«L’exercice consiste à dire : « Revenons à telle règle. Quel était son objectif ? En a-t-on encore besoin ? Et si on veut mieux réglementer, ne ferait-on pas mieux d’enlever une règle et d’en repenser une autre adaptée au contexte ? »»Demeurer équitable
L’industrie des valeurs mobilières se plaint depuis longtemps de l’encadrement réglementaire inégal entre son secteur et celui de la distribution d’assurance de personnes, de fonds distincts et de produits bancaires. Selon des répondants au sondage, les régulateurs doivent continuer d’aplanir les écarts réglementaires, comme ils prévoient le faire avec les fonds distincts.
Quant aux produits bancaires, le mandat de l’AMF est plus limité, comme l’indique Eric Stevenson, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de l’AMF. Selon lui, les représentants qui ont plus d’un permis doivent suivre la déontologie.
Des acteurs de l’industrie craignent que les firmes technologiques, comme les robots-conseillers, ne profitent indûment d’allègement règlementaire par rapport aux firmes traditionnelles.
«On a tendance à vouloir laisser les fintechs croître, à créer pour eux des bacs à sable règlementaires, des règles allégées… Les fintechs ne peuvent pas avoir de pause concurrentielle», estime Ian Russell, chef de la direction de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières.
Selon lui, les régulateurs devraient continuellement réexaminer les règles existantes, en ciblant les règles obsolètes, inefficientes ou dupliquées.
«S’il y a des règles obsolètes, j’aimerais savoir lesquelles. Nos règlements sont faits pour évoluer. Les fintechs vont nous amener là», dit Eric Stevenson. Il vise à les intégrer au cadre réglementaire et il soutient que «personne n’aura un free game».
Gilles Leclerc, surintendant des marchés de valeurs à l’AMF, croit à l’importance de l’égalité des chances. Il soutient qu’un bac à sable, qui émet des licences à durée limitée, permet justement d’éviter de créer un précédent en encadrant potentiellement mal ou trop vite.
Créer de manière disciplinée
Selon Ian Russell, les régulateurs doivent avoir une approche disciplinée lorsqu’ils créent de nouvelles règles. Leur analyse doit détailler le problème, évaluer les options, leur faisabilité pratique, leur coût, leur efficacité, leurs risques et leurs conséquences, notamment sur les petits comptes.
Cette manière permettrait aux régulateurs de mesurer l’effet de la précédente réforme et à l’industrie d’avoir un peu de temps pour souffler entre les réformes règlementaires, ce que souhaitent Yvan Morin et Jean Carrier, respectivement chef de la conformité chez MICA Services financiers et vice-président, conformité, chez Groupe financier PEAK.
Yvan Morin signale les coûts technologiques importants de l’adaptation à la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2).
«Pour le MRCC 2, entre le jour 1 et le jour où la réforme a été opérationnelle, ça a pris 10 ans. Là-dessus, la moitié du temps a été utilisée par l’industrie pour combattre», relativise Gilles Leclerc. Nonobstant cette boutade, celui-ci souligne que les régulateurs font preuve d’ouverture lors de l’implantation d’une nouvelle réforme.
Moduler les interventions
«Tout changement dans la réglementation risque d’avoir un plus grand impact sur un petit joueur que sur une multinationale», souligne Yvan Morin. Selon lui, les tarifs des régulateurs devraient aussi considérer les différentes tailles des firmes.
Carmen Crépin a souvent entendu parler de la perception selon laquelle l’organisme applique différemment les règles pour les petites firmes et pour les grosses firmes. «Je devais souvent dire : « Non, on applique la même règle à tout le monde. » Ceci dit, est-ce qu’on est obligé de l’appliquer exactement de la même façon ou est-on capable de tenir compte d’une réalité ? Si la règle n’a pas de sens dans la réalité spécifique des plus petits courtiers et qu’on leur demande de l’appliquer, on fait juste leur demander de faire du papier. Et ça sert à rien.»
Bien communiquer
L’industrie financière commence à voir les régulateurs comme les partenaires potentiels, et les régulateurs sont de plus en plus intéressés à écouter l’industrie, s’enthousiasme Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers : «C’est un cercle vertueux si le dialogue est basé sur des faits. Plus on se parle, plus on se comprend. Plus on se comprend, plus on commence à faire des choses intelligentes.»
Les canaux de communication doivent être multiples et surtout, accessibles. «Si une organisation n’est pas structurée pour écrire un mémoire de plusieurs pages, ce sont les opinions des plus petits qu’on n’aura pas. Il faut aller les chercher», dit Carmen Crépin.
Elle souligne l’effort de l’AMF dans ses tournées régionales : «Après, on s’attend à ce qu’elle donne un feedback : « Voici ce que j’ai retenu, voici ce que je n’ai pas retenu ».»
Maintenir des coûts abordables
Selon Ian Russell, tous les coûts de conformité, dont les frais des organismes aux membres et firmes assujettis, devraient être raisonnables.
«On dit que le fardeau réglementaire correspond à 35 ou 40 % des frais d’exploitation d’un courtier. Est-ce vraiment un cost of doing business ? Parce que si on dit ça, ça va lui coûter de plus en plus cher, et mon inquiétude, c’est que les plus petits clients seront exclus de l’univers du placement», note Carmen Crépin.
Penser au représentant
Des répondants au sondage déplorent le temps croissant que le représentant doit passer à expliquer chacun des formulaires découlant de l’entrée en vigueur des nouvelles règles, comme l’information au moment de la souscription (point of sale) et l’analyse des besoins financiers. D’autres déplorent aussi la quantité de papiers que le représentant doit remplir afin de rester conforme.
L’industrie fait aussi partie de la solution pour réduire la paperasse. «Souvent, les entreprises vont leur imposer une foule de formulaires en se couvrant derrière le fardeau règlementaire. En réalité, c’est pour s’éviter toute poursuite. Je ne suis pas convaincu que la réglementation soit trop volumineuse», dit Luc Labelle, qui a dirigé la Chambre de la sécurité financière (CSF) jusqu’en 2015.
Avoir une vision
Pour atteindre cet objectif de contrôle de coût, Ian Russell suggère aux régulateurs d’avoir une mission et une vision qui favorisent davantage la formation de capitaux et la croissance. «Par le passé, on a accordé trop d’importance à la mission de protection des investisseurs et à l’application des règles», dit-il.
Embaucher dans l’industrie
Selon Ian Russell, le personnel des régulateurs doit avoir les compétences nécessaires afin de bien comprendre l’ensemble de l’industrie, notamment la distribution des produits, les émissions sur les marchés de capitaux et de leurs infrastructures ainsi que les tendances internationales en la matière.
«On a tendance à embaucher trop d’avocats en valeurs mobilières, dit Ian Russell. On a aussi besoin de CFA, de financiers issus de différentes disciplines de l’industrie pour avoir une connaissance étendue et diversifiée.»
Prôner les amendes
Jean Carrier déplore que le comité de discipline de la CSF privilégie les radiations d’un à trois mois plutôt que les amendes. «Les conseillers de firmes indépendants sont des entrepreneurs. Ce sont eux qui connaissent leur client. [Un remplaçant] ne peut pas connaître 300 clients pendant trois mois et répondre à leurs besoins. Ça n’a aucun sens, surtout en valeurs mobilières où on doit suivre le marché et le client. Ceux qu’on pénalise, ce sont les investisseurs», dit celui qui estime qu’une amende serait plus dissuasive.
En amont de ce processus disciplinaire, le suivi des dossiers d’enquête par la syndique de la CSF gagnerait à être plus transparent, surtout pour le conseiller qui se sait sous enquête. «Pour lui, la terre arrête de tourner. Le fait que le représentant demeure sans nouvelle pendant 4 à 6 mois peut l’inquiéter», explique Yvan Morin. L’avocat suggère que la syndique indique au conseiller que son dossier est toujours à l’étude si rien de nouveau ne s’y est passé chaque deux mois.
Collaborer entre régulateurs
L’éventuelle naissance du régulateur coopératif pancanadien crée une occasion de définir de nouvelles règles harmonisées entre cet organisme et les régulateurs provinciaux du Québec et de l’Alberta qui ne s’y joindront pas, croit Ian Russell.
Pour que celles-ci soient favorables à la bonne tenue du marché des capitaux, il prône l’instauration d’un passeport.
Selon Carmen Crépin, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) peuvent encore mieux coopérer, à condition d’avoir un objectif commun partagé par tous les régulateurs provinciaux qui en sont membres.
«Les autorités ont un grand devoir de se connaître, de se parler et de travailler ensemble, dit-elle. C’est faisable si on a pour objectif de s’entendre et qu’on est sévère avec ceux qui ne vont pas dans ce sens. Ça part d’en haut.»
«Le meilleur moyen pour l’ACVM de montrer son bien-fondé, c’est d’être efficace», ajoute-t-elle.
Jean Carrier, qui se fait inspecter par l’AMF, l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) et l’OCRCVM, rêve d’ailleurs d’avoir une inspection centralisée.
Pour accroître l’efficience des régulateurs, Ian Russell prône la fusion de l’ACCFM et l’OCRCVM. Dans un même ordre d’idée, il prône une harmonisation des règles encadrant la distribution de fonds d’investissement, de fonds distincts et de produits bancaires.