«On nous annonçait quelque chose de gros et c’est exactement ce qui a été déposé. Je comprends maintenant pourquoi ça a été aussi long. C’est un projet de loi très complexe», soutient Jocelyne Houle-LeSarge, présidente-directrice générale de l’Institut québécois de planification financière (IQPF).
Intitulée Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières, la nouvelle loi confirme les rumeurs d’intégration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) au sein de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Les modifications apportées à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) auront en effet pour résultat d’abolir la CSF et la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD). L’AMF se verra ainsi confier les responsabilités en matière de contrôle de l’exercice de l’activité de représentant, dont, entre autres, la déontologie et la formation.
Les dispositions transitoires contenues dans le projet de loi indiquent que l’AMF deviendrait l’administrateur provisoire de la ChAD et de la CSF. Les employés en fonction de ces chambres deviendraient de facto les employés de l’AMF à la date prescrite et occuperaient le poste et exerceraient les fonctions qui leur seraient assignés par l’AMF.
Celle-ci poursuivrait les enquêtes en cours de leur syndic respectif.
À noter que le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (chapitre D-9.2, r. 3) et le Règlement sur la formation continue obligatoire de la Chambre de la sécurité financière (chapitre D-9.2, r. 13.1) adoptés par la CSF en vertu des articles 202.1 et 312 de la LDPSF continueraient de s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, jusqu’à ce qu’ils soient abrogés ou remplacés par règlement.
Dans l’industrie, les réactions ne se sont pas fait attendre. La principale intéressée, la CSF, a publié un communiqué de presse quelques heures après le dépôt du projet de loi 141.
«La CSF peine à comprendre dans quelle mesure la disparition de la Chambre annoncée aujourd’hui sert vraiment l’intérêt supérieur de l’ensemble des épargnants québécois, écrit l’organisme. Pour la CSF, un organisme d’autoréglementation professionnel, la question fondamentale demeure de savoir pourquoi les intentions ministérielles sont d’éliminer un rempart de protection du public.»
La CSF va d’ailleurs plus loin et demande qui profitera vraiment de l’abolition des organismes d’autoréglementation : «Beaucoup d’idées, certaines fausses ou tendancieuses, ont été véhiculées depuis le dépôt du Rapport sur l’application de la LDPSF en 2015 par ceux et celles qui souhaitent une loi plus permissive et moins contraignante. À qui profiteront les nouvelles dispositions ?»
À l’IQPF, Jocelyne Houle-LeSarge admet que la nouvelle structure pourrait simplifier les choses pour les consommateurs souhaitant porter plainte : «On revient à l’idée d’un guichet unique qui était là, à l’origine, lors de la création de l’AMF. Pour nous, cela a du sens que l’AMF soit le guichet unique et que son rôle soit clarifié dans l’esprit du public : à qui est-ce que je dois m’adresser si je fais une plainte ?»
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L’abolition de la CSF et, tôt ou tard, de son code de déontologie inquiète beaucoup Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
«Le code de déontologie de la CSF a été bâti par des professionnels et, de ce que j’ai vu, il sera remplacé par un code mis en place par l’AMF, explique-t-il. Cependant, l’AMF, ce n’est pas la distribution ou les représentants, elle est loin de la réalité du terrain. C’est ce qui m’inquiète beaucoup.»
Rappelons que l’APCSF demandait la création d’un ordre professionnel dans son mémoire déposé lors des consultations sur la réforme de l’encadrement des services financiers. Si l’APCSF voulait un ordre, elle ne demandait pas l’abolition de la CSF.
«Dans notre mémoire, nous parlions de l’abolition de la CSF, oui, mais plutôt pour la remplacer par un ordre professionnel, souligne Flavio Vani. Nous voulions une Chambre forte avec un encadrement professionnel pour tout le monde. Ce qui se passe, c’est qu’ils font disparaître la CSF pour la remplacer par l’AMF, alors qu’on sait bien que l’AMF n’a pas de professionnels en contact avec ce qui se passe sur le terrain.»
Transition
Si le projet de loi était appliqué comme proposé, les enquêtes en cours du syndic des deux organismes d’autoréglementation (OAR) seraient poursuivies par l’AMF, et ce, un mois suivant la promulgation de la loi. Le même principe serait appliqué pour les plaintes transmises ou introduites devant le comité de discipline.
Si l’audition d’une plainte n’avait pas été entreprise à la date indiquée, c’est le Tribunal administratif des marchés financiers qui y procéderait.
Durant la période transitoire de transfert des pouvoirs des OAR à l’AMF, les auditions de plaintes déjà entreprises devraient se poursuivre devant la CSF, sauf si les parties consentent à une nouvelle audition devant le Tribunal administratif des marchés financiers.
«Ou encore n’acceptent de poursuivre l’audition devant le Tribunal et à s’en tenir alors, quant à la preuve testimoniale déjà produite, aux notes et au procès-verbal d’audience ou, le cas échéant, aux notes sténographiques ou à l’enregistrement des débats», peut-on lire dans le projet de loi 141.
Par ailleurs, les membres du comité de discipline auraient trois mois pour rendre une décision pour une plainte dont ils sont déjà saisis. Autrement, ils en seront dessaisis par le Tribunal administratif des marchés financiers, à moins que ce dernier ne décide du contraire.
De plus, à compter du moment où ont pris fin les mandats de tous les membres du comité de discipline, l’AMF procédera à la liquidation de la CSF.
Avec la collaboration de Guillaume Poulin-Goyer et de Frédéric Roy