Chose certaine, les conseillers interrogés dans le cadre de notre pointage des cabinets multidisciplinaires sont inquiets de voir leur profession s’effriter faute de sang neuf.
«La relève se fait rare parce que c’est difficile pour les jeunes de commencer à zéro et de survivre dans le métier de nos jours. Générer un revenu est long et difficile, et après quelque temps, les jeunes s’en vont», constate Jean Paquin, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective au Groupe Investors, le frère de Claude Paquin, dirigeant de la même institution.
Il croit que le modèle d’avenir en sera un où les conseillers d’expérience céderont peu à peu leur place et une clientèle déjà établie à de jeunes apprentis grâce à des programmes de mentorat et de financement (voir «Jeunes conseillers recherchés»).
Cependant, quelle que soit la manière, encore faut-il convaincre les jeunes de choisir le métier ! «La situation démographique ne touche pas seulement le domaine des services financiers. On se bat contre toutes les autres professions qui veulent aussi attirer de la clientèle, et d’autres programmes sont beaucoup plus vendeurs et plus concrets pour l’étudiant que le nôtre», admet François Leduc, coordonnateur du programme de Conseil en assurance et services financiers du Collège Montmorency.
Une image à changer
L’industrie devra faire des efforts pour redorer son image afin d’attirer les talents. «Quand je dis que je suis conseiller en services financiers, le regard des gens n’est pas le même que quand je dis que je suis comptable agréé. C’est malheureux, parce que dans le monde de la finance il y a de la place pour bien servir les gens», dit Jean Paquin, qui a exercé la profession de comptable en cabinet avant de se lancer dans les services financiers en 1994.
«On se bat encore contre l’image de l’homme à la valise qui vient sonner chez vous à l’heure du souper, laisse tomber François Leduc. Ce n’est pas sexy, l’assurance et les services financiers, et il y a des préjugés. Parfois, le jeune s’y intéresse, mais ce sont ses parents qui le découragent.»
Le Collège Montmorency diplômera cette année 24 finissants en Conseil en assurance et services financiers, selon François Leduc. «Six cégeps offrent le programme, mais c’est nettement insuffisant pour combler la demande», dit-il.
Les entreprises peuvent bien sûr tenter d’attirer les bacheliers en finance ou en administration, mais elles font alors concurrence à tous les autres domaines de l’industrie, qui sont également en mode urgence pour remplacer la cohorte de boomers qui astiquent leurs bâtons de golf.
Au Groupe Investors, on constate depuis quelques années l’arrivée dans le métier de candidats plus âgés qui réorientent leur carrière. «Nous recrutons beaucoup d’ingénieurs et de comptables, note Claude Paquin, président des Services financiers (Québec) de Groupe Investors. Le domaine d’expertise leur parle et ils veulent être à leur compte.»
Le défi de la rétention
Les cabinets multidisciplinaires misent sur l’aspect entrepreneurial pour attirer de nouvelles recrues. Toutefois, après avoir été séduits par la liberté, l’autonomie et les horaires flexibles, les jeunes conseillers ont parfois un réveil brutal. «Ils se rendent compte que pour pouvoir aller jouer au golf une fois par semaine, ils doivent travailler de manière acharnée de 10 à 12 heures par jour pendant le reste de la semaine», remarque François Leduc.
Les firmes qui réussiront à bien gérer la relève doivent donc bien la choisir et l’encadrer. En effet, ce n’est pas tout de recruter des jeunes, encore faut-il les garder. Chez SFL Partenaire de Desjardins Sécurité financière, on en prend de plus en plus conscience.
Cette firme très dynamique dans l’embauche de jeunes de 25 à 35 ans a décidé de lever le pied un peu sur ses campagnes de recrutement pour se concentrer sur la rétention. «Nous continuerons de recruter, mais nous voulons mettre l’accent sur la prestation de services aux conseillers pour qu’ils soient heureux et nous assurer qu’ils réussissent», dit Stéphane Dulude, président et directeur général de SFL.
C’est pourquoi SFL a créé le programme Synergie Elite, afin de bonifier un programme déjà existant d’entrée dans la profession destiné aux conseillers de ses centres financiers. «Nous l’avons prolongé au-delà de la première année, parce que la deuxième année aussi est difficile. Maintenant, il est possible d’en bénéficier pendant trois ans.»
les Obstacles de la réglementation
Les conseillers se plaignent souvent de la lourdeur des normes auxquelles ils doivent se conformer. Pour Robert Frances, président de Groupe financier PEAK, la relève se bute aussi aux obstacles de la réglementation.
«Prenez toute la question de l’incorporation. C’est important, parce que du point de vue fiscal, le conseiller qui vend son entreprise ne peut pas bénéficier de l’exonération pour gain en capital. C’est un gros problème parce que quand on vend et qu’on sait qu’on aura plus d’impôt à payer, le prix va monter et ça devient difficile pour un plus jeune d’acheter», dit-il.
L’entrée dans le métier est aussi fortement réglementée. «C’est compliqué et très facile de s’enfoncer si on ne connaît pas tous les règlements dans le détail. Saviez-vous que dans les cinq succursales de PEAK, on se rapporte à 19 organismes de réglementation ? Les règles ne sont pas les mêmes, et parfois elles sont contradictoires d’un organisme à l’autre.»
Certains des conseillers sondés craignent qu’une abolition éventuelle des commissions de suivi ne nuise également à l’entrée dans la profession. «Ce ne serait pas viable pour la relève. Les jeunes n’ont pas de portefeuilles importants au départ. La transparence, la divulgation, oui, mais il ne faut pas abolir les commissions de suivi», dit l’un d’eux. «Si on oblige les jeunes à ne toucher que des honoraires, sans les commissions de suivi, ils ne voudront pas faire ce métier», croit un autre.
L’exemple de l’assurance de dommages
Pour François Leduc, si l’industrie des services financiers a pris du retard, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même de ne pas s’être préoccupée de la pénurie de main-d’oeuvre appréhendée. «L’industrie de l’assurance de dommages a été plus clairvoyante en créant il y a 15 ans la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages, et malgré cela, la relève reste un combat perpétuel», fait-il remarquer.
Robert Frances reconnaît que le travail de conseiller n’est pas assez mis en avant. «Tout le monde comprend qu’un médecin est un professionnel important dans la vie des gens, mais quand on parle d’un conseiller en services financiers, on parle même de le remplacer par un robot ! Comme industrie, il faut investir dans la notoriété et la noblesse de ce rôle.»