Les conseillers y injectent de plus en plus d’actif.La pratique à honoraires, qui consiste à facturer directement au client une part variant en fonction de l’actif sous administration, représentait environ 3,1 % du revenu brut généré par les représentants en 2016, d’après le sondage mené à l’occasion du Top 11 des cabinets multidisciplinaires. En 2017, cette proportion s’élevait à environ 5,3 %.
La forte progression de ce mode de rémunération s’est faite aux dépens de celle des commissions à la vente, comme les frais d’acquisition reportés (FAR). En 2016, environ 44 % des revenus bruts générés par les représentants provenaient de commissions à la vente, alors que ce n’est le cas que de 37 % en 2017. La part des commissions de suivi est demeurée stable durant cette période, s’élevant à 53 % en 2017.
Différents facteurs expliquent ces variations, dont une désaffection des FAR. Par exemple, chez Distribution Financière Sun Life, les FAR sont interdits depuis septembre 2016 pour les comptes de 100 000 $ et plus, confirme Stéphane Beaumier, vice-président régional Québec Lesage à la Financière Sun Life.
Chez d’autres courtiers, comme MICA Capital, 83 % de l’actif en fonds communs n’ont pas de FAR et les nouveaux actifs sont canalisés vers les fonds sans frais d’acquisition, note Gino Savard, président de MICA Services financiers.
La pression à la baisse sur les frais de gestion couplée aux récentes normes de divulgation de la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2) semble expliquer la montée des honoraires.
Parmi les firmes du Top 11 des cabinets multidisciplinaires, l’adhésion aux honoraires est élevée chez les représentants de Placements Manuvie. Cette firme offre les comptes à honoraires depuis 10 ans, si bien que 37 % de l’actif est soumis à ce mode de rémunération directe, dit Marc Rouleau, directeur général, régions du Québec et de l’Atlantique chez Placements Manuvie. La moitié des conseillers offrent des comptes à honoraires à une part de leur clientèle, poursuit-il : «On transfère près de 1 G$ par trimestre de la plateforme à commission vers la plateforme à honoraires. Il y a une grosse tendance.»
Placements Manuvie a des activités à la fois de courtage de plein exercice, de courtage d’assurance de personnes et de fonds communs. La firme offre depuis un an une plateforme de gestion discrétionnaire, principalement aux conseillers expérimentés. Les honoraires vont de pair avec ce type de gestion.
Chaque mois, Placements Manuvie démarre une cohorte de conseillers qui souhaitent s’y mettre et l’épaule dans cette transition. «C’est tout un apprentissage de commencer à faire de la gestion discrétionnaire», note Marc Rouleau.
Au Groupe financier PEAK, qui a aussi une division de courtage de plein exercice, les conseillers ont adopté davantage les honoraires que leurs pairs de l’industrie, selon notre sondage. Citant Investor Economics, Robert Frances, chef de la direction de PEAK, affirme qu’en deux ans, la croissance de l’actif dans les comptes à honoraires a atteint 156 %, et en un an, 66 %. Plus de la moitié des nouveaux actifs administrés vont dans les comptes à honoraires. «Si on continue au même rythme de transfert de comptes, dans trois ou quatre ans, on va avoir zéro exposition aux commissions.»
Cette progression découle de récents efforts visant à convaincre les conseillers, qui ont accès à une plateforme à honoraires depuis 12 ans. L’équipe de PEAK a formé ses conseillers, leur a montré des adoptions d’honoraires réussies, a démystifié les formulaires et les logiciels pertinents.
SFL Partenaire de Desjardins sécurité financière a lancé en juin 2014 les outils pour les comptes à honoraires. Depuis, le cabinet en fait la promotion active. De 2016 à 2017, l’actif des comptes à honoraires a augmenté de plus de 50 %, selon Michael Rogers, vice-président, développement des affaires, Assurance des particuliers chez Desjardins Sécurité financière et président par intérim de SFL. La proportion de l’actif sous administration des comptes à honoraires représente 6 % de l’actif total de SFL, alors que la moyenne des courtiers en épargne collective est de 3,3 %, selon Investor Economics.
Il n’y a pas de minimum d’actif pour accéder à ce type de compte, mais «mon intuition me dit que c’est [plus répandu] pour la clientèle de 150 000 $ et 200 000 $ et plus», note Michael Rogers.
Les conseillers du réseau carrière de Sun Life peuvent quant à eux offrir les comptes à honoraires depuis septembre dernier, indique Stéphane Beaumier : «Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. La pression des organismes de réglementation de s’en aller à honoraires est là et probablement qu’éventuellement tout le monde va y aller.»
Ce courtier n’offre aucune mesure incitative ni seuil minimal d’actif sous administration aux conseillers pour adopter ces comptes à honoraires.
MICA préférant laisser le libre choix aux conseillers sur les comptes à honoraires, ces derniers représentent une faible part du chiffre d’affaires et ne sont pas promus, explique Gino Savard.
En juin, ce cabinet lancera son propre compte immatriculé au nom du courtier ou d’un prête-nom (nominee account), aussi appelé compte autogéré ou compte de propriétaire apparent. Ce type de compte facilite la gestion et la perception des honoraires.
«Je ne veux pas être un frein pour mes conseillers et les clients qui veulent des honoraires. Et s’il y avait une abolition des commissions intégrées, il faut que je sois prêt, et [avec les comptes autogérés] je le suis», dit Gino Savard.
À la discrétion des conseillers
Les dirigeants interrogés affirment tous qu’un conseiller est libre d’offrir ou non des comptes à honoraires selon les besoins de son client. Plusieurs courtiers suggèrent tout de même au représentant une façon d’appliquer cette tarification. Celle-ci est généralement dégressive, à savoir que plus un client a d’actif sous administration, moins son pourcentage d’honoraires est élevé. L’inverse est aussi vrai.
«Le conseiller peut négocier sa rémunération avec le client en fonction de la valeur du compte. On suggère que ce soit dégressif. C’est l’industrie qui va dicter quel est le bon taux. On n’a pas donné de guideline», dit Stéphane Beaumier.
Un conseiller module ses honoraires par compte ou par ménage, en fonction de son modèle d’affaires. Par exemple, chez SFL, chaque compte a ses honoraires propres et le conseiller peut, à sa discrétion, regrouper l’actif d’un couple ou de plusieurs générations de clients au sein d’un même ménage. Cela leur permet d’accéder à un tarif de gros plus avantageux pour eux.
«Dans les systèmes informatiques, les comptes sont séparés et ça devient difficile de gérer les ménages [pour les conseillers]», note Michael Rogers. Il est en discussion actuellement avec Univeris afin de simplifier le regroupement de comptes en ménages. «Ça rendrait la vie plus facile à nos équipes», dit-il.
Sun Life propose aux conseillers de définir un ménage comme les comptes d’un couple de clients, même si «on peut adopter à peu près n’importe quelle formule». MICA est tout aussi souple, mais élargit cette définition proposée aux gens résidant à la même adresse.
Chez PEAK, les conseillers peuvent aussi regrouper les comptes clients en ménages, à leur discrétion. Cette discrétion ne risque-t-elle pas de nuire au client, car il ne profiterait pas du meilleur tarif si son conseiller ne regroupait rien ? «Ce n’est pas juste à la discrétion du conseiller. Il y a une discussion avec le client, et des contrôles internes et toutes sortes de choses sont imposés au conseiller, dit Robert Frances. Les organismes de réglementation aiment la flexibilité pour que les bons honoraires soient facturés à la bonne place. Si quelqu’un a une stratégie très passive dans son REER, c’est très possible que le conseiller propose des honoraires plus bas dans ce compte.»
Cette souplesse permet également au conseiller de facturer le taux approprié en fonction du travail dans les comptes non enregistrés, pour lesquels les honoraires sont partiellement déductibles d’impôt, note Robert Frances.
Chez SFL, on préfère éviter de moduler les tarifs uniquement à des fins d’économies fiscales, note Michael Rogers : «Ce n’est pas le but de contourner le règlement ou de facturer plus de frais dans le compte où c’est avantageux. L’important de l’approche est de gérer les actifs de façon holistique.»
Défis administratifs
Quoi qu’il en soit, l’adoption plus répandue des comptes à honoraires force tout de même les cabinets à adapter leurs pratiques administratives. D’abord, les honoraires vont souvent de pair avec les nominee accounts, lesquels sont très promus, notamment chez MICA, Sun Life et PEAK.
«C’est beaucoup plus simple. Le conseiller n’est pas obligé de faire une ouverture de compte par société de fonds, dit Gino Savard. Sur le plan transactionnel, c’est plus simple pour lui. Pour les clients, c’est un seul relevé : le nôtre.»
«Il y a plus de travail dans un nominee account que dans un compte au nom du client (client name) : on a des contrôles, des rapports spéciaux à produire. Mais il y a aussi des économies de travail», nuance Robert Frances.
De plus, tous les cabinets s’assurent que les bons codes de série de fonds se retrouvent dans les comptes à honoraires, pour éviter les erreurs de facturation comme la double rémunération (une série A dans un compte à honoraires).
Par ailleurs, lorsqu’un représentant en épargne collective adopte les honoraires, il ne renégocie généralement pas son taux de commission ou sa rémunération.