En ce qui concerne les plus gros, une onde de choc a secoué l’industrie lorsque la Financière CI a annoncé l’achat de Sentry Investissements. Quinzième plus important manufacturier de FCP, Sentry avait réussi une percée brillante et enviable auprès des plateformes de distribution de Financière Sun Life et de BMO Assurance. Ses succès avaient contribué à l’expansion fulgurante de l’ASG de Sentry, qui est passé de 5,7 G$ en 2011 à 18,2 G$ en 2016.
Selon l’analyste Scott Chan, de Canaccord Genuity, cette transaction pourrait donner le signal d’un «mouvement de consolidation» dans l’industrie des FCP.
En revanche, même s’il y avait consolidation, les manufacturiers indépendants ne sont pas menacés de disparition.
«Il y aura toujours de la place pour les manufacturiers indépendants. Plusieurs conseillers préfèrent acheter auprès d’indépendants plutôt qu’auprès d’institutions bancaires. Cependant, je crois que pour réussir, il faut atteindre une certaine taille afin de bénéficier d’économies d’échelle», indique Stephen Boland, analyste chez GMP Securities.
Atteindre un volume de ventes suffisamment élevé est l’un des principaux défis communs des indépendants. Les défis sont cependant multiples.
Voici les défis de quatre manufacturiers indépendants vus par cinq observateurs : le conseiller Michel-Olivier Marcoux (président de Gestion de Patrimoine ASF), les consultants Dan Hallett (vice-président et associé du HighView Financial Group) et Jean Morissette (ancien président de Services financiers Partenaires Cartier pour le Québec) ainsi que les analystes Scott Chan et Stephen Boland.
AGF : changer de cycle
Doyenne des manufacturiers indépendants de FCP avec soixante ans d’histoire, AGF a subi d’importantes sorties nettes depuis dix ans. À son sommet en 2007, son ASG total atteignait 56 G$. Dix ans plus tard, soit en septembre 2017, il était de 35,3 G$.
Mais peu à peu, la société colmate les brèches.
En septembre 2017, l’ASG en FCP s’établissait à 18,3 G $, comparativement à 17,8 G $ un an plus tôt. Cette augmentation de 2,8 % découle des conditions de marché favorables. Cependant, selon toute probabilité, AGF abordera prochainement la terre promise des ventes nettes positives.
«Les ventes nettes approchent du point d’équilibre auprès des clientèles individuelles et institutionnelles», observe Stephen Boland.
Selon l’analyste de GMP Securities, le «cycle de sous- performance d’AGF est semblable à ceux qu’ont connu d’autres manufacturiers. Il faut du temps pour rectifier les choses».
Divers facteurs favorisent l’entrée prochaine de la société dans un nouveau cycle de ventes nettes positives. La direction a reconstruit ses équipes de gestionnaires. Elle a sensiblement élargi sa palette de fonds alternatifs. Sa stratégie visant à rejoindre les bien nantis remporte du succès : l’actif géré par la gestion privée a progressé d’environ 8 % par an, soit une croissance de 52,4 % au cours des cinq dernières années. Finalement, la société a lancé en janvier sa propre gamme de fonds négociés en Bourse.
Cela étant dit, AGF doit rebâtir une partie de son capital de réputation.
«Selon moi, le principal défi d’AGF consiste à regagner la confiance des conseillers qui l’ont délaissée au cours des dernières années», estime Michel-Olivier Marcoux. Ce jeune entrepreneur de 28 ans confie «qu’aucun représentant d’AGF» ne l’a contacté depuis ses débuts dans l’industrie en 2009. «La chose est rare, puisque je rencontre régulièrement des représentants d’autres firmes, y compris certaines avec lesquelles je ne fais pas affaire», précise-t-il.
CI : le défi de la distribution
Même s’il est un géant des FCP, Placements CI doit renforcer sa structure de distribution, étant donné que Gestion de patrimoine Assante est le seul réseau qui lui appartienne.
D’après l’analyste Scott Chan, l’acquisition de Sentry Investissements renforce un canal de distribution peu exploité jusqu’ici par le manufacturier, à savoir les conseillers réglementés par l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). «La plus grande partie de l’actif sous gestion de Sentry provient de ce canal de distribution. Et je crois que les relations des représentants [wholesalers] de Sentry dans ce canal de distribution sont particulièrement fortes», signale-t-il.
Dans l’immédiat, CI devra résoudre le problème des importants rachats nets de Sentry, qui ont atteint 1 G$ en 2016, selon l’estimation de Scott Chan.
La direction de la société considère que les bons classements de fonds constituent un argument clé pour accompagner sa stratégie de pénétration de marché. «Au 31 décembre 2016, plus de 60 % de l’actif sous gestion se trouvait dans les deux premiers quartiles pour une période de dix ans», indiquait la direction dans son dernier rapport annuel. Aux yeux de l’analyste Stephen Bolland, les performances supérieures à la moyenne du manufacturier mettent d’ailleurs la société en «position de force» sur le terrain des ventes.
Le conseiller Michel-Olivier Marcoux est un adepte convaincu de ces fonds – le manufacturier faisant partie de son Top 5. Il estime qu’au cours des prochaines années, CI devra «garder l’oeil ouvert sur les processus de succession des nombreux gestionnaires vedettes qui font sa marque de commerce».
FIERA : le défi de la vente au détail
La progression de Fiera se fera dans le secteur des stratégies alternatives, qui représente environ 5 % de son ASG.
Selon l’analyste Scott Chan, la direction de la société de gestion indépendante veut le faire doubler et passer à une proportion globale de 10 % en raison de meilleures marges bénéficiaires. Lors du premier semestre 2017, le secteur des marchés institutionnels a enregistré une forte hausse de 12,3 % de l’ASG. Les contributions nettes sont de 1,6 G$.
En revanche, la performance du secteur de détail appelé «marché des conseillers aux investisseurs» n’est pas aussi éclatante. Ainsi, lors des six premiers mois de l’année, les contributions nettes sont négatives à 531 M$.
Dan Hallett se demande si la présence de Fiera dans le secteur des FCP ne serait pas un effet indirect et accidentel de l’acquisition de Sceptre en 2010. «Si ma mémoire est fidèle, cette transaction avait permis d’élargir la base d’actif de Fiera dans les marchés institutionnels canadiens. La composante de fonds de détail de Sceptre était moins significative», avance-t-il.
Intégrés à Fiera, les FCP de Sceptre sont devenus les pièces maîtresses de la société sur l’échiquier de l’épargne collective canadienne.
Toutefois, ont-ils été négligés ? Selon Jean Morissette, les succès de Fiera auprès des clientèles institutionnelles et de gestion privée ont porté ombrage aux activités de détail. «J’aurais tendance à penser que la croissance très rapide de l’organisation dans les secteurs d’activité marchés institutionnels et gestion privée a fait en sorte que le secteur des produits de détail n’a pas encore été priorisé», évoque-t-il.
Chose certaine, les portes de la distribution ne s’ouvrent pas d’emblée, même pour un gestionnaire aussi prestigieux que Fiera. En témoigne sa situation auprès de la Banque Nationale, pourtant actionnaire minoritaire de la firme. «Fiera peut perdre des mandats auprès de la Banque Nationale. En raison de l’architecture ouverte de sa plateforme de distribution, la banque ne veut pas dépendre d’un manufacturier en particulier», dit Scott Chan.
Sprott : le défi de la spécialisation
De manufacturier généraliste aux bons résultats, Sprott s’est redéfinie comme spécialiste des métaux précieux et des ressources naturelles.
Il faut dire que les dernières années ont été mouvementées. En avril dernier, la société s’est départie de son secteur d’actifs diversifiés canadiens. Avec un ASG d’environ 3 G$, ce secteur était notamment composé de FCP destinés aux investisseurs canadiens. Mais depuis quelques années, ses résultats étaient écrits à l’encre rouge. En 2016, les sorties nettes avaient atteint 126 M$.
La société s’est principalement recentrée sur les métaux précieux et les ressources naturelles. La direction affirme que ces domaines sont peu corrélés aux marchés traditionnels.
Jean Morissette évoque la possibilité que cette stratégie permette au manufacturier indépendant de briller de nouveau. «Compte tenu des barrières à l’entrée comme les coûts, la concurrence et l’absence de réseau de distribution exclusif, la spécialisation par niches est une façon rationnelle de faire sa place lorsqu’on est un petit acteur. Et l’une des seules», estime-t-il.
Stephen Boland partage son point de vue. «Je pense que Sprott a réalisé qu’elle n’avait pas la taille suffisante pour s’imposer dans les marchés de détail. La direction a choisi des secteurs qui pourraient lui être bénéfiques», affirme-t-il.
Ce n’est pas l’avis de tous. «Je ne suis pas certain que cette nouvelle mouture de Sprott conviendra aux investisseurs. Les métaux précieux sont volatils, les dépenses en capital sont élevées et ces entreprises peuvent facilement faire mauvais usage des excédents de trésorerie», soutient de son côté Dan Hallett.
Il faudra peut-être du temps pour effacer les récents déboires dans l’esprit des conseillers.
«J’ai un peu perdu confiance en Sprott. Dans le monde des investissements, il est toujours difficile de retrouver une confiance ainsi mise à l’épreuve», souligne Michel-Olivier Marcoux.