Certains commentaires recueillis par Finance et Investissement dans le cadre de son sondage sur les régulateurs illustrent cette méfiance. L’Autorité des marchés financiers (AMF) est moins rigoureuse avec les petites firmes qui sont laissées à elles-mêmes. Les fraudeurs viennent des petites firmes… On les repère plus facilement dans les grandes banques à cause de la rigueur des institutions financières», avance un répondant.
Un autre répondant affirme : «La fermeté du régulateur dépend du rapport de force. Par exemple, une [importante institution financière] n’aura pas la même approche ou la même façon de faire que des petites firmes.»
Voici deux opinions contradictoires. Selon la première, les petites firmes sont des nids de fraudeurs qui peuvent agir en toute impunité en raison du laxisme de l’AMF. Alors que la seconde laisse sous-entendre qu’une institution financière d’importance majeure aurait, par sa taille, un rapport de force qui lui donne des passe-droits.
Plusieurs répondants plus nuancés ont également répondu au sondage. J’ai choisi d’extraire deux commentaires aux extrémités du spectre pour illustrer ce qu’on constate trop souvent : la peur de l’étrange.
Laissons aux sociologues le soin d’analyser le pourquoi du phénomène. Toutefois, il convient de rappeler certains éléments pertinents :
Notre industrie est plurielle. Elle est composée de grandes institutions financières, de représentants autonomes, de cabinets qui sont tantôt indépendants, tantôt des succursales et tantôt captifs.
La structure organisationnelle des acteurs de l’industrie varie en fonction de la taille et de la culture d’entreprise.
La règlementation est la même pour tous. Quelle que soit la taille ou le statut, la règlementation s’applique à tous les acteurs d’une même discipline.
Le Québec a un régulateur intégré unique pour toutes les disciplines, soit l’AMF. La pratique et la déontologie des individus est quant à elle encadrée par la CSF ou l’OCRCVM. L’ACCFM s’ajoute pour leurs membres.
Règles et taille des acteurs
Au Québec, nous avons une règlementation basée sur des principes plutôt qu’une série de règles prescriptives précises. Cette approche laisse une possibilité d’interprétation et surtout d’application aux acteurs de l’industrie qui doivent se conformer à des principes plutôt que de suivre une recette uniforme et rigide.
L’avantage est majeur : il permet à des acteurs différents de cohabiter tout en ayant une chance d’avoir une structure propre et adaptée à leur situation. Sans compter qu’un principe reste pertinent plus longtemps qu’une règle précise, qu’il faut constamment modifier pour qu’elle soit efficace.
Par contre, l’approche par principe a pour défaut le manque d’homogénéité des pratiques de l’industrie. Chaque cabinet ou courtier aura ainsi des règles sensées atteindre le même objectif, le même principe. Par contre, le chemin pour y parvenir pourra être différent.
Voilà qui explique en partie pourquoi les procédures et les exigences peuvent varier d’une firme à l’autre.
Ce n’est pas parce qu’on oeuvre dans l’industrie financière qu’on est identiques. Il y a des acteurs importants (grandes institutions financières ou assureurs), des acteurs moyens (firmes intermédiaires de courtage ou plus petits assureurs) et des petits acteurs (jusqu’à un seul représentant parfois).
L’approche par principe implique la recherche d’un but commun, une obligation de moyens pour y parvenir. Les buts recherchés sont la protection du public et l’efficience des marchés.
Il est donc normal que les acteurs de l’industrie adoptent des règles différentes en fonction de leurs activités, de leur taille et de leur modèle d’affaires. Une grande institution financière qui compte des centaines ou des milliers d’employés ne peut avoir la même proximité avec ses représentants qu’une petite firme qui n’en compte que quelques-uns.
Il est donc naturel que les mesures de contrôle soient différentes. Là où la proximité existe, il y a possiblement moins de contrôle à distance, et il y en a plus avec un contact humain.
L’idée pour chaque acteur est de répondre aux principes et de gérer son risque, en fonction de sa réalité, pour assurer la protection du public et l’intégrité du système.
Ni meilleur, ni pire…
Il est facile (et peut-être normal) de juger l’autre et de critiquer ses méthodes ou encore la rigueur avec laquelle l’AMF peut traiter avec lui.
Gardons simplement en tête que l’AMF tente de faire au mieux avec les outils dont elle dispose pour assurer la protection du public. Elle doit s’adapter à des modèles différents qui ne sont pas forcément meilleurs ou pires les uns que les autres.
Revenons aux citations qui ont motivé cette chronique.
Aucune statistique crédible ne permet de croire qu’il y a plus de fraudes ou de manquements dans les petits réseaux que dans les grands. Peut-être s’agit-il simplement d’une perception ou encore peut-être que le client mécontent d’une grande institution sait qu’il peut s’adresser au gérant ou au supérieur de son représentant, alors que dans le réseau des indépendants, le réflexe de plainte à l’AMF est plus rapide.
Ma théorie vaut bien la vôtre, mais le client n’est pas plus à risque dans le réseau indépendant qu’en institution.
De la même manière, aucune donnée ne permet de croire que les grands réseaux bénéficient d’un avantage face à l’AMF en matière d’exécution de la loi.
Le poids de ces institutions peut faire que l’AMF les écoute attentivement ou leur permet de dégager des ressources pour mettre en évidence leur point de vue et étayer celui-ci. Mais d’expérience, j’ai pu constater que la majorité des intervenants de l’AMF sont à la recherche du gros bon sens et prêtent attention aux arguments, pas à celui qui les émet. C’est très bien ainsi.