L’AMF reconnaît que les contrôles internes et les mécanismes mis en place par les autorités de réglementation ne suffisent pas pour détecter les fraudes. L’industrie a besoin de lanceurs d’alerte (whistleblowers). L’utilité des lanceurs d’alerte n’est plus à prouver. Sans Deep Throat, pas de scandale du Watergate, sans Ma Chouette, pas de scandale des commandites.
La dénonciation est plus efficace que tout autre mécanisme de gouvernance pour cibler des comportements frauduleux ou alerter l’opinion publique sur des enjeux importants. Et c’est encore plus vrai dans le secteur financier où, parfois, malheureusement, l’occasion fait le larron. Follow the money, répétait Deep Throat au journaliste Bob Woodward, interprété par Robert Redford, dans Les Hommes du Président, le film sur le scandale du Watergate.
En 2008, l’Association of Certified Fraud Examiner a procédé à l’examen de 1 843 cas de fraudes dans plus de 100 pays et a découvert que seulement 4,6 % d’entre elles avaient été détectées par l’auditeur externe, et 13,9 %, par le contrôle interne.
Au Canada, dans 41 % des cas, la dénonciation avait plutôt été faite au téléphone ou par Internet par un employé, un client, un vendeur ou un concurrent.
Pas étonnant que partout dans le monde, les gouvernements et les organismes de réglementation tentent de favoriser la dénonciation en légiférant, en offrant des récompenses financières ou en instaurant des mécanismes de transmission d’informations sensibles.
Lourd fardeau
Il reste que si bon nombre se soucient de l’«avant» et du «pendant», bien peu se soucient de l’«après». Qu’advient-il de ces dénonciateurs une fois qu’ils ont fait leurs révélations ? «Bonne chance pour en trouver un qui soit en bonne santé mentale», dit l’éthicien René Villemure, interrogé à ce sujet (voir «Pour une rémunération des dénonciateurs» en page 33).
Les dénonciateurs perdent souvent leur emploi, leur avoir et leur santé pour avoir osé parler. Avant de les rémunérer ou de leur garantir l’anonymat, il est d’abord de notre responsabilité collective d’assurer leur protection.
Les syndicats et les organismes de défense des lanceurs d’alerte militent depuis des années pour que les dénonciateurs, soient, par exemple, mieux protégés contre d’éventuelles représailles de la part de leur employeur.
Le Code criminel du Canada prévoit un emprisonnement maximal de cinq ans pour l’employeur jugé coupable d’avoir menacé ou congédié un employé qui aurait fourni des renseignements aux autorités responsables de l’application d’une loi fédérale ou provinciale.
Toutefois, ce genre d’infraction reste difficile à prouver. Un employeur peut évoquer d’autres prétextes pour expliquer un congédiement. En vertu du Code civil du Québec, il peut aussi poursuivre à son tour un salarié s’il juge que celui-ci a manqué de loyauté envers l’entreprise. Le dénonciateur risque de se retrouver au beau milieu d’un labyrinthe juridique!
Le projet de loi 87 québécois, qui facilite la divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes publics, prévoit des mesures contre les représailles, mais rien n’est prévu pour encadrer le secteur privé, et de ce fait, le secteur financier.
Dans son refus d’offrir toute forme de compensation aux dénonciateurs, l’AMF disait envisager que «des mesures anti-représailles à l’égard des dénonciateurs dans la législation relative au secteur financier renforceraient éventuellement l’efficacité de son programme de dénonciation».
En attendant, ce programme prévoit la mise en place d’un guichet sécurisé par l’intermédiaire duquel les dénonciateurs pourront transmettre des informations qui seront ensuite traitées par une équipe formée et consacrée à ce processus, en toute confidentialité.
C’est un pas dans la bonne direction.
L’équipe de Finance et Investissement