«Oui, parce que les assureurs privés sont des *#& ! ! qui nous assurent mal», peste un conseiller interrogé. «Ma prime est chère et, en plus, je dois m’assurer différemment pour chacun de mes permis, pour mon cabinet, etc. Ça devient complexe à gérer», note un autre répondant. Plusieurs croient que leur prime d’assurance serait ainsi plus basse, qu’ils profiteraient d’un prix de groupe.
«Je suis favorable, mais ça créerait un monopole pour l’assureur en charge, et il peut y avoir une perte de contrôle sur le coût des primes», mentionne un autre conseiller. Ce dernier fait ainsi écho au principal argument des 45 % de répondants qui sont défavorables : la création d’un monopole.
«Dès qu’on est en situation où il n’y a plus de concurrence, ça crée de la corruption», estime un autre conseiller sondé.
Fait intéressant, 17 % de l’ensemble des 86 conseillers sondés ayant répondu à la question – et non seulement le sous-groupe de ceux qui ont pris position – se montrent indécis quant à la création d’un tel régime.
«Je choisirais la plus avantageuse des deux façons proposées», indique une conseillère. «Une façon ou l’autre, c’est pourri. Dans tous les cas, on ne cherche pas à protéger les professionnels, mais à protéger le client», ajoute un autre répondant.
«Les prix baisseraient»
Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), reste favorable à l’instauration d’un tel régime, lui qui a demandé au ministère des Finances du Québec de créer un régime collectif d’assurance responsabilité en 2015.
Il note que, chaque année, seule une soixantaine de membres de la Chambre de la sécurité financière (CSF) sont sanctionnés par le comité de discipline de ce régulateur sur les 32 000 conseillers assujettis, soit 0,19 %. Comme peu de conseillers commettent des erreurs, la prime d’un régime collectif serait moins chère, croit-il.
Il dénonce ce qu’il désigne comme un droit de vie ou de mort sur la pratique d’un représentant qu’ont, ensemble, une poignée d’assureurs responsabilité. «Ça coûte très cher. Du moment que tu as un problème, ils peuvent te couper d’être assuré. Et quand tu n’as pas d’assurance, tu ne peux pas avoir un permis de travail», déplore Flavio Vani.
Également courtier hypothécaire agréé, ce dernier est couvert par le Fonds d’assurance responsabilité du courtage immobilier du Québec (FARCIQ). «Depuis 2010, les primes de ce fonds ont baissé. Si on répliquait le modèle pour la CSF, ce serait idéal : les prix baisseraient et on aurait une sécurité de renouvellement d’assurance immédiat tant que les régulateurs te laissent ton permis.»
Gagnants et perdants
Une prime uniforme découlant d’un régime commun est inéquitable, puisque certains conseillers ayant un profil de risque faible paieraient indirectement pour ceux qui ont des activités plus risquées, estime Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.
«Un conseiller qui a un petit volume d’affaires et des activités pas compliquées dans une seule discipline a beaucoup à perdre», dit-il.
Comme avocat, Maxime Gauthier juge faible son propre profil de risque dans l’exercice de cette profession. Malgré tout, il a subi l’un des défauts du régime d’assurance collective couvrant les avocats. «Le fonds d’assurance responsabilité a été mis à mal par des réclamations coûteuses. À cause de quelques individus qui ont échappé la balle, ça a vidé la capitalisation du fonds. Il a fallu que tous les avocats, peu importe leur profil de pratique, recapitalisent ça. C’est un risque qui existe aussi dans les services financiers.»
Maxime Gauthier se méfie des monopoles en général : «Si personne ne te challenge, ce n’est pas évident que tu vas tout faire pour réduire tes coûts.»
De plus, le fait que la prime peut augmenter pour un professionnel non conforme est un facteur dissuasif, selon lui : «Si on sait qu’avoir de bonnes pratiques, de bonnes procédures peut avoir une influence sur le coût de notre assurance responsabilité professionnelle, on va faire des efforts encore plus grands.»
Rien n’est magique
Un régime collectif ne serait pas exempt de défauts, soutient Marie-Claude Tremblay, courtier en assurance de dommages des entreprises pour La Turquoise Pro. «Avec un régime collectif, un représentant va avoir quand même un contrat avec des exclusions. Il y aura quand même des situations où il n’est pas couvert et il sera quand même insatisfait.»
Selon elle, la concurrence favorise la création de produits plus personnalisés pour les représentants et les cabinets, puisque les assureurs innovent et peuvent donner plus de garanties.
«Les assureurs doivent maintenir des coûts bas, parce qu’il y a de la concurrence, dit Marie-Claude Tremblay. Dans les services financiers, leurs primes au cours des 10 dernières années n’ont pas beaucoup varié. Si je compare, d’autres professionnels paient des primes plus élevées et ont connu plus de variations [à la hausse durant cette période].»
La formation accrue des conseillers ainsi que les efforts soutenus d’inspection de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont assaini le secteur depuis 2006, d’après elle. Ainsi, la critique selon laquelle les assureurs ont un droit de vie ou de mort sur une pratique est de moins en moins justifiée aujourd’hui, par rapport à la période de 2001 à 2006, estime-t-elle.
«C’est faux de croire que les assureurs n’assurent pas les conseillers. C’est minime : j’ai vu seulement un ou deux cas sur 5 000 dossiers. La formation continue fait que les conseillers sont meilleurs.»
Flavio Vani soutient pour sa part que chaque renouvellement d’assurance collective lui impose de remplir trois ou quatre formulaires, alors qu’avec le FARCIQ, son renouvellement est automatique tant qu’il n’a pas fait de réclamation.
«Si je pouvais ne pas en mettre [de formulaire], je n’en mettrais pas. On essaie de simplifier au maximum les propositions. Mais si mon assureur exige une proposition, je n’ai pas le choix», dit Marie-Claude Tremblay.
Au fil du temps, la proposition pour souscrire une assurance responsabilité de La Turquoise Pro est passée de neuf à quatre pages, note-t-elle : «Avec notre système web, c’est plus facile à remplir. Et on essaie toujours de la simplifier.»