«Parfois, j’ai l’impression d’écouter un discours de PDG d’entreprise», déplore un répondant en parlant de Louis Morisset. Il vaudrait mieux adapter la mission de l’AMF à la nature de l’industrie québécoise.
«L’AMF devrait être plus près de l’industrie et du conseiller sur le terrain. Elle devrait partir du bas vers le haut, et non pas le contraire», indique un autre répondant.
Une personne interrogée mentionne aussi l’importance, «du maintien d’une communication étroite avec les intervenants de l’industrie, que ce soit les firmes ou les représentants», en reconnaissant toutefois que l’AMF «avait une longueur d’avance sur les autres régulateurs en la matière».
Selon son site Web, le premier volet de la mission de l’AMF, qui est mandatée par le gouvernement, est de «prêter assistance aux consommateurs de produits et aux utilisateurs de services financiers» dans l’encadrement qu’elle fait des marchés financiers au Québec.
«Nous avons des messages à passer qui ne sont pas les messages de l’industrie. L’industrie a à agir et à mettre en valeur ce qu’elle fait de bien pour les Québécois. Nous sommes interpelés par le volet « protection du public »», précisait Louis Morisset dans une entrevue avec Finance et Investissement en mars 2014.
Il venait également de rapporter que selon un sondage de Léger Marketing, la confiance des Québécois envers l’AMF était passée de 35 % en 2009 à 61 % en 2013.
Perspectives inverses
Il reste que l’industrie financière aime savoir que l’AMF tient compte de sa réalité.
«Louis Morisset a rencontré l’industrie depuis qu’il est arrivé, mais j’ai l’impression qu’il pourrait s’en rapprocher encore davantage, croit Gino Savard, président de Mica Services financiers. Plus de proximité permet d’accentuer la compréhension des vrais enjeux sur le terrain», lance-t-il.
Sa perception est que Louis Morisset est moins présent que son prédécesseur Mario Albert, avec qui Gino Savard mentionne qu’il avait eu plusieurs discussions de vive voix.
«Il écoutait et comprenait, avance Gino Savard. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais je trouve que Louis Morisset n’a pas la même sensibilité que l’ancienne gestion.»
Jean Carrier, vice-président à la conformité chez Groupe financier Peak et ancien directeur adjoint aux inspections de l’AMF, ne partage pas cette opinion. «Louis Morisset a une oreille attentive et nous avons de bons régulateurs», affirme-t-il.
Il est membre du conseil des gouverneurs du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), qui tient des réunions régulières avec les régulateurs, soit l’AMF et la CSF. «On essaie d’être près d’eux afin de s’assurer que lorsqu’ils vont dans une direction, ça fonctionne avec notre réalité», dit Jean Carrier.
Tisser des liens
C’est d’ailleurs ce qu’a répondu l’AMF, mise au fait de cette préoccupation de certains répondants. Dans sa réponse écrite, le régulateur rapporte qu’il participe régulièrement à des rencontres statutaires avec des regroupements de manufacturiers, dont le CFIQ, ainsi qu’à des congrès de l’industrie tels que le Congrès du Journal de l’assurance, le Colloque de conformité du CFIQ et le Congrès de la Section Conformité et Plaintes de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).
«Au cours des dernières années, l’AMF a travaillé à consolider ses liens avec les principaux regroupements de l’industrie et à maintenir un dialogue constant avec ses clientèles grâce à des rencontres, des échanges divers et des consultations formelles et informelles. L’AMF a toujours le souci d’être près de l’industrie financière québécoise et de mieux comprendre ses préoccupations et ses enjeux», écrit le régulateur.
L’AMF est d’avis que des progrès importants ont déjà été réalisés depuis quelques années et affirme vouloir poursuivre ses efforts dans ce sens. Elle mentionne avoir tenu récemment une première rencontre avec des représentants de gestionnaires de portefeuille et des gestionnaires de portefeuille en émergence.
Près de 70 participants étaient présents lors de cette rencontre afin d’échanger au sujet de l’encadrement réglementaire de l’inscription et des modifications récentes apportées au Règlement 31-103.
«Il s’agit de la première d’une série de rencontres bisannuelles dans le cadre des travaux que l’AMF mène auprès de Finance Montréal», informe le régulateur.
Paperasse accaparante
Plusieurs répondants au sondage ont aussi dit qu’ils étaient ensevelis sous la paperasse réglementaire. «Les représentants trouveront toujours qu’ils ont trop à faire, et c’est vrai que les règlements sont de plus en plus nombreux en raison de la Loi sur les valeurs mobilières, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), etc. Ça en fait aussi beaucoup avec la mise en oeuvre de la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2)», mentionne Jean Carrier.
Il se demande si les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ne devraient pas revoir leurs exigences et trouver de meilleures façons de procéder. «Elles pourraient nous donner, par exemple, des procédés moins rigides, qui en demandent moins aux représentants», considère-t-il.
Plusieurs conseillers lui ont d’ailleurs fait ces commentaires sur les exigences et s’interrogent quant à leur valeur ajoutée. «Il y a beaucoup d’information. On est dans le domaine financier et on a de la difficulté à comprendre, alors imaginez le client ! Est-il réellement au courant de tout ça, et en mesure de le comprendre ?» fait-il valoir.
Même son de cloche chez Gino Savard : «Nous arrivons avec des piles et des piles de documents. Nous leur faisons signer 45 documents ! Les conseillers ne s’y retrouvent plus, et même les cabinets s’y perdent !»
Il se considère tout de même chanceux d’avoir accès au personnel de l’AMF lors des inspections, tous les deux ou trois ans, puisque cela lui permet de clarifier certains points obscurs.
«Les conseillers n’ont pas, eux, cet accès direct. Souvent, ils se rendront compte trop tard qu’ils ne sont pas conformes. Ils deviennent moins sûrs d’eux», affirme Gino Savard.
Il souhaiterait lui aussi une simplification de la documentation pour les clients. «Il y a eu des exemples, comme de pouvoir remplacer le prospectus par l’aperçu du fonds. Ça, c’est bien !» illustre-t-il. C’est justement ce changement que l’AMF a mis en avant lorsqu’on l’a interrogée sur la préoccupation du fardeau réglementaire.
«Une initiative importante des régulateurs dans le secteur des fonds communs de placement est la mise en oeuvre de l’aperçu du fonds en juin 2014. En plus de simplifier la documentation à remettre par le représentant à l’investisseur, il est également un outil d’information et de sensibilisation de premier ordre. En 2015, nous proposerons d’étendre ce régime aux fonds négociés en Bourse», précise l’AMF dans sa réponse.
Deux poids, deux mesures
Marylène Royer, avocate et directrice, conformité, distribution, assurance de personnes et épargne (Est-du-Canada), opérations et performance au Mouvement Desjardins, croit quant à elle que l’industrie peut tourner ces exigences supplémentaires à son avantage.
«Cela nous oblige à mettre en place des outils technologiques qui vont améliorer nos recherches dans nos dossiers et faire le lien entre les besoins de nos clients au fil du temps. Par exemple, nous avons gagné beaucoup grâce à l’analyse des besoins financiers complète (ABF). Ça permet de détecter d’autres besoins du client», dit-elle.
Daniel Bissonnette, président de Planifax, soutient au contraire que les petits cabinets sont désavantagés par rapport aux institutions financières dans l’application de ces nouveaux règlements. C’est d’ailleurs une des priorités soulevées par les répondants, c’est-à-dire de rendre plus équitable la réglementation en fonction de la taille des courtiers.
«J’ai l’impression que les gestionnaires de l’AMF ne tiennent pas toujours compte des coûts pour les petits courtiers quand ils implantent ces règles-là. Par exemple, nous avions mis en garde les autorités que nous foncions tout droit dans un mur avec MRCC 2 et que ça nous coûterait une fortune ! Ils sont allés de l’avant quand même», dit-il d’un ton désapprobateur.
À ce reproche, l’AMF rétorque qu’elle applique les mêmes règles à tous les intervenants de façon équitable et pondérée, en considérant la taille des entreprises et les différents modèles d’affaires, tout en connaissant bien les enjeux que les petits acteurs de l’industrie doivent gérer au quotidien.
«L’AMF est consciente que certains projets ont pu être perçus comme une augmentation du fardeau réglementaire, par exemple le projet de MRCC 2 dans le secteur des valeurs mobilières, mais elle demeure convaincue que l’intérêt des consommateurs justifie les changements apportés», spécifie-t-elle.