Les 95 répondants sont pour la plupart des chefs de conformité, des directeurs de succursales et des dirigeants de firmes de toutes tailles.
Pour Daniel Bissonnette, cofondateur de Planifax, une firme rachetée par Investia en 2015, ce résultat n’a rien de surprenant. «En fait, je suis surtout surpris que ce ne soit pas 100 % des répondants qui soient contre !», lance avec verve ce conseiller de près de 40 ans d’expérience.
Il était de ceux qui se sont battus dans les années 1970 pour implanter cette structure de rémunération sous forme de commissions intégrées dans les frais de gestion.
«L’industrie avait mangé toute une volée avec le krach boursier de 1973-74, et on avait trouvé ce moyen pour que les conseillers puissent être rémunérés sans devoir multiplier les transactions dans les comptes des clients», se souvient Daniel Bissonnette, qui était alors chef de conformité.
Aujourd’hui, il s’oppose catégoriquement à l’abolition de cette forme de rémunération qui ne servira selon lui qu’à avantager les grandes banques au détriment des plus petites firmes. Et en fin de compte, ce sont les petits épargnants qui écoperont.
«On oublie qu’au Canada, on est riche en pauvres et pauvre en riches, dit-il. Aux États-Unis, où 2 % possèdent plus de 65 à 70 % des actifs, les conseillers facturent à honoraires, et la conséquence est que la majorité des Américains ne peuvent pas se payer un conseiller.»
Ses craintes sont partagées par les répondants au sondage. «Ce sera négatif pour l’industrie et cela n’apportera rien contre les conflits d’intérêts. Ce sera au détriment des petits investisseurs qui n’auront plus accès aux services», dit l’un d’eux.
«C’est la fin des petits comptes de 25 000 $», dit un autre.
«C’est la façon la plus simple et la moins coûteuse pour les petits épargnants d’avoir des services financiers appropriés. Une abolition des commissions les abandonnerait à leur sort, car plus personne ne voudra s’en charger. Une telle mesure mettrait fin à la carrière d’un grand nombre de membres de l’industrie.»
L’avantage des commissions intégrées, selon les conseillers sondés, c’est qu’elles n’ont pas à être négociées avec le client, ce qui permet de passer plus de temps à bien le servir.
Certains conseillers estiment même que l’exercice, en plus d’être une perte de temps et d’argent, n’offrira qu’un semblant de transparence et n’auront aucun effet sur les conflits d’intérêts.
D’autres n’y voient qu’une manoeuvre des banques pour s’emparer du marché… «C’est encore le lobbying des banques. Il faut rappeler que cette expérience a été amorcée en Angleterre et qu’elle n’a pas donné les résultats escomptés», dit un répondant.
Des conflits plus urgents
Les conflits d’intérêts ne pourront jamais être éliminés complètement, quel que soit le mode de rémunération, selon François Bruneau, vice-président, administration et investissement, chez Groupe Cloutier.
«Ce qui nous choque, c’est qu’on laisse aller les produits exclusifs offerts par les banques, tandis qu’on présente les commissions comme un conflit épouvantable qu’il faut absolument éliminer», dit-il.
Il reconnaît que, si certaines sociétés de fonds versent une commission de 5,6 % à la souscription d’un fonds à FAR alors que la plupart offrent du 5 %, certains conseillers pourraient succomber à l’appel des sirènes… mais il assure ne pas percevoir ce genre de conflits en pratique.
«Les régulateurs n’ont pas fait ça à l’improviste, rétorque de son côté Éric Lauzon, vice-président régional, développement des affaires dans l’Est du Canada, Gestion de patrimoine Assante. Des études sérieuses montrent que le risque de conflits d’intérêts est bien réel, mais en vérité, la majorité des sociétés de fonds paient la même commission. Seule une minorité paient un trailer plus élevé et c’est ça qu’on veut arrêter.»
Plutôt que d’abolir les commissions, François Bruneau suggère plutôt de niveler ou de plafonner les pourcentages de commissions intégrées.
Petits comptes à risque
Pour une majorité de conseillers, il est clair que les plus petits comptes écoperont, car en supposant un honoraire de 1 % à 1,75 %, même les comptes de 100 000 $ ne rapporteront plus que 1 000 $ à 1 750 $ par année au courtier…
«Si le conseiller souhaite établir son salaire à 100 $ de l’heure et que le client n’a que 20 000 $ à investir, il va trouver que ça lui coûte beaucoup trop cher et ne voudra pas payer. Et s’il ne veut pas payer, personne ne voudra le servir. Ce compte-là risque de se retrouver dans un bon vieux CPG. C’est ce qu’on essaie de dire au régulateur», dit François Bruneau.
Pour Éric Lauzon, le seul moyen de tirer son épingle du jeu pour un conseiller est d’offrir une panoplie de services. Chez Assante, on encourage fortement les conseillers à devenir planificateur financier ou à diversifier leur offre le plus possible de façon à ne pas se concentrer seulement dans l’investissement.
«En assurance, c’est encore possible de faire du bon commissionnement. Si un jeune conseiller va chercher beaucoup de nouveaux clients et vend quatre ou cinq polices d’assurance dans l’année, il va pouvoir arriver», dit Éric Lauzon.
Quant aux petits comptes, Éric Lauzon voit trois options : «Soit tu réduis tes coûts pour pouvoir continuer de les servir, soit tu augmentes leur facture ou tu arrêtes de les servir».
Il croit que les robots-conseillers devraient être considérés comme un outil de travail complémentaire pour aider les conseillers à servir ce segment de clientèle de manière rentable, tout en lui offrant un service adéquat.
Éric Lauzon reconnaît qu’un défi important attend la nouvelle génération de conseillers, mais il voit plus d’occasions que de menaces dans l’abolition éventuelle des commissions intégrées. Son avis est partagé par un certain nombre de répondants au sondage.
«En ce moment, c’est un processus opaque et je ne suis pas certain que les clients comprennent bien la rémunération qui est consentie et les coûts engendrés par celle-ci», dit l’un d’eux.
D’autres estiment que ce n’est pas dans l’intérêt du client qu’il y ait une rémunération cachée, des frais différés ou intégrés, sans compter que cela réduit le rendement de l’investissement du fonds en question.