance ou au décès sont imposables pour le titulaire à titre de gain en capital», indique Frédérick Fink avant de préciser que «l’ARC n’a pas émis de position dans d’autres situations que celles susmentionnées».
François Bernier, directeur, techniques de planification avancées à la Financière Sun Life, ne s’étonne pas pour sa part de la prudence de l’ARC dans son interprétation : «Le fisc a une tendance à en donner moins que plus dans ses interprétations techniques, et la position qu’il vous a transmise est fortement inspirée des interprétations techniques publiées sur le sujet.» Ce dernier remarque toutefois que «l’ARC met une limite en mentionnant qu’il ne faut pas que la garantie soit supérieure aux primes payées pour acquérir la police».
Pas de quoi s’inquiéter
Nombre de clients ne devraient pas s’inquiéter de l’impact fiscal du complément de garantie, selon des experts. D’abord, si les polices sont détenues dans un régime enregistré comme un REER, il n’y aura aucune conséquence fiscale tant que les capitaux ne seront pas retirés.
Dans le cas de placements non enregistrés, il n’y aura pas de conséquence non plus si le client dispose de ces fonds immédiatement après leur échéance. En effet, le versement de la garantie entraînera l’émission de feuillets fiscaux tant au fédéral qu’au provincial. Toutefois, comme le client encaisse son placement, il réalisera aussi une perte en capital qui annulera pour ainsi dire le gain en capital constitué par le versement de la garantie.
Serge Lessard atteste que cette façon de faire suscite parfois des interrogations chez les représentants. «Les représentants se demandent pourquoi on émet un feuillet si le gain et la perte s’annulent en fin de compte. C’est tout simplement à cause de la Loi», explique-t-il. L’avocat rappelle aussi qu’un seul feuillet sera émis sur lequel apparaîtront le gain et la perte, mais dans deux cases différentes.
Et si le contrat reste en vigueur ?
Mais qu’arrive-t-il si le titulaire décide de conserver sa police ? L’assureur émettra au client un feuillet témoignant de la réalisation d’un gain en capital, et c’est là où le bât blesse. Comme il n’y a pas de disposition du placement, il n’y a pas de réalisation d’une perte aux fins des lois fiscales. Le client sera donc imposé sur la garantie même si celle-ci représente une compensation pour une perte et non un gain.
Par exemple, le client qui aurait investi 10 000 $ détenus par l’intermédiaire d’une police d’assurance dans un fonds distinct qui ne vaut plus que 6 000 $ à l’échéance sera indemnisé par son assureur pour un total de 4 000 $ s’il avait choisi la garantie de 100 %. Ce versement constituera un gain en capital et il sera imposé comme tel.
Cependant, le titulaire peut éviter cette imposition, explique Serge Lessard. «Il y a deux éléments en jeu ici. Il y a d’abord la police ou le contrat de fonds distincts et les fonds distincts proprement dits. Le contrat est à la base un contrat de rente différée en vertu duquel on investit les primes dans des fonds distincts durant la période d’accumulation. Or, souvent, les sommes sont investies dans plusieurs fonds. Advenant le versement du complément de garantie pour un fonds, je pourrais vendre un fonds afin de réaliser une perte et réinvestir le produit de la vente dans un autre fonds», explique Serge Lessard. Dans ce cas, la perte en capital réalisée lors du virement entre fonds compenserait le gain en capital découlant du complément de garantie.
Le titulaire pourrait aussi racheter la police afin de réaliser une perte le cas échéant et annuler le gain en capital découlant du versement de garantie. La stratégie pourrait même s’étendre à la disposition d’un contrat détenu auprès d’un autre assureur, puisque toute perte en capital pourrait venir réduire le gain en capital entraîné par le versement de la garantie chez le premier assureur. Serge Lessard rappelle cependant que, le plus souvent, cette stratégie se restreint à la vente d’un fonds détenu par l’entremise de la police qui débourse la garantie afin d’éviter des complications comme, par exemple, la désignation des bénéficiaires.
Facture fiscale en vue
Cependant, le virement de fonds n’est pas à conseiller dans tous les cas. Cela peut être le cas si un client a cristallisé un gain en raison de bons rendements, comme le prévoient plusieurs polices.
Disons, par exemple, que le fonds distinct dans lequel un client a investi 100 000 $ vaut dorénavant 140 000 $ à la suite d’une poussée boursière. Ce client a «cristallisé» ou réinitialisé son gain, c’est-à-dire qu’il s’est assuré de recevoir au moins 140 000 $ (dans le cas d’une protection 100 %), et ce, même si les marchés devaient par la suite se replier. Supposons que le placement ne vaut plus que 125 000 $ à l’échéance ; le client recevra alors un feuillet fiscal attestant d’un gain en capital de 15 000 $ (140 000 – 125 000), car il avait «cristallisé» son gain à 140 000 $, et l’assureur lui versera une garantie de 15 000 $ pour compenser la «perte» depuis la réinitialisation. Son coût d’acquisition pour le futur (prix de base rajusté) sera alors considéré être de 115 000 $ (le coût véritable plus la garantie versée).
Un problème se pose si le client conserve son placement, puisqu’il paiera de l’impôt sur ce gain en capital sans l’avoir touché. Ici, le virement entre fonds ne sera pas une solution avantageuse, car cela entraînera un gain en capital additionnel de 25 000 $, soit la valeur garantie par l’assureur moins le nouveau prix de base rajusté de 115 000 $. Le client devrait donc assumer l’impôt sur un gain en capital de 40 000 $ sans l’avoir encore encaissé. Le moindre mal est donc de verser l’impôt sur le gain de 15 000 $.
Il reste que cet inconvénient ne rend pas les fonds distincts inintéressants pour autant. «Les fonds distincts comportent des attributs légaux autres que la garantie», rappelle François Bernier. Pensons notamment à la protection contre les créanciers.
«J’aime bien le fait qu’ils facilitent dans certains cas le règlement des successions lorsqu’on a un hériter vulnérable qui ne peut attendre trois ou cinq ans avant de toucher son capital. Lorsque la désignation de bénéficiaire est appropriée et conforme au Code civil, le transfert est accéléré», clame François Bernier.